Naufrage en Méditerranée : La polémique enfle

23 January, 2019 - 21:30

Une vive polémique enfle en Mauritanie, suite à la disparition tragique de cinquante-deux jeunes originaires de plusieurs villages du Guidimakha et du Mali. Sur la Toile, certains parlent déjà de fake news, en raison du silence total observé par les grands médias européens et marocains sur ce drame.

Après 24 heures d’un silence de cathédrale, le gouvernement mauritanien est sorti, jeudi 17 Janvier,  de sa réserve, par  le biais de son porte-parole. Sur son compte Twitter, Sidi Mohamed Ould Maham réfute l’info. Pour lui, «les informations qui circulent, depuis hier, sur les réseaux sociaux et sites électroniques, concernant les ressortissants du Guidimakha morts en mer, sont fausses, jusqu'à preuve du contraire, selon les sources officielles contactés ».

Dans une déclaration à l’AMI, le ministre précise que le gouvernement s’en est assuré, lors d’un contact direct avec le gouvernement marocain. Il ajoute que les autorités nationales intensifient, en ce sens, également leurs contacts avec la partie espagnole, pour obtenir des informations le plus rapidement possible. Une position cependant battue en brèche par les faits. En effet, le deuil est observé, depuis le matin du jeudi 17 Janvier 2019, à Hassi Cheggar, Samba Kandji, Hassi Bagara, Ouloumboni, Koumba N’daw et Sollou, par les familles des victimes. Sur sa page Facebook, le député de Sélibaby, Sidney Sokhona, a adressé, aux «familles endeuillées et, avec elles, tout le Guidimakha […] l’expression de mes condoléances les plus sincères, les plus attristées. Je prie Allah de les accueillir en son saint paradis et les enveloppe de Sa vaste Miséricorde ». Consternés par le drame, plusieurs proches parents des naufragés, qui n’ont, d’ailleurs, appris le départ des leurs qu’une fois ceux-ci en mer ou après le naufrage, se refusent à tout commentaire.

Selon l’un des rescapés, le drame s’est produit le 12 Janvier. L’embarcation s’est fracassée entre le Maroc et l’Espagne. Le groupe de jeunes venait majoritairement de Hassi Cheggar, Sellou, Selifeli, Tafara, Tachott Brane, Hassi Bagara, Diaguily et Daffort. On y dénombre quinze maliens originaires du village de Selefel. Parmi les victimes, se trouve le meilleur joueur du tournoi du Guidimakha, joué, l’année dernière, à Sélibaby, et « brillant élève », selon l’un de ses professeurs.

Idrissa Camara, député Tawassoul, est monté au créneau, à l’Assemblée nationale, pour exprimer ‘’l’indignation et le choc’’ de la communauté soninké, suite à la sortie du porte-parole du gouvernement niant les faits qui sont, dit-il, « bien réels ». Et d’évoquer la prière aux morts effectuée, vendredi, dans une mosquée de Sebkha. Réplique du président de l’Assemblée nationale, Cheikh ould Baya : « jusqu’à présent, aucune information digne de foi ne permet de confirmer les allégations. Les sources classiques, les contacts avec les Marocains ne permettent pas », affirme-t-il, « de les corroborer ». Selon lui, plusieurs personnes se trouvant sur la liste des naufragés seraient à Nouadhibou. « Face à ces forêts de déclarations, il faut rester prudent ».

 

Migration Sans Frontières confirme

L’ONG Migration Sans Frontières a confirmé la disparition de cinquante-trois migrants clandestins, dont trois femmes, qui tentaient de rejoindre les côtes espagnoles, via le royaume chérifien. « La plupart des disparus sont de nationalité mauritanienne », note Migration Sans Frontières. « Ils venaient surtout de la zone de Guidimakha, dans le Sud mauritanien ». Ils avaient pris la mer, le vendredi 11 Janvier 2019, à bord d’une pirogue qui a chaviré, après avoir heurté «quelque chose ». Les secouristes espagnols et marocains n’ont pas pu retrouver l’embarcation.

Migration Sans Frontières a confirmé l’accident, après avoir recueilli le témoignage du seul survivant de l’accident, actuellement hospitalisé au Maroc. L’ONG préfère parler de « disparus » car aucun corps n’a été retrouvé. Helena Malino Garzon, une journaliste espagnole spécialiste de l’immigration, confirme : « Un petit navire transportant cinquante-quatre immigrants clandestins, principalement mauritaniens, a sombré aux environs de Nador, le 12 Janvier ». « Il y avait trois femmes, parmi les passagers », précise-t-elle, dans message posté sur son « compte Facebook, ajoutant que, selon le seul  survivant : « quelque chose a changé l’orientation du bateau, vers 11h 00 du matin […] les personnes à bord sont décédées. Le seul survivant est resté dans l’eau pendant toute une journée, jusqu’à ce qu’il soit sauvé  par des pêcheurs. » La journaliste espagnole a présenté ses condoléances aux familles des victimes.

Au Guidimakha, plusieurs voix appellent à la dénonciation et à la traque des passeurs. Le plus connu d’entre eux se nommerait Mohamed Camara. Il est ressortissant du village de Niéliba. Certaines bonnes  volontés sont en train de s’organiser, pour réunir le maximum d’informations sur cette personne et  ses complices, afin de déposer des plaintes en Mauritanie et au Maroc et  le traduire en justice.

Synthèse THIAM

Encadré 1 : Groupe spontané

Suite au drame survenu le 12 Janvier où cinquante-deux jeunes, au moins, dont plusieurs ressortissants du Guidimakha, ont disparu, un groupe de soutien a pris l’initiative d’organiser une réunion, pour manifester un élan de solidarité et de compassion à l’égard des familles éplorées. Un public élargi à toutes les régions du pays a répondu à cet appel. Durant ce rassemblement, plusieurs décisions ont été arrêtées, à l’unanimité :

I.  Diffusion d’un communiqué de presse

II. Tenue d’un point de presse

III. Mise place d’une commission de coordination, composé de Cheikh Sidiya Tandia, Diarra Camara, Bakary Wagué, Tacko Magassa, Cheikh Konaté, Yakharé Soumaré et Moussa Gandéga. Si ce groupe de soutien s’est constitué, c’est parce qu’aucune personne n’a levé le petit doigt en guise de manifestation d’intérêt ou de compassion pour les disparus et les familles éplorées. « Toute nouvelle initiative ne peut relever que de la diversion pure et simple », signalent-ils, « l’initiale doit continuer son action de solidarité et d’humanisme, suivre son élan spontané, loin de toute considération politique et n’accepter aucunement d’être l’otage d’un quelconque groupe extérieur ».

 

Encadré 2 :

Le HCR consterné par les décès de réfugiés et de migrants dans deux naufrages en Méditerranée

Samedi, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) s’est dit « profondément attristé » par les nouvelles informations selon lesquelles environ cent soixante-dix personnes seraient décédées ou portées disparues, dans deux naufrages distincts en mer Méditerranée. « Selon des informations fournies par des ONG, quelque cinquante-personnes sont mortes, dans la Mer d’Alborán, à l’Ouest de la Méditerranée. Un survivant aurait été sauvé par un bateau de pêche, après être resté plus de 24 heures dans l’eau, et reçoit des soins médicaux au Maroc. Des navires de secours marocains et espagnols sont à la recherche du bateau et des survivants, depuis plusieurs jours mais en vain », précise l’agence onusienne dans un communiqué de presse.

La marine italienne a également signalé un autre naufrage en Méditerranée centrale. Trois survivants ont été emmenés à Lampedusa pour y être soignés et ont signalé que cent dix-sept personnes, actuellement mortes ou disparues, se trouvaient à bord avec elles, lors de leur départ de Libye. Le HCR indique qu’il n’avait pas été en mesure de vérifier, de manière indépendante, le nombre de victimes pour les deux naufrages. « La tragédie de la Méditerranée ne peut pas continuer», déclare Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. « Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le nombre élevé de personnes qui meurent aux portes de l’Europe. Aucun effort pour sauver des vies en mer ne devrait être épargné ni empêché ».

En 2018, 2.262 personnes ont perdu la vie, en tentant de rejoindre l’Europe, via la mer Méditerranée. Le HCR est préoccupé par le fait que les mesures prises, par divers États, dissuadent de plus en plus les ONG de mener des opérations de recherche et de sauvetage et demande que ces mesures soient immédiatement levées. Selon l’organisation onusienne, il faut aussi « redoubler d’efforts, pour empêcher les réfugiés et les migrants de se lancer dans ces voyages désespérés. Les personnes qui fuient la guerre et la persécution ont besoin de plus de voies d’accès, sûres et légales, pour accéder à l’asile en Europe. Personne ne se doit plus se croire obligé de mettre sa vie entre les mains de trafiquants et de passeurs sans scrupules », conclut-elle.

Source : ONU Info (19 Janvier 2019)