Visites présidentielles : Hypocrisie, quand tu nous tiens…

21 May, 2015 - 03:13

Depuis  que le président de la République a entamé une série de tournées à l’intérieur du pays, les ressortissants de chaque région figurant sur l’agenda des visitations s’agitent. Des réunions se tiennent çà et là, des conciliabules et des  quêtes pour « se » remplir ou « remplir la sébile » itou. Car, pour certains cadres, élus et autres notabilités, les visites présidentielles sont des aubaines pour mettre de l’argent de côté. Remue-ménages pour accueillir notre guide éclairé « dans les conditions les meilleures », pour « faire mieux » que les autres régions déjà visitées. Et, le plus souvent, l’argent  collecté est tiré des poches des cadres dont la plupart tirent le diable par la queue. La visite du Président coûte donc aux « contribuables » mauritaniens.

Mais ce qui est très grave, voire inacceptable c’est que le gouvernement se mette à tromper et le président  de la République et l’opinion nationale. Sommes-nous à ce point dupes ? Exemple : depuis que la visite du Président au Brakna est programmée pour le 28 Mai, le CSA a décidé de multiplier les sorties de ses remorques, le ministre de l’Agriculture ne dort que d’un œil, le commissariat aux droits de l’homme et à l’action humanitaire dépêche mission sur mission de sensibilisation sur le terrain. L’esclavage et ses séquelles sont expliqués aux populations pauvres des adwabas. Tout est fait pour préparer le terrain et empêcher le président de la République de constater, de visu, les vrais problèmes que vivent nos populations de l’intérieur. Si tant est qu’il veuille bien les voir…

Les manquements constatés, sur l’avancement de certains projets, importants à ses yeux, dans les  régions déjà visitées, les problèmes d’approvisionnement des boutiques Emel et des banques de céréales, du blé pour le bétail rudement éprouvé et sa mauvaise qualité, décriée par les populations au cours des réunions de cadres, ceux des journalistes, lors des conférences de presse, ont donné des idées à certains de nos ministres pour  s’éviter les foudres du Président que tel ou tel de leurs collègues se sont prises, en tel ou tel site visité.

Il est bien beau qu’un président de la République se rende auprès de ses  concitoyens, pour partager, avec eux, leur vécu, constater le déroulé de son programme électoral, recueillir leurs doléances afin d’y apporter des solutions de redressement rapide. Mais il serait plus indiqué qu’il puisse voir et vivre, ne serait-ce qu’un petit moment, ces problèmes. Nos « responsables » ont su jouer avec le Président et les populations. Le premier ne voit que ce qu’on veut qu’il voit, les seconds se contentant de rester à attendre sous le soleil pour applaudir le passage du cortège présidentiel. Ce n’est qu’exceptionnellement défaut et toujours après filtrage, qu’ils trouvent l’occasion d’évoquer leurs difficultés quotidiennes, en s’adressant directement au Raïs. En fait, les autorités locales, les ministres et les cadres concourent à empêcher le moindre contact direct, a contrario de ce qu’on prétend, entre le sommet et la base. Tout ce beau monde vient former un écran entre le Président et les populations pour lesquelles il dit s’être déplacé.

On balaie, on peint, on remplit les magasins, on reçoit les chefs de village, les chefs de tribus, les hauts cadres, les officiers supérieurs, pour mettre en place un plan d’accueil qui s’emploie à « inviter » les populations à s’abstenir d’indisposer le boss. Les walis informent et s’informent pour éviter les clashs, lors des réunions des cadres. Et, comme on l’a dit tantôt, la liste des intervenants, toujours soigneusement filtrée, fait l’objet de rudes et âpres discussions, lors les réunions de cadres.  Bref : au-delà du folklore qui les entoure, les visites présidentielles se sont transformées en véritables comédies, cirques grotesques, bals masqués.  A défaut de pouvoir les réformer, il serait préférable, comme l’avait suggéré feu Habib ould Mahfoudh, premier directeur du  Calame, de faire venir à Nouakchott les régions promues à visite présidentielle. Ça coûterait moins cher  au budget de l’Etat mais permettraient, à tous les heureux filtrés, de rencontrer le Président directement dans son palais. Et donc de partager, avec lui, le probablement meilleur des tagines.

Pour l’heure et tandis que les ressortissants du Brakna s’agitent pour voir leur Président, le dialogue politique demeure en gestation. Si le FNDU planche sur les commentaires de la réponse du gouvernement à sa plateforme, les responsables de la CUPAD crient à la marginalisation de leur pôle politique et jettent un pavé dans la mare, laissant entendre qu’ils ne s’opposeraient pas à des amendements constitutionnels, notamment ceux relatifs au cumul des mandats présidentiels, à la seule condition que cette décision fasse l’objet d’un consensus entre les parties prenantes au dialogue. Une position qui risque fort d’exacerber les tensions entre ce pôle et le FNDU. Sempiternelles querelles qui semblent ravir le Président : n’est-ce pas au lendemain même de leur conférence de presse, il y a huit jours que celui-ci a reçu en audience les responsables de la CUPAD ?

Dalay Lam