Elections présidentielles au Sénégal : Le président et le juge, la fin de l’épilogue

20 March, 2024 - 10:16

Le juge constitutionnel du Sénégal avait, par décision en date du 1 5 février 2024, déclaré contraire à la constitution la loi de révision constitutionnelle du 5 février 2024 reportant la date de l’élection présidentielle au 15 décembre 2024, et annulé le décret du président de la République en date du 3 février 2024 pour manque de base légale (cf. notre commentaire sur cette décision).

Le juge constitutionnel s’érigeait ainsi en gardien de l’ordre constitutionnel et politique établi par la constitution, dont le socle tourne autour de la forme républicaine de l’Etat et de l’alternance démocratique (Const. Art.27 et 103 )

Il invitait néanmoins, dans le même temps, le président de la République et les autres acteurs politiques à trouver des solutions de sortie de crise consensuelles dans le respect de la constitution.

Mais les propositions issues du dialogue national voulu par la Président Macky Sall et les autres acteurs politiques, fixant le premier tour de l’élection présidentielle au 2 juin 2024, s’écartaient à l’évidence de l’invitation du juge constitutionnel à tenir l’élection présidentielle dans le respect du calendrier républicain.

C’est pourquoi, saisi par le président de la République pour avis sur les conclusions du dialogue national, le juge constitutionnel a dans sa décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024, rappelé d’abord au président de la République la méconnaissance de ses obligations constitutionnelles, avant de rejeter les propositions du dialogue, en ce qu’elles ont pour effet de prolonger le mandat du président de la République au-delà de 5 ans.

Le juge souligne, par ailleurs, la prééminence de son rôle en matière électorale par rapport au président de la République, puisqu’il détient de la constitution un pouvoir régulateur de maintien de la continuité de l’Etat et de la stabilité des institutions, qui lui permet de prendre toute décision nécessaire au fonctionnement normal de l’Etat et des institutions.

 

Un problème juridique résolu

C’est donc bien dans le cadre de son pouvoir en matière électorale, que le juge constitutionnel a fixé la date du premier tour de l’élection présidentielle au 31 mars 2024, avant de s’aligner sur la date du 24 mars 2024 fixée par le président de la République, mais résolu également le problème juridique de la suppléance du président de la République après le 2 avril 2024.

Sur ce dernier point, le juge constitutionnel reconnait que l’hypothèse de l’expiration du mandat du président de la République sans que son successeur ne soit élu, en raison du non-respect du calendrier électoral, n’est pas prévue par la constitution (art 39 ).

Il considère toutefois, qu’eu égard aux circonstances particulières, si le scrutin du premier tour a lieu avant le 2 avril 2024, le Président Macky Sall reste en fonction pour assurer la continuité de l’Etat jusqu’à l’installation de son successeur, et les règles de la suppléance ne s’appliquent pas.

En revanche, si le Président Macky Sall décidait de ne pas rester au-delà du 2 avril 2024 à minuit, le Président de l’Assemblée Nationale assure alors la suppléance dans le cadre de l’article 39 de la constitution, et poursuit le processus électoral déjà engagé.

L’épilogue prend ainsi fin dans le respect de la constitution, sans que l’on puisse parler pour autant de ‘’ gouvernement des juges’’ ; car il ne s’agit ni plus que de juges gardiens de la constitution, dont les décisions révèlent que le temps politique n’est pas le temps juridique, d’où le conflit de temporalités constaté entre le président de la République et le juge constitutionnel.

Il reste que de telles décisions n’ont été possibles que grâce au courage du juge constitutionnel, à la pression des contre- pouvoirs et à l’existence d’une société civile sénégalaise consciente d’elle-même

Haimout BA

Juriste, Consultant

Ancien Professeur de droit & Ancien membre du conseil constitutionnel de la Mauritanie