Culture, histoire : Meyey, le cadi des cadis

25 January, 2018 - 00:22

Il y eut des personnalités qui réussirent à marquer l’histoire locale, voire nationale. Ces illustres et charismatiques personnes accomplirent des passages remarquables, laissant des traces indélébiles sur la vie sociale, politique et religieuse de leur région. Parmi ces éminentes personnalités, celui que la majeure partie des habitants du Trarza appelait « le cadi des cadis ». Cadi Meyey, de son vrai nom : Mohamedhen ould Mohamed Vall, naquit en 1873 à Tigramen, en Iguidi. Juste après avoir mémorisé, dès son jeune âge, la totalité du Saint Coran, il fut initié, par son père Bebbaha, à la grammaire arabe et au fiqh. Il couronna ses ‘’études’’ (on ne parle pas de Mahadra dans cette partie de l’Iguidi mais  de l’école de la famille) par la publication de plusieurs ouvrages en théologie, histoire et grammaire. Son talent en poésie littéraire arabe  et dialectique Hassaniya n’a pas beaucoup d’égal, dans toute la Mauritanie. Il réussit notamment à dompter les délicates et complexes harmonies des poésies « Hweiwis , suscitant beaucoup d’admiration auprès de l’opinion. A la mort de son père, il entreprit de s’occuper de l’école familiale. Il y forma des dizaines de disciples, certains devinrent de grands érudits.

Meyey fut nommé par l’administration coloniale en 1909 comme Chef Général de la tribu des Idabhoum, qui était le groupe le plus important, en termes de nombre de fractions, après le groupe émiral. Sa nomination comme cadi intervint le 1 Janvier 1911. On dit que sa longévité en tant que cadi (54 ans) n’a d’égale que celle du fameux cadi marocain ’’Ettassouli’’ décédé vers 1842.

 

Apport politique du cadi

La famille dont est issu le cadi Mohamedhen descend d’Ebhoum ould Mohand Amghar, cousin germain du fameux Deiman. Les Idabhoum sont donc plus imprégnés de la culture Béni Deiman que ces derniers.  Les Ahel Aghel avaient eu, très tôt, l’opportunité de jouer un rôle politique central au Trarza, à l’époque d’Ahmed Ould Aghel, l’arrière-grand père du cadi. C’est pourquoi le sobriquet de « petit Mahsar » (le Mahssar est le nom du campement émiral au Trarza)  fut donné à leur campement. Ahmed Ould Aghel s’était rapproché de la cour de l’émir, au point d’en devenir le chambellan. Depuis ce temps, ces marabouts ont toujours eu leur mot à dire, dans la gestion des affaires de l’émirat. Ce qui leur permit d’avoir une grande influence. Quant à Meyey, il eut des relations cordiales avec certains émirs et tendus avec d’autres. Le courant passait notamment bien avec Ahmed Salem ould Brahim Salem. Lorsque les autorités coloniales décidèrent de choisir un cadi dont les compétences couvriraient la majeure partie du Trarza, ils optèrent sans tergiverser pour Meyey, malgré le nombre de candidats à la hauteur de la tâche. C’est donc avec beaucoup d’autorité qu’il est alors désigné cadi de la zone.

A la mort de l’émir Ahmed  Ledeid, les autorités coloniales confièrent, durant la période transitoire, le symbolique tamtam émiral au cadi Meyey ainsi que la gestion des sebkhas (gisements de sel de la région). Ce qui fut considéré, par certains observateurs, comme un intérim. De 1944 à 1947, le tamtam émiral et sa suite furent gardés, par le cadi, à Boir Toress ou dans ses environs, jusqu'à l’intronisation du nouvel émir, Mohamed Vall ould Oumeïr, au début de l’année 1947.

 

Les rares verdicts du cadi

A la tête du tribunal du Trarza, Meyey fut d’une prudence rare, tout comme Hamed ould Mohamed Vall, son frère cadet qui le remplaça. Les deux hommes passaient de longs moments à écouter les protagonistes, avant de les renvoyer à une date ultérieure. Nouvelles convocations puis nouveaux longs interrogatoires, avant de convoquer les témoins pour les écouter… Plusieurs mois passaient ainsi avant que le cadi propose des arrangements à l’amiable, le plus souvent acceptés, grâce à son art de convaincre. Durant toute sa carrière, Meyey ne rendit que trois ou quatre verdicts, bien qu’il ait traité pas mal de litiges fonciers dont ceux  relatifs au lac R’kiz dont il supervisait la difficile tâche du partage du pourtour et qui causaient pas mal de polémiques. Citons, en anecdote, un des plus célèbres verdicts rendus par ce compétent cadi, l’affaire « Gaboune » (hyène). Le vieux griot Bih ould Ngdhei était venu porter plainte contre celle qui avait tué et mangé son âne : une hyène affamée. Le verdict du cadi fut clair : la moitié du prix de la bête devrait être payée par les ‘’bons’’ gens alors que l’autre moitié est laissée à l’hyène et assimilés. Une symbolique mesure qui se révéla excellente pour Bih car il obtint plusieurs fois le prix de son âne, grâce à la campagne de solidarité que le fameux verdict avait provoquée.

Meyey avait une méthode originale dans l’exercice de ses fonctions de cadi, qui consistait à formuler les affaires litigieuses compliquées  et les envoyer ensuite aux célèbres oulémas de la région pour avis. Apres avoir reçu, au bout de 10 jours à 2 semaines, les avis des uns et des autres sur une affaire donnée, Meyey procédait a un travail de tri des écrits reçus pour n’en retenir que ceux utiles pour le rendement de son jugement. On nous a rencontré que souvent il accompagnait son tri par des commentaires du genre : ¨celui-ci n’a pas compris le sujet¨, ¨celui-là veut nous faire part de son érudition par l’étalage de ses connaissances ce qui n’est pas notre souci¨ …

Le dernier voyage

Quelques années avant sa mort, Meyey passa le relais à son frère Hamed qui s’installa à Mederdra jusqu'au décès de son grand frère. Le 25 mai 1966, vers treize heures, les habitants d’un campement à six kilomètres à l’ouest de Mederdra aperçoivent soudain un méhariste dont le chameau file vers l’Est, en provenance de Boir Toress. Il s’est sûrement passé quelque chose, des hommes l’interpellent. « Le cadi n’est plus », se lamente-t-il, « je cours informer Hamed à Mederdra ». Quatre hommes, Mohamed ould Hmeïdha, Mohamed ould Sidi Yaraf, Mohamed ould Brahim Khlil et Ahmed ould Mouh, partent aussitôt, à pied, vers Boir Toress, faute de voiture disponible. Amar ould Hmeidha qui vient d’arriver en congé à Hsey El Mahsasar (7 km au nord de Mededra), embarque, lui, à  bord de sa Land Rover Station Wagon et pique vers la ville. Il y trouve Hamed assis, comme d’habitude, à l’ombre de l’arbre où il tient toujours audience. Reconnaissant la voiture qui vient de s’immobiliser, il demande sans tarder à Amar : « Avez-vous reçu des nouvelles du campement?» Informé du décès, le frère du cadi se lève aussitôt, monte à bord, s’empresse d’aller acheter une pièce de tissu blanc et en route, dare-dare! « Tâche de ne pas t’arrêter ! », demande-t-il à Amar. La voiture file vers l’Ouest. A deux kilomètres de Boir Toress, ils rejoignent le groupe parti plus tôt et l’embarquent.

Au village, la dépouille du cadi est déjà fin prête. Ses deux neveux, Garray et Mohameden, lui ont déjà prodigué le lavage mortuaire. Hamed s’assoit en face de lui, lui appose les mains sur le visage et récite quelques versets de Coran, avant d’ordonner qu’on le conduise au cimetière d’El Meïmoun, quarante kilomètres au nord. On embarque le défunt dans la voiture d’Amar avec les quatre hommes venus à pied de Mederdra ainsi que Garray et Mohameden. Hamed s’installe, seul, à côté du chauffeur d’une Land Rover châssis court, appartenant au préfet de Mederdra, Mohamed ould Khlil. Le petit convoi prend la route d’El Meimoun où il arrive vers quatre heures trente.

Lemrabott, le fils ainé de Meyey, était alors en mission à l’étranger. Il ne sera informé qu’à son retour au pays. Hmeidit, son second fils, à l’époque préfet de Ouadane, fut informé par message RAC. Quant à Abdou, il était, lui aussi, assigné au loin. Tous deux ne rejoignirent Boir Toress que deux jours après le décès. Ainsi fut tournée la page d’une vie que les annales juridiques et les Iguidiens n’oublieront pas de sitôt.

Salman ould Moctar