L’humanité au service des transhumanistes– IX/Par Ian Mansour de Grange

27 March, 2024 - 15:10

Partenaire de la force du peuple (démokratia, en grec ancien), l’école républicaine – c’est-à-dire, de la res publicae, en latin ; chose publique, en français – devient la pensée humaine, active, du lieu et le fondement de l’exploitation intelligente et durable de celui-ci. Consacrée sept à huit mois sur douze à l’éducation des enfants, elle peut également aider à la formation continue des adultes durant les vacances scolaires, moyennant des accords précis avec la société civile locale appuyée par diverses ONG nationales ou étrangères. Une dynamique d’autant plus enrichissante, non seulement pour la localité et les gens qui l’habitent mais aussi pour les différents niveaux de gestion globale de notre complexité environnementale et sociale (1), que cette société civile locale mobilise un nombre croissant de personnes, notamment dans l’organisation de Solidarités de Proximité (SP) (2).

Inspiré des relations de voisinage si fortement encouragées par le prophète Mohamed (PBL), le concept vise à promouvoir un nouveau type d’OSC réduites dans l’espace et particulièrement souples dans leurs statuts, compte-tenu de la mobilité des gens, notamment en milieu urbain. Une SP assemble tous les habitants d’un même quartier, sans distinction d’âge, de sexe, de nationalité et de religion, ce qui la distingue notamment d’une jama’a. Elle vise à organiser un certain nombre d’ANGR non-prises en charge par l’État – entraides localisées, salubrité des ruelles, loisirs extra-scolaires des jeunes, etc. – et, si nécessaire, apporter son concours à celui-ci en diverses de ses propres ANGR, par exemple en matière d’éducation, paix sociale, sécurité des biens et des personnes, étude et qualité de l’environnement… Elle doit disposer pour ce faire de terrains garantis par IPP et de ressources budgétaires tirées d’une ou plusieurs AGRC.

Nous voici au cœur même du rétablissement de liens concrets entre le local et le global. Chaque AGRC financière d’une SP est en effet chapeautée par un Comité de Surveillance de Gestion (CSG) réunissant les trois secteurs de l’organisation sociétale : l’État propriétaire du foncier, représenté à l’ordinaire par un agent communal ; le Privé et/ou les PTF, en la personne d’un représentant des dons et legs (une ONG nationale, par exemple) ; et le Civil, en celle du trésorier de la SP ; chaque mandataire chargé d’assurer la transmission des informations et des décisions en leur secteur respectif. Un processus de communications entre le local et le global s’affine au fil du développement des SP dans l’espace et le temps, ajustant constamment les stratégies en hauts-lieux aux réalités objectives du terrain. « Cela signifie notamment qu’une réforme d’ampleur nationale [et, partant, internationale, NDR] s’élabore dans un panel diversifié de petites localités rurales, d’humbles quartiers de la capitale, s’y expérimente et s’y affine à moindre frais, dans toute la globalité d’une vie quotidienne banale, avant d’entrer dans les cartons parlementaires. On veut parler démocratie : ce sont les petits nombres qui font les grands, tout comme les sources, les océans (3) ».

 

Attention soutenue aux maillons faibles

Mais on connaît, de longue date en Mauritanie, l’extrême difficulté à entretenir des sources pérennes, atteindre les nappes phréatiques durables, organiser lucidement en conséquence la vie autour de ces précieuses effluves. Cela nous a poussé à cultiver un opportunisme à brèves échéances dont on a peine aujourd’hui à s’extirper, alors que tout nous indique – à commencer par les embouteillages à nos carrefours…  – l’urgence de nous donner des perspectives. Et d’y aller, en nous tenant à nos plans, lentement mais sûrement. Partons ici de la fondation d’une première AGRC au profit d’une OSC (association de parents d’élèves ou SP) : c’est l’unité de base, expérimentale, d’un projet d’ampleur à tout le moins nationale sur lequel on doit toujours garder un œil attentif. Dès ses prémisses, il s’agit donc d’assurer la reconnaissance mutuelle des personnes locales, physiques et morales, impliquées en chacun[h1]  des trois secteurs – Privé, Civil et Public – et leurs communications avec des instances idoines à un niveau plus global.

Avec une attention évidemment toute particulière à l’inclusion de l’AGRC dans le marché dont elle tire tous les revenus de l’OSC locale. Cela peut prendre du temps (rodage de la production, fidélisation des AGR en amont, etc.) et les malheureux aléas du premier projet d’envergure mettant en jeu le concept IPP (4) en Mauritanie ont[h2]  mis évidence des déficiences dans les communications transversales entre les trois secteurs – privé, civil et public – avec notamment des lourdeurs procédurières du côté des bailleurs dont les délégations semblent assez désarmées, semble-t-il, dans le suivi et l’adaptation post-contrat des projets qu’elles  financent (5). On notera cependant que les quatre IPP bâties en brousse et équipées pour achalander le marché spécifique que l’association Produits d’Excellence d’une Filière de plantes MEDIcinales en Mauritanie (PREFIMEDIM) n’a pas pu organiser sont toujours debout, protégées par leur statut et prêtes à apporter des ressources à leur communauté respective. La polyvalence de leurs installations est de nature à les insérer en d’autres filières, comme celle des produits forestiers non-ligneux ou son homologue maraîchère.

On remarquera enfin que les aléas du marché peuvent être considérablement réduits si le secteur privé intéressé en aval à la production d’une AGRC fait partie des bailleurs de celles-ci. « De fait, c’est à l’importance des investissements privés dans le domaine civil, qu’on mesurera la solidité du trépied assurant un développement enfin durable du bien-être des gens. À l’ordinaire conflictuelle depuis au moins un demi-siècle et de plus en plus spectaculairement avec le développement des réseaux sociaux, la dialectique secteur privé-société civile – plus exactement buts lucratifs et non-lucratifs – est ainsi amenée à se découvrir dynamisme gagnant-gagnant. Avec – hypothèse à ne surtout pas négliger… – le risque croissant d’affadissement de ces différents buts par osmose incontrôlée, excessive. Peu ou prou défini, comme c’est le cas actuellement, le domaine civil est un terrain propice à toutes les filouteries, blanchiments d’argent et autres détournements de deniers publics. Il s’agit de bien le structurer pour l’épargner de telles tumeurs.

 

Le public régulateur de la dialectique civil-privé

S’il conviendrait ici que le secteur public suive de près – mieux : accompagne – chaque investissement du privé dans le domaine civil, on n’oubliera pas que la loi suit l’expérimentation et non pas le contraire. Une fois défini un cadre tout-à-la-fois assez précis et souple d’expérimentations – la condition de l’incessible et de l’inaliénable, on l’a vu, en paraissant la plus sûre donnée – l’État et/ou ses démembrements récoltent, via surtout la Société civile, les essais et les erreurs du tandem privé-civil, avant d’affiner ledit cadre par une activité législative constamment prête à rectifier son propos. Sans présumer, bien évidemment à ce stade de prospection du concept, des probables avantages, en particulier fiscaux, que le secteur privé pourrait obtenir de l’État dans la construction du domaine civil, on notera surtout combien celle-ci est naturellement amenée à développer le civisme et la collaboration active entre chaque citoyen et l’État. Économie de moyens, à coup sûr. Renforcement de la Nation, établissement enfin d’une ligature forte entre le local et le global – prémisse incontournable d’une gestion respectueuse de la vie sur notre planète bleue – saisit-on maintenant les enjeux du domaine civil ? (6) »

Deux ou trois dizaines d’IPP à l’horizon 2030, soutenant les ANGR d’autant d’OSC locales volontaires et constamment entretenues dans leur exploitation intelligente de leur milieu de vie ; mille fois plus en 2050 : avec quelles répercussions inouïes sur les politiques publiques et leurs rapports avec les PTF ? Quelle république, alors, en Mauritanie ?  Quelles singulières ouvertures dans les relations entre les peuples, les États, leurs territoires et la vie qui les habite ? C’étaient à ces perspectives que je songeais déjà, il y a une quinzaine d’années, en évoquant « la fécondité d’une différence manifeste » [h3] que signalent la situation et l’histoire de la Mauritanie, une nation si jeune et pourtant riche d’un tel capital d’humanité. Ses communautés locales espèrent profiter au mieux de l’une et l’autre, son oligarchie semble d’autant plus prête aujourd’hui à les y aider que de plus hautes instances insistent à protéger et renforcer les actifs naturels (l’humain, l’environnement, la diversité biologique…) de notre planète. Est-ce le signe d’un parti pris décisif pour « plus d’humanité » ? Pour avancer une réponse positive à cette question cruciale, il reste à constater le développement conséquent [h4] d’un domaine civil fermement tenu à l’incessible et l’inaliénable : garantir à ceux-ci un espace inviolable est la clé de la pérennité des échanges, tout comme le mouvement de la roue tient à l’immobilité de son centre… Ce fut à la découverte de cette loi que l’humanité se civilisa, voici dix mille ans, dit-on. Est-ce à la réentendre que les transhumanistes savoureront-ils enfin le plaisir d’être, mieux connectés au partage universel, tout simplement plus humains ?

 

Maata Moulana

manstaw@gmail.com

NOTES

(1) : Via un archivage dans les ordinateurs et la bibliothèque de l’école de toutes les données et initiatives locales, au mieux transmissibles par Internet…

(2) : Voir ma série « Solidarités de proximité », publiée en Mars-Avril 2008, dans le journal « Horizons » (Nouakchott) ou les sous-chapitres « Côte-à-côte » et « La Solidarité de Proximité, prémisse de la citoyenneté », in « D’ICI À LÀ », Éditions Joussour Abdel Aziz, Nouakchott, 2023, pp. 332-340.

(3) : « D’ICI À LÀ », op. cité, p. 50.

(4) : Voir le chapitre « Le PSI de la PREFIMEDIM, un programme pionnier ? », in « LE WAQF […] LA MAURITANIE […] », Éditions Joussour Abdel Aziz, Nouakchott, 2023, pp. 191-206.

(5) : Sans parler bien évidemment des lenteurs pachydermiques du secteur public, en particulier dans les communications entre ses services…

(6) : « LE WAQF […] LA MAURITANIE […] », op. cité, pp 221-222.