Facilitateur du dialogue en gestation : Mission impossible de Messaoud Ould Boulkheir ?

13 April, 2016 - 11:23

Le président Messaoud Ould Boulkheir a décidé de s’engager pour la tenue d’un dialogue politique qui  pourrait  impliquer  l’ensemble des acteurs politiques du pays. Un gros challenge dans la mesure où l’ensemble des tentatives de nouer le dialogue entre le pouvoir et l’opposition, notamment le FNDU ont  jusqu’ici  échoué. Un dialogue que  le président  d’APP  a toujours réclamé  et continue de réclamer, quand bien même  les résultats  du dialogue politique de 2011 sont considérés, par certains observateurs  comme une  « avancée significative » pour la démocratie mauritanienne. Un dialogue que   l’ex  COD, devenu depuis le forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU)  avait, on se le rappelle, boycotté. Pour le président Messaoud, l’accord de 2011 reste  « perfectible », et c’est  dans ce sens qu’il a toujours œuvré pour contribuer à « rapprocher les différents camps », pour sortir le pays de l’impasse actuelle, de la tension politique qu’il vit depuis quelques années, justifie un cadre d’APP rencontré ce lundi au siège du parti.

Recréer la confiance

La décision  de l’ancien président de l’Assemblée Nationale intervient dans un contexte particulier. En effet, le pays vit une tension politique caractérisée par des invectives entre le pouvoir et son opposition dite radicale (FNDU) – le Front ayant mis fin à tout contact avec le pouvoir après les déclarations de ses ministres sur un éventuel 3e mandat,  et une crise socio-économique particulièrement  difficile. Les prix des denrées de première nécessité ne cessent de grimper, crevant lourdement le panier des ménagères, contraignant certaines entreprises à dégraisser, l’insécurité urbaine, la criminalité, la corruption et le détournement des deniers publics mais également  la menace que fait peser le  terrorisme qui sévit dans le Sahel  et qui a déjà  engendré  des cohortes de victimes au Mali, au Burkina et en Côte d’Ivoire…

C’est dans ce contexte que le FNDU et le RFD ont renoué avec la rue pour exercer la pression sur le pouvoir. Des marches  en faveur desquelles travaillent une lame de fond, une forte grogne sociale.

L’entrée en scène du président de l’APP intervient  après  des audiences que lui a accordées le président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz. Dès lors, celui-ci   l’aurait-il sollicité pour peser de tout son poids, comme en 2011, pour convaincre  le FNDU à  accepter d’aller au  dialogue, ou à défaut de l’accompagner, lui ? La question se pose en effet, parce que le président Messaoud avait choisi de se faire discret, depuis la veille de l’organisation des journées préliminaires  préparatifs d’un dialogue inclusif  organisé, sans la CUPAD, donc sans APP par le pouvoir. Le président Messaoud  souhaitait  à l’époque un dialogue inclusif, franc et sincère pour sortir le pays de l’impasse politique. Le pouvoir a refusé de reporter l’évènement et est allé seul sans l’opposition. On a noté quand même quelques dissidents du RFD.

Aujourd’hui, les observateurs croient savoir que l’engagement du président Messaoud serait une «sollicitation du Palais ». Dès lors qu’est-ce que le président Aziz a décidé de mettre sur la table pour faciliter la tâche à celui qu’on peut considérer désormais comme  un  facilitateur? Va-t-il enfin accepter de répondre par écrit au mémorandum du FNDU, en souffrance au Palais depuis plusieurs mois déjà ? Se démarquerait-il   de ses ministres qui ont évoqué l’éventualité d’un 3e mandat pour lui ? Ferait-il, comme avec le dialogue,  une déclaration publique solennel sur les suspicions  autour du 3e mandat ? Le président de l’APP a-t-il déjà évoqué ces questions avec le président Aziz ? Seul le nouveau « facilitateur » pourrait éclairer la lanterne des mauritaniens. Il réserverait probablement  ces réponses aux acteurs politiques qu’il  ne va pas tarder à rencontrer sous peu, apprend-on à APP.

Resté longtemps en retrait  par rapport donc aux tentatives de dialogue entre le FNDU et le pouvoir, Ould Boulkheir  accepte  aujourd’hui donc de s’impliquer dans une mission impossible (?) croit certains observateurs. Celui  à qui l’opposition mais aussi  d’autres  acteurs politique issus même de son camp, reprochent parfois  d’avoir contribué à « sauver »  le régime d’Ould Abdel Aziz, en acceptant d’aller au dialogue en 2011, en coupant court, au cours d’un point de presse,  aux rumeurs alarmantes  sur son état de santé quand il subissait des soins à Paris, suite  la fameuse « balle amie », de  2013, pourra-t-il rétablir la confiance perdue depuis bien longtemps entre  les camps politiques ? Renouera-t-il les amarres rompues par le FNDU, depuis quelques temps ? Pour cela, aurait-il reçu  des engagements fermes du palais pour engager des consultations avec les acteurs politiques  de l’opposition? L’avenir proche nous le dira. En tout cas sa rencontre très médiatisée avec le président du RFD, Ahmed Ould  Daddah et celle avec le président du FNDU, Saleh Ould Hanana  et  mais aussi celle annoncée avec une délégation du forum, le lundi prochain  pourraient  entrer  dans cette optique.  Même si  rien n’a filtré de la rencontre entre Ahmed Ould Daddah  et Messaoud Ould Boulkheir, tout laisse supposer,  que le pouvoir aurait vu d’un bon œil cette  initiative. Le pouvoir cherche depuis bien longtemps à convaincre les poids lourds de l’opposition à accepter son offre de dialogue. Restent les contreparties qu’il sera prêt à concéder.  Espérons  quand que  la polémique autour du 3e mandat suscitée par  les  ministres du gouvernement   ne vienne pas brouiller les pistes  et faire voler en  éclats l’espoir des mauritaniens de voir leur classe politique faire preuve de dépassement.

Réussir une synthèse des offres

Pour entamer sa mission de « facilitation »,  le président d’APP doit convaincre et rétablir surtout la confiance entre les différents acteurs… Il doit aussi, après ce premier pas majeur,  parvenir à une synthèse des offres  des  différents camps. En enclenchant le processus  de dialogue, on se le rappelle,  les différentes parties ont chacune élaboré une plateforme dans laquelle l’ensemble des questions à discuter  lors des assises sont consignés. Le pouvoir et le FNDU ont même eu à échanger des documents.  Revisiter  l’ensemble de ces documents pour en tirer la quintessence  mettant d’accord l’ensemble des protagonistes  serait, après l’accord de principe des uns et des autres,  le premier défi du « facilitateur ». Même si la tâche  demeure ardue, le président Messaoud croit en la capacité des acteurs politiques mauritaniens  de faire œuvre de dépassement,  de consentir des sacrifices quand il s’agit de l’avenir de leur pays, indique un cadre d’APP rencontré au siège de ce parti qui ajoute, il doit surtout faire preuve de tact afin d’éviter des sujets de frictions pouvant compromettre sa mission.  Et notre interlocuteur de rappeler les efforts déployés par le président  Messaoud  durant ces années pour  contribuer à faire asseoir l’ensemble des acteurs du pays autour d’une table. Il cite en vrac son engagement  pour la réussite du dialogue 2011, son appel pour un compromis national…

Aujourd’hui, il s’agit non seulement de juguler les menaces extérieures qui pèsent sur le pays, mais surtout de faire œuvre utile pour sauver la démocratie mauritanienne. C’est pourquoi, les questions centrales que sont la démocratie, la bonne gouvernance, l’unité nationale  et la cohésion sociale,  fortement  mises    à mal,  par la question récurrente de l’esclavage, le dossier pendant du passif humanitaire, la répartition des richesses du pays,  la justice sociale seront au cœur du dialogue en gestation et dont l’enjeu principal et la finalité ne serait rien d’autre que la refondation consensuelle de Mauritanie, avec l’implication de l’actuel président, au terme, bien entendu  de son 2e mandat contre des garanties totales sur sa personne et celle de ses biens, avec le statut, envié  d’un ancien président de la République  dont l’expertise pourrait être sollicitée,  à tout moment,  pour le bien être du pays, suggère notre source. La Mauritanie et son président sortant pourraient  s’inspirer   cas du président Diouf du Sénégal, de Bouyoya au Rwanda, d'Alpha Oumar Konaré du Mali, d’Obassanjo au Nigéria  et du général Sékouba  Konate de la Guinée. Le dialogue politique qui peine à prendre devrait permettre aux uns et aux autres de  préparer  et  d’organiser  des élections consensuelles, inclusives et apaisées de 2019. C’est là un gage de stabilité pour le pays, donc pour nous tous.

Ce sont là des questions majeures sur lesquelles le président Messaoud devra insister.   Rapportant  les propos de son président  notre source  nous  confie que le souci  principal de Messaoud  aujourd’hui, comme hier  est de « réussir à mettre d’accord l’ensemble des acteurs sur le minimum de consensus  autour  de ces questions qui conditionnent l’avenir de notre pays.» Pourvu que ce que prêche l’ancien président de l’assemblée nationale  ne se heurte pas aux  intransigeances des uns et des autres. Même si le pouvoir  déclare qu’il n’y a aucun sujet tabou lors du dialogue, la tâche ne sera pas facile tant que certaines questions, comme le 3e mandat ne seront pas éclaircies. Et certainement  la délégation du FNDU qui rencontrera le président Messaoud  ne manquera pas de demander à être  édifiée sur les dispositions  du président de la République. Et ça risque fort d’être plat de résistance lors de cette entrevue.

Un front contre un 3e mandat

Pendant que le président Messaoud manœuvre pour  créer les conditions d’un dialogue inclusif, le FNDU s’attèle, quant à lui  à la mise en place d’un large front du refus au 3e mandat pour le président Mohamed Ould Abdel Aziz. A en croire  le président du Forum, Saleh Ould Hanana,  depuis quelque temps, des contacts sont  organisés pour  créer un front contre le 3e mandat. Une question que le FNDU mettra très certainement sur la table face au facilitateur.

D’ailleurs, sur la question, le Forum a exprimé  son opposition au cours d’un point de presse que ses responsables ont  organisé au lendemain des sorties des ministres. Le Forum rejette catégoriquement cette option  qui, n’est ni juridiquement  possible, ni moralement acceptable. Fort de cela, le forum a mis fin à tout contact avec le pouvoir tant que celui si n’aura pas  récusé ces ministres. Comment Messsaoud Ould Boulkheir pourra-t-il faire revenir le forum sur sa position ? wait and see.

DL