De la femme et du 8 Mars : la longue marche

10 March, 2016 - 00:15

Le 8 Mars, une date, un événement, donc une histoire, histoire de femmes mais pas d’historiettes, histoire de ces femmes consciencieuses, battantes, qui veulent vivre leur vie, y compris de couple, pleinement, loin de tout masochisme. Plus question de patience, plus  question de souffrir le martyr, encore moins de servir de souffre-douleur et ne voir, au bout de cette vie obscure, que la fatalité d’une évolution déclinante, sans espoir.  Le sexe « faible », comme le disent certains hommes, avec cette dose de  condescendance impure, impropre caractéristique du sexe « fort », a décidé de tonner, crier, tout haut et dans tous les espaces, pour se faire entendre. La femme, cette noble créature,  le plus souvent pudique, souriante voire soumise, se redresse de tout son buste, pour marquer sa présence dans le vaste territoire de son semblable d’homme, le filou qui lui a enseigné et fait admettre son statut d’éternelle seconde ; lui a fait comprendre, avec cette  pellicule  d’hypocrisie dont il est passé maître, que sans elle, il n’est rien, lui non plus, car elle est, bel et bien, indispensable : indispensable génitrice, indispensable mère, tante, éducatrice ; indispensable, aussi, ‘’fouteuse de merde’’, empoisonneuse de vie… Indispensable, avec sa tête pleine d’idées, souvent inavouées et subtiles, qui donnent le tournis à son complice de gaillard de mec. De la femme, le beau, le naturel ; de la femme, le creuset de toute la contradiction de l’espèce humaine, de la gentillesse à la méchanceté, du sourire aux pleurs, une sacrée créature insaisissable, au parcours historique ondulé où les intrigues alternent aux coups-bas, sur le terrain de la trahison, avec ce mélange explosif de passion et d’affirmation de soi. En convoquant l’Histoire, de la Grèce antique  aux plus reculées contrées d’Afrique, en passant par la vallée du Nil, combien aura-t-elle fait tomber d’hommes, enseveli beaucoup d’entre eux, détruit des royaumes, anéanti, directement ou indirectement,  dans des conditions souvent atroces, des vies qu’elle avait, auparavant, engendrées; alimenté, depuis la nuit des temps, les légendes et autres contes de fées ; aussi participé à l’avènement d’un monde nouveau, en faisant étalage de son savoir-vivre, de son savoir-faire, de son savoir, tout simplement, de son  intelligence, de son courage et, surtout, de son « innocence », comme disait madame Zakya. 8 Mars, date historique de son épanouissement,  marquant la rupture avec le regard minimaliste des autres, la femme se bat, dans toutes les stations formelles ou informelles, pour ne serait-ce que s’inscrire « autrement », dans la marche du Monde. Faire valoir ses talents, ses ambitions.

 

Stop à l’amalgame !

Du 8 Mars, oui, la fête des femmes ! Mais quelles femmes, serait-on tenté de demander ? La femme née sous le néon, à l’embonpoint visible,  qui comptabilise son parcours émancipateur, par le nombre de conseillers, de députées, de directrices et autres ministres de façade qui ne font qu’amuser la galerie ? Ou celles qui, en ce début de 21ème siècle, comme Vatma à Melzem Teïchett, Aïssata à Bambyol ou Fatimata à Hajjar, souffrent dans leur chair, avec cette peur, permanente, de laisser leur vie sur un bout de natte, sous le regard impuissant d’une accoucheuse, faute d’infrastructures de santé ? Et ces milliers de femmes du monde rural, ces héroïnes de l’arrière-pays, analphabètes, mal nourries, évoluant dans  un monde de brutes fait de viols, de violations, un monde de silence, un  silence coupable ; donc sans éducation ni justice. Ces autres, nombreuses et anonymes, qui parcourent des kilomètres, pour un peu d’eau,  ou bois de chauffe ; histoire d’entretenir une marmite qui – hélas ! – s’expose plus  au soleil qu’au feu ; ces autres ne sont pas sur les plateaux de télévision, encore moins  les ondes des radios, pour parler de la femme sise au bas de l’échelle, normée par leurs consœurs instruites. Cynique attitude qui fait, de l’amalgame, un credo marchand des privilégiées de la grande masse. Du 8 Mars, on ne retient que la  mode-mondialisation oblige, peut-être, à un folklore que célèbrent les femmes par quelque expositions de patates et carottes  ramollies, de « melehfa » ou « dampé », pourtant confectionnés, avec dextérité, par ces braves qui, du lever au coucher du soleil, arpentent les marchés, qui pour vendre, qui pour acheter de quoi se nourrir, un rythme infernal qui fait penser à Sisyphe et son rocher. Oui, il est important de donner, à toutes ces femmes qui comprennent peu ou prou,  le  bien-fondé de cette journée qui leur est consacrée, officiellement depuis 1977, par l’ONU.

 

La fête aurait dû…

Coté officiel, même scenario, rengaine, répétition. Alors que cette date devrait poser un autre regard sur la condition de la femme – un regard d’équité, de justice, un regard qui l’élève, qui interroge son parcours  et son évolution, elle en résume la peine à quelque exposition. Le  8 Mars devrait, normalement, dresser le bilan de plus 50% de la population du pays, poser les statistiques d’une vraie et réelle intégration  des femmes, dans tous les secteurs de la vie socio- professionnelle, en lieu et place d’un listing des « efforts du chef de l’État, de son Premier ministre et de son gouvernement », fade litanie, de surcroît harassante et creuse, qui en rajoute à  cette  fausse  apparence jusque-là entretenue par les décideurs. De la vendeuse de couscous à la teinturière, de la commerçante du «Thioub Mali » à la tresseuse de fortune, le 8 Mars aurait dû être le creuset d’un dialogue interprofessionnel, avec, à la clé, les opportunités économiques, pour les femmes, de ne plus se cantonner en des espaces fermés. Une occasion, pour ces dames, d’initier des nouvelles pistes qui rendraient possible la nécessaire articulation entre  discours pompeux et la réalité. Une réalité marquée, côté officiel, par le même scenario et la rengaine. Sous les applaudissements  de l’assistance, en présence des autorités administratives et communales, la représentante régionale du MASEF débite, religieusement, comme ses consœurs des autres wilayas, le discours de leur cheffe qui, dit-on, s’occupe seulement des enfants et des femmes. Après, c’est la balade entre les stands et, là encore, les responsables régionaux observent, d’un œil nonchalant, les étals de fortune, avec quelques arrêts réputés sympathiques, ponctués de questions à la pauvre femme qui sait, elle au moins, que son calvaire ne sera point soldé par cette demi-journée à son honneur…

 

Biry  Diagana

 

 

 

Encadré

Qu’en est-il de la multiculturalité ?

Qui sont-ils,  ces citoyens anonymes, vivant,  bon an mal an, sur le même espace géographique, avec les mêmes difficultés que la Nature leur impose, par ses multiples facettes : sécheresse,  famine, désœuvrement ; en un mot, sous-développement ? Dans cette ambiance morose et délétère,  ils ne trouvent que le terrain du communautarisme et du repli identitaire, comme panacées à leurs problèmes. En convoquant l’histoire et la religion, les pensées se croisent, se mêlent et s’entremêlent, pour ne faire qu’une. Est-ce ainsi, se demande-t-on, aujourd’hui, au regard des étapes franchies qui ont jalonné leur évolution, suivant les différentes échelles socio- économiques, que le déficit de pensée du comment vivre ensemble est devenu la faille ou s’engouffrent, subtilement, tous les avatars d’un déchirement qui ont conduit à ce morcellement, à cette atomisation fragile,  pour poser les germes d’un « tsunami social » aux conséquences désastreuses ? La Mauritanie contemporaine se cherche un canevas, une identité républicaine qui rassemble, anéantissant les démons de la division. Pour cela, vont-ils réinventer, ces citoyens, un style, un tempo, une démarche ? Vont-ils continuer à se regarder en chiens de faïence, en cultivant la méfiance, le mépris et la condescendance, pour davantage alimenter les mauvais esprits de la haine et de l’indifférence ? Cinquante années d’indépendance, cinquante années d’hypocrisie politique qui semblent arrêter le temps, le temps de l’introspection et de l’autoévaluation, baromètres fiables pour des réponses aux nouvelles inquiétudes, aux frustrations cumulées, aux questionnements multiples et existentiels. De la Vallée aux confins du Sahara, des royaumes du Fouta aux émirats du Nord, en passant par les «  bours » du Walo, l’histoire de ces citoyens-là est plus que riche et variée, pleine d’enseignements, aux effets expansibles sur leur vie présente. La richesse d’un pays ne se résume pas seulement à l’existence ou à la coexistence de communautés différentes mais, surtout, à leur capacité, singulière, à transformer, ensemble, leur environnement, à bâtir un espace convivial, normalisé et pérenne. Car, au delà de la rengaine que semble chanter tout le monde, à l’unisson, autour de l’unité nationale, les gestes forts, fondés sur l’équité, ne sont ils pas plus expressifs que  le discours émotionnel adoucissant  ou les festivals bruyants de chansons et de danses où les spectateurs n’écoutent les pas sur les planchers que pour oublier, sitôt, la quintessence de leur diversité.  Mais que peut-on trouver de mieux que la diversité dans la stabilité, un produit exportable qui pouvait, n’eut été le management affreux des politiques, faire cas d’école pour les générations montantes ? Il ne sert à rien de se voiler la face, de contourner les problèmes, alors que, quotidiennement, les citoyens sèchent leurs larmes sur le roc de l’insoutenable surdité des gouvernants  qui, chaque jour, se plaisent, en bons sadiques, à les voir faméliques et souffrir, sous leur regard incrédule et éhonté.

Biry Diagana

 CP Gorgol