En plein milieu (7) /Par Tawfiq Mansour

21 July, 2016 - 21:04

"Ces articles sont publiés dans le cadre d’un projet financé par le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture pour la promotion de la protection de l’environnement"

 

 

Dans le cadre de l’accord signé entre le Gouvernement Mauritanien  et l’Union européenne, le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture (PESCC), a attribué une subvention à notre association  Action Environnement pour réaliser le projet intitulé Projet de sensibilisation nationale au développement durable et à la protection de l’environnement

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Septième et pénultième article de la série commandée, au journal « Le Calame », par l’association mauritanienne « Action Environnement ». La mise en place de nouvelles stratégies territoriales, combinant stricte grille administrative classique et plus mouvante réséification écolo-économique, assurée par la Société civile, permet d’initier une gestion beaucoup plus efficace des frontières, physiques, culturelles ou autres…

Nous rappelions, dès l’entame de la série, l’immémoriale adéquation des structures sociales traditionnelles à l’exploitation de leur milieu. Tout a changé, en quelques décennies, et il serait totalement absurde – pire : dramatiquement dangereux – de prétendre retrouver une telle adéquation en reproduisant, mécaniquement, tel ou tel stéréotype d’une époque révolue. Mais, en ce sujet comme en d’autres, il est bon de rechercher l’esprit des anciennes méthodes, comprendre sur quelles bases elles fonctionnaient, en quoi leur confusion, avec d’autres, importées, a porté tort, aux gens et à leur environnement, et comment y remédier – sinon, à tout le moins, les adoucir – en repensant une gestion de l’espace et du temps non plus seulement catastrophée, dictée par les évènements mais, plus sereinement lucide de son histoire et des potentialités des uns et des autres, à l’avant-garde de leur destin.

Un cheptel multiplié par cinq, une population par quatre, dans un processus de nomadisme/sédentarité totalement inversé et une pluviométrie en cycle long de déficit : de tels constats ne portent guère à l’optimisme. En Avril 2010, le Ministère délégué auprès du Premier ministre chargé de l’Environnement et du Développement Durable signalait déjà que « le coût de la dégradation des ressources naturelles en Mauritanie représente, en moyenne, 17% du Produit Intérieur Brut (PIB), correspondant à une perte directe annuelle de 85 milliards d’UM et une perte indirecte, liée aux effets sur la santé, de 6 850 millions d’UM (1). Ces pertes ont été évaluées dans les secteurs hautement stratégiques, comme les secteurs de l’eau, des forêts, des ressources halieutiques, de l’agriculture et de l’élevage » (2). De tels chiffres obligent toute la population à une réforme profonde.

Si le désordre et le laisser-aller sont souvent invoqués, on évite, en général, d’évoquer les contraintes socio-culturelles qui les sous-tendent. L’émancipation des travailleurs agricoles et pastoraux entre partout en conflit avec ce qui subsiste de l’ancien système des castes où les autorités traditionnelles, embourgeoisées, s’efforcent de préserver leurs privilèges, dans une compétition intertribale de plus en plus effrénée, faute d’espace vital (3). C’est particulièrement vrai dans le domaine agro-pastoral où le foncier constitue, visiblement, un enjeu essentiel.  Mais c’est aussi précisément le lieu où la construction de nouvelles approches peut – plus exactement, doit, tant la dégradation de l’environnement y court vers des sommets sans retour – négocier les plus pertinentes ordonnances écolo-économiques.

 

Réappropriation sociale de l’écosystème

La sédentarisation s’est assez largement calquée, en brousse, sur les anciennes répartitions tribales des parcours saisonniers, dans l’espace maure ; et, ailleurs, autour de la frontière, fluctuante, du diéri-waloo. De nouvelles affinités, basées sur d’antiques relations, prospèrent et s’organisent, spontanément, dans un cercle géographique assez restreint – une douzaine de kilomètres en moyenne –  à la mesure des difficultés de déplacement. Cette réalité touche, surtout, ce qu’il est convenu d’appeler le « territoire utile », soit plus ou moins un cinquième du territoire national et l’on acceptera – sans discussion, en un tel article limité de sensibilisation – de consacrer les quatre-cinquième restant, à une organisation d’emblée plus globale, notamment en matière de pâturage transhumant. Une réserve de principe qu’il est important de garder à l’esprit (4).

Nommons « Unité Promontoire » (UP), le cercle-type où vivifie la ruralité contemporaine mauritanienne. Il révèle, fréquemment, un bourg central, entraînant les localités avoisinantes dans son dynamisme. Certaines, limitrophes, naviguent entre deux ou trois. Ces bourgs ne sont pas toujours des chefs-lieux de commune dont les superficies sont, en moyenne cinq fois supérieures à celle de l’UP. Le constat rappelle une trivialité trop souvent négligée : c’est dans l’ordre du millier de kilomètres carrés que l’Etat développe ses services (santé, éducation, sécurité, etc.), quand la demande citoyenne s’exerce, elle, essentiellement dans l’ordre de la dizaine d’hectares, au grand maximum. Nous avons reconnu, en d’autres publications (5), une autre unité de gestion territoriale de cette réalité citoyenne : la « Solidarité de Proximité » (SP) ; et définit son champ d’actions, centré sur les relations de voisinage.

Avec ces quelque cinq cents kilomètres d’orbe, en moyenne, l’UP apparaît donc comme un outil de transition, non seulement, entre les SP et l’autorité communale mais aussi, entre les différentes localités et, même, entre les communes contiguës. Informelle, en l’état actuel des choses, elle est pourtant, ici et là, à l’œuvre, spontanément et diversement, via diverses rencontres, visites de courtoisie, relations commerciales, litiges pastoraux, etc. Comme on l’a dit tantôt, sa dimension tribale est importante et, s’il convient de lui donner une existence légale, c’est évidemment dans le cadre de la Société civile que cette dimension sera le mieux valorisée. Nous croyons même que, généralisée sur l’ensemble du territoire national habité, cette reconnaissance est de nature à sortir l’incontournable réalité tribale d’une clandestinité officielle où grouillent les plus obscurs détournements de ses valeurs de cohésion sociale et de cohérence environnementale.

Les SP sont, elles, généralement marquées par des considérations de castes : s’il est encore exceptionnel, pour ne pas dire impossible, qu’une localité harratine, par exemple, soit assez développée pour former le cœur d’une UP, il existe, partout, des localités et quartiers harratines. Organisées en SP, elles auront à défendre, au sein de chaque UP, leur point de vue et leurs intérêts spécifiques, notamment dans la gestion du territoire. Appuyées sur les bases de données peu à peu élaborées et archivées, en chaque établissement local d’enseignement, comme on l’a proposé dans les articles précédents de la présente série, des négociations objectives sont ainsi à même de se développer, au cas par cas, dans un rayon vital suffisamment conséquent pour se traduire par des faits cohérents immédiatement perceptibles.

On devrait voir apparaître en suivant, autour de chaque localité, des zones préservées d’agriculture vivrière, en relation étroite avec des espaces de stabulation saisonnière et/ou permanente ; entre les localités d’une même UP, des mises en défends gérées collectivement, autour du sur-semis, de l’exploitation des ressources ligneuses et non-ligneuses (plantes médicinales et vétérinaires, notamment) et de l’ouverture saisonnière raisonnée au bétail ; tandis que des couloirs de transhumance, périodiquement modifiés, entretiendront des communications permanentes avec les grands espaces pastoraux peu ou prou habités par les humains ; le tout pensé dans les limites des ressources locales, notamment en eau, en relation étroite avec les programmes communaux, régionaux et nationaux en la matière, eux-mêmes périodiquement affinés par les informations montant, en permanence, des terroirs… (A suivre).    

Tawfiq Mansour

 

Notes

(1) : Des chiffres sanitaires probablement très en deçà de la réalité, tant la couverture de sécurité sociale fait défaut, en Mauritanie…

(2) : in « Contribution au processus de révision du  CLSP et à l’élaboration de son plan d’actions 2010-2015 », CTS « Environnement », Avril 2010. 

(3) : Un constat navrant, dans un pays d’un million de kilomètres carrés, pour à peine trois millions et demi d’habitants et dix-neuf millions d’animaux domestiques, toutes espèces confondues…