Affrontements entre squatteurs et police : IRA en ligne de mire

14 July, 2016 - 02:48

C’est après une semaine d’incarcération des sympathisants et cadres de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) en Mauritanie que les autorités ont, finalement, décidé de les déferer au Parquet, dans la nuit du lundi au mardi 12 Juillet. Depuis le 30 Juin, au lendemain même de violents accrochages, entre policiers et citoyens, près de la fondation Bouamatou de Nouakchott, les forces de sécurité se livrent à une série d’arrestations, ciblant essentiellement les membres d’IRA. Rappelons que ces affrontements ont été causés par l’expulsion de populations haratines de Gazra Bouamatou, un terrain privé qu’elles squattaient depuis plus de vingt ans. Avec le Sommet arabe à l’horizon, le gouvernement mauritanien voulait transférer ces populations dans un endroit moins visible de la ville mais celles-ci s’y sont refusées, déclenchant ainsi l’usage de la force publique.

Massives, les arrestations massives ont notamment concerné Diop Amadou Tidjane, troisième vice-président d’IRA, tandis que le gouvernement lançait une vaste campagne de dénigrement médiatique, visant à faire porter le chapeau des évènements à l’organisation abolitionniste. Dès le 1er Juillet, des militants d’IRA organisent, en retour, une manifestation, paisible, devant le ministère de la Justice pour demander la libération de leurs camarades mais ils sont violemment réprimés par la police. Trois personnes sont blessées et Balla Touré, le chargé des Relations extérieures du mouvement, est lui aussi arrêté.

Passée une courte trêve due, sans doute, à la Korité, la Sûreté entame, le samedi 2 Juillet, une série d’arrestations. Ousmane Anne, coordinateur et animateur de la dernière conférence de presse au domicile de Biram Dah Abeïd, Lô Ousmane, Dah ould Boushab, Mohamed ould Datti, greffier en chef congédié, voici trois ans, pour son appartenance à IRA, et Abou Abdallahi Diop, beau-fils de Biram, tous membres du comité directeur du mouvement, sont interpellés, manu militari, en début d’après-midi. Le même jour, IRA Mauritanie indique que « les arrestations se poursuivent » dans ses rangs. Dans une note d’information envoyée, tard dans la soirée du samedi, à partir l’adresse courrielle de Biram Dah Abeïd, président du mouvement, son service de communication évoque une « vague de kidnappings qui continue de déferler sur les militants d’IRA-Mauritanie, portant à quinze le nombre de personnes disparues. » L’IRA appelle « toutes les forces progressistes nationales éprises des droits de la personne humaine et de la paix civile, ainsi que la Communauté internationale, à s’ériger contre et à dénoncer cette série de disparitions orchestrées par l’Etat ». Le lendemain, c’est au tour de Hamady Lehbouss, conseiller de Birame Dah Abeïd, et d’Ahmed Hamar Vall, trésorier de l’organisation, de suivre leurs compagnons en détention, suite à la conférence de presse organisée à propos de l’arbitraire des jours précédents. Les populations de Gazra Bouamatou – entre quatre cents et quatre cent cinquante familles, sont chassées, en suivant, vers la périphérie de Dubaï où d’autres pauvres gens sont entassés, depuis quelques années.

 

Affolement calculé du pouvoir ?

Hantées par le risque de voir les populations noires arabisantes manifester lors du Sommet arabe et, après avoir échoué à décapiter le mouvement abolitionniste, les autorités semblent décidées à le démembrer. Pas de répit, donc, dans la traque des cadres et sympathisants d’IRA-Mauritanie. Pour le moment, les rares de ses cadres encore en liberté et les sympathisants de l’organisation ignorent où sont détenus leurs camarades dont ils chiffrent officiellement le nombre à dix-sept. Des sources proches informent également de l’interpellation, le samedi, de deux responsables féminines du mouvement, Amy Wane et Marième mint Cheikh Dieng, ancienne chargée du protocole du candidat Biram Dah Abeïd, lors de la présidentielle de 2014. Toutes deux sont dépouillées de leur téléphone cellulaire mais relâchées en fin de soirée, avec injonction de se présenter, chaque matin, à la Sûreté. Dimanche, Amy Wane est à nouveau interpelée. Elle est, à ce jour, toujours en détention.

De son séjour américain, Biram Dah Abeïd multiplie les sorties médiatiques, dénonçant à tous vents de média internationaux surreprésentés aux USA les arrestations arbitraires de ses proches et la fuite en avant d’un régime « aux abois, selon lui ». Il récuse la thèse du pouvoir, niant, en bloc, toute responsabilité de son organisation, dans les affrontements du 28 Juin, entre émeutiers de la Gazra Bouamatou et forces de l’ordre. « Nous ne sommes pas des pyromanes », a-t-il martelé. Et de rappeler que, malgré la ratification, par l’Etat mauritanien, de la Convention onusienne contre la torture, les prisonniers sont sans avocats et n’ont pu recevoir la moindre visite de membres de leurs familles.

A l’heure où nous mettons sous presse, la demande de visite aux détenus, déposée par Boubacar Messaoud, président de SOS Esclaves – une autre ONG mauritanienne anti-esclavagiste – et membre de la Commission nationale contre la torture, est restée lettre morte. « Devant le refus, répété et injustifiable, des autorités de nous permettre le libre accès aux lieux de détention, force a été de constater qu’il nous était impossible d’effectuer notre mission dans ces conditions », a-t-il notamment déclaré. Jugeant que cette attitude du pouvoir viole les dispositions, pourtant claires, de la loi 034/2105 qui garantit, aux membres du MNP, le libre accès, sans aucun préavis, à tout moment et en tous les lieux, aux personnes privées de liberté, Ould Messaoud a confié : « Je soupçonne que si l’on nous refuse d’accéder à ces gens, c’est parce qu’on les interroge de manière particulière, afin de leur extorquer les plus imaginaires aveux ».

Dimanche, SOS-esclaves et plusieurs organisations nationales des Droits de l’Homme ont publié, avec Amnesty International, Anti-Savery International et Minority Right Groups, une note d’alerte intitulée « Déplacement forcé de civils, arrestations et isolement d’opposants, présomption de mauvais traitements ». Ces organisations y réclament « une enquête diligente, pour situer la responsabilité des graves incidents du 29 et 30 Juin 2016 », estimant que « rien ne justifie le maintien en détention des victimes de déguerpissement et de militants anti-esclavagistes ». De son côté, maître Brahim ould Ebety, avocat célèbre pour son engagement en faveur des droits de l’homme, relève l’illégalité de cette vague d’arrestation, opérée « à l’insu du Parquet. […] Quand on arrête une personne, cela doit se faire sous l’autorité du procureur. Je crains que ces arrestations, qui ont eu lieu sans aucune charge annoncée contre les prévenus, ne cachent des intentions politiques ».

 

Mamadou Thiam

 

IRA récuse les violences et condamne les arrestations de ses militants

Le mouvement abolitionniste IRA a dénoncé le dimanche 3 Juillet, lors d’une conférence de presse tenue au domicile de son président à Riyadh, l’arrestation arbitraire et la répression aveugle contre ses militants. La liste des personnes arrêtés s’est allongée avec l’interpellation, le même jour vers 11 heures, du président du Comité de la paix d’IRA, Khattri ould Rahel, qui rejoint ainsi le vice-président Amadou Tidjane Diop, Balla Touré, secrétaire aux relations extérieures, l'activiste Mohamed Razgua, sympathisant, Abdellahi Matalla Saleck, responsable de la section IRA de Sebkha, ainsi que les militants Moussa Biram, Jemal Beylil et Samba Fall. Le mouvement abolitionniste dénonce, avec énergie, les perquisitions illégales opérées, par la police, aux domiciles de Balla et de Diop, sans aucun mandat, ainsi qu’au bureau de l’association POP-DEV, dont les ordinateurs ont été emportés.

Les journalistes présents à la conférence ont pu rencontrer Vatma Jemal Achou et sa sœur Ghamou, toutes fracturées aux bras, lors de la répression de la marche pacifique de vendredi dernier, au cours de laquelle Samba Aly Diagana, un autre militant, avait été également blessé, mais plus légèrement. Par la même occasion, l’organisation abolitionniste a condamné les affrontements de mercredi dernier et récusé toute violence, tout en réitérant, de manière solennelle, « sa position originelle contre toute forme de violence, d'où qu'elle émane » et fait endosser « l'entière responsabilité des émeutes du 29 Juin à Nouakchott au gouvernement mauritanien ». Un gouvernement qui use, à en croire les partisans de Biram Dah Abeid, de l'appel au meurtre et à la violence, via les media publics et privés apprivoisés et dressés à la vindicte communautariste, contre une communauté qui n’a que le tort d’aspirer à ses droits à la dignité humaine, et contre des individus exerçant leur droit à la liberté d'expression et d'association.

IRA-Mauritanie appelle, à travers une note d’information, toutes ses militantes et militants, « à maintenir la mobilisation, très large et continue, non seulement contre les arrestations arbitraires et disparitions forcées mais, aussi, contre l'esclavage, le racisme, et l'arbitraire sous toute ses formes qui gangrènent la société et l'Etat mauritaniens, et à ne céder ni à la peur que vise à leur insuffler le pouvoir, ni à la provocation qui représente la seconde alternative de la stratégie du régime de Mohamed ould Abdel Aziz ». Les abolitionnistes soulignent que les différents commissariats de police de Nouakchott ont été transformés en centre de détention de dizaines de personnes victimes du déguerpissement musclé qui a tourné à l'émeute. Ces personnes humbles, toutes de la caste haratine, qui habitaient les lieux en question, sont, à l'instar des membres d'IRA, internées, depuis plusieurs jours, sans aucun contact avec leurs familles ou avocats.

IRA-Mauritanie « clame, haut et fort, son soutien inconditionnel et sans réserve, à toutes les victimes d'injustice, de racisme, d'esclavage ou de toutes autres formes de violations des droits et de la dignité de la personne humaine ; et, donc, notre soutien aux humbles familles haratines, privées de logement, dans leur propre pays, et violentées, par les autorités ». C’est encore une preuve supplémentaire de ce que, « parallèlement à l'oppression que subissent les populations mauritaniennes haratines, plus généralement noires, sur les terres de culture et de pâturage, les franges urbaines de ces mêmes populations subissent la ghettoïsation, la paupérisation, l'exclusion des services sociaux de base, la privation des papiers d'état-civil, la violence policière gratuite et la privation de la propriété foncière urbaine ».

Issa ould Alioune, cadre de l’organisation, a réfuté, lors de la rencontre avec les journalistes, les allégations des autorités et réitéré le principe qui guide leur action : « Nous avons organisé diverses activités (marches et sit-in), pendant plus de seize mois d’affilée, entre 2014 et 2016, à raison de deux à trois manifestations par semaine, et jamais aucun policier n’a été attaqué ni aucun bien appartenant à l’Etat endommagé. Durant cette période, ce sont les membres de l’IRA qui ont été, à l’inverse, régulièrement bastonnés par la police et brutalisés, sans aucune riposte de leur part. Nous sommes restés fidèles à notre ligne de non-violence ». Il précise : « Les autorités sont en train de suivre le plan diabolique de Saad ould Louleïd [transfuge du mouvement, NDR], visant à cibler la communauté négro-africaine membre d’IRA, une stratégie pleinement mûrie et délibérée ».

Les responsables de l’organisation ont enfin exprimé leur vive inquiétude, quant aux conditions de détention de leurs membres. A les en croire, Diop Amadou Tidjane (troisième vice-président) et Abdallahi Matalal Saleck (reponsable de la section de Sebkha) auraient été torturés à la 1ère Compagnie où ils étaient détenus, avant d’être acheminés à l’Ecole de police. Enfin, Issa ould Alioune met les autorités mauritaniennes au défi de présenter la moindre preuve démontrant la présence, sur les lieux où se sont déroulés les évènements du 29 Juin dernier, d’un seul des membres d’IRA actuellement en détention. Et d’ironiser sur le cas d’Abou Enass, dont la photo le représentant, grenade en main, vêtu d’un gilet pare-balle de la police, affole la Toile : « Pourquoi cette personne n’a pas été arrêtée par la police, bien qu’elle lui soit certainement très bien connue ? » On est tenté d’ajouter : et pour cause…

 

Dernière minute : 23 cadres et sympathisants d’IRA mis sous mandat de dépôt à Dar Naïm

Mardi 12 Juillet, midi. Nous apprenons, à l’instant, que, déférés suivant la procédure du « flagrant délit », vingt-trois cadres et sympathisants d’IRA Mauritanie et neuf membres de la Gazra Bouamatou viennent d’être écroués, à la maison d’arrêt de Dar Naïm. Voici les chefs d’inculpation retenus à leur encontre : attroupements armé et non armé, violences exercées envers les agents et fonctionnaires de l’Etat au cours de l’exercice de leur mission. Les inculpés seront jugés par la Cour criminelle dans un délai maximal d’un mois, selon un avocat. Avant ou pendant le Sommet ? On en rirait, si ce n’était si triste…