Institution d’une Journée nationale de lutte contre l’esclavage : Comme une opération de charme, clin d’œil aux bailleurs de fonds ?

10 March, 2016 - 00:16

Le gouvernement mauritanien vient d’instituer, lors de son dernier Conseil, une journée dédiée à la lutte contre l’esclavage. Un énième  acte posé pour éradiquer cette pratique honteuse et dégradante pour une partie de la population mauritanienne, particulièrement  chez les Harratines. Bien que le pouvoir s’entête à nier  l’existence de l’esclavage en Mauritanie,  il continue, cependant, à adopte des textes visant à l’éradiquer. Des décisions qui peinent à convaincre les organisations  de lutte contre cette pratique. Pour certains observateurs, l’adoption de ces textes et la fondation de Tadamoun ressemblent plutôt à une opération de charme, à l’endroit de la composante harratine dont certains, comme El Hor, proclament, désormais ouvertement, leur « hartanité ».

Face à la montée des revendications identitaires et/ou communautaristes, le  gouvernement  mauritanien a  fait  voter, sous la présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz,  un important  arsenal juridique, avec, en couronne, la loi  érigeant  l’esclavage  en crime contre l’humanité.  Et,  depuis jeudi dernier, une Journée nationale dédiée à sa lutte. Un nouveau geste fort du gouvernement  qui poursuit, ainsi, la volonté politique de son chef, à débarrasser la Mauritanie de cette honteuse tache. Des textes venus s’ajouter  à   la circulaire de Hamoni,  en 1966, celle de 1981, sous Haïdalla, et de la loi promulguée, en 2007, sous Sidi ould Cheikh Abdallahi.  

Réactions mitigées 

Interrogée,  par Radio France Internationale (RFI), sur le sens de cette journée, la présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), Irabiha mint Abdel Wedoud, déclare : «. Cette journée démontre réellement la volonté politique du gouvernement mauritanien, de la Mauritanie toute entière, d’éradiquer définitivement ce fléau qui n’a plus de raison d’être aujourd’hui » Un avis que ne partagent  pas  certains   responsables d’organisations de défense des droits de l’homme, pour qui il ne s’agit que de « l’indéracinable politique de fuite en avant à laquelle le pouvoir en place a habitué aux Mauritaniens ». Pour  Aminetou mint Moctar, présidente de l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), une Journée dédiée à la lutte contre l’esclavage doit  avoir un sens et non obéir à l’humeur  du gouvernement : « elle doit, à notre avis, célébrer le courage d’un ou des  résistants à cette pratique, je veux  parler, par exemple, des militants d’El Hor embastillés et  torturés. Nous, militants des droits de l’homme, avons lutté pour une loi  criminalisant l’esclavage, puis l’érigeant en crime contre l’humanité. Mais  à quoi ont servi ces textes ? A presque rien, sinon, à la consommation extérieure ». Et Mint Moctar de relever l’attitude paradoxale du gouvernement qui, pendant qu’il nie l’existence de l’esclavage en Mauritanie, se hâte à faire voter des textes ou à prendre des décisions déroutantes.  « Si le gouvernement veut réellement éradiquer cette pratique », s’interroge la présidente de l’AFCF, « pourquoi ne fait-il pas  évoluer les dossiers, en souffrance devant les tribunaux, depuis l’érection de l’esclavage en crime contre l’humanité ? » Et d’ajouter : « Aujourd’hui, nous sommes sidérés par le comportement de jeunes magistrats maures, plus  conservateurs et arrogants que les anciens, alors que nous nous attendions à une nouvelle classe de juristes, plus ouverts, plus  courtois, plus rapides dans le traitement des dossiers… Tous les dossiers que j’évoque dorment dans leurs  tiroirs. C’est  pourquoi ai-je parlé de décision destinée à la consommation extérieure ».

Samory ould Bèye, président du Mouvement El Hor, renchérit : « Cette décision du pouvoir ne nous surprend pas, dans la mesure où il nous a habitués à une politique de fuite en avant. En instituant cette journée, il cherche à berner l’opinion nationale et internationale, c’est de la propagande destinée aux bailleurs, au moment où le pays se débat dans une crise financière chaotique ».  Une  accusation qui trouve son fondement dans les  déclarations  du  secrétaire général des Nations Unies,  monsieur Ban Ki Moon, qui, après s’être félicité, au cours de sa visite à Nouakchott,  des mesures prises par le gouvernement pour éradiquer  l’esclavage, a  appelé à l’application et au respect des textes votés.  « Mieux veut  faire appliquer l’arsenal juridique  disponible que d’en ajouter. Pour nous, à El Hor et à la CLTM, cette journée est sans objet », conclut Ould Beye.

Même son de cloche du côté du Mouvement abolitionniste IRA. Réagissant également sur RFI, son  secrétaire aux Relations extérieures, monsieur Balla Touré  déclare : « Les autorités mauritaniennes nous ont habitués à cette politique de fuite en avant. Tous les rapports des spécialistes des Nations unies et des défenseurs des droits de l’homme insistent sur la persistance des pratiques esclavagistes en Mauritanie ». Et d’ajouter  « C’est une bonne chose de durcir les peines encourues, mais encore faudrait-il appliquer la loi. Or les autorités sont en plein déni face à la persistance des pratiques esclavagistes ».

Voici l’arsenal juridique dont dispose la Mauritanie, pour éradiquer les pratiques et séquelles de l’esclavage : Préambule à la Constitution du 20 Mai 1961, faisant référence à la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 Décembre  1948 ; code du Travail (loi N° 63023 du 25 Janvier 1963, révisé en 2004 ; ordonnance du 9 Octobre 1981 ; ordonnance N° 83.127 du 5 Juin 1983 (réforme foncière) ; loi N° 2003-025 du 17/7/2003, (répression de la traite des personnes) ; loi n° 2007-48 du 3 Septembre 2007 criminalisant l’esclavage ; fondation de l’agence Tadamoun ; adoption d’une feuille de route, en Août 2015 sur l’esclavage. Il s’agit, certes, de grands pas théoriques… mais  qui gagneraient à être traduits dans les faits.

DL