Quand Ould Ghazwani « parle chinois » en Conseil des ministres (fin)

7 December, 2023 - 00:21

Tout ce qui se dit de Mohamed ould Ghazwani, il le sait lui-même. Parce qu’il reste, après tout, un mauritanien comme tous les autres et qu’il tient, comme tous les autres, son portable à portée de main. Certainement pas mon Nokia bas de gamme, mais un bel et bon i-phone qui lui permet de s’évader de temps en temps sur les réseaux sociaux pour écouter ce qu’on dit de lui et de la gestion de son régime.

Mais là n’est pas la question. Que Ghazwani se connaisse et sache très bien ce qu’on dit de lui, parfois très méchant, parfois faux et le plus souvent d’une insolence abjecte – notamment quand cela émane des Etats-Unis ou du Canada… – ne peut ni le dévier ni le déviera de sa trajectoire. Il s’est engagé devant le peuple et c‘est, à ses yeux, un contrat moral auquel il ne peut se dérober. Il s’est porté candidat et a été élu dans des conditions qui ne militaient pas toutes en faveur de son accession au pouvoir. Cela, il le sait aussi. Mais élu sur la base d’un programme électoral qu’il intitula « Mes engagements », Ould Ghazwani a donc signé un pacte avec ses concitoyens.  Celui-ci prévoyait la mise en place de mécanismes à caractère social et humanitaire dont « Taazour » fut le premier garant et engageait également celui-là à se démarquer de son prédécesseur, à lutter contre le gaspillage, le détournement des deniers publics et le pillage des ressources du pays.

 

Quand la Cour des Comptes rend compte à ciel ouvert

En Octobre 2023, la Cour des Comptes a publié un rapport de deux cent cinquante pages sur les contrôles effectués pour les années 2019, 2020 et 2021. Il fait état de graves « failles et de dysfonctionnements dans la gestion des deniers publics ». Le  ministère des Affaires sociales, de l’enfance et de la famille, celui de l’Environnement et du développement durable, le Fonds spécial pour la solidarité sociale et la lutte contre la pandémie du coronavirus,  le Bureau des douanes en  charge des conteneurs du port autonome de Nouakchott, l’Agence nationale du registre de la population et des titres sécurisés, le Commissariat à la sécurité alimentaire, la Société nationale d’électricité (SOMELEC), celle pour l’aménagement agricole et des travaux (SNAT) et son homologue des forages et des puits du  projet Dhary ont été cités.

Même si l’on peut attribuer, par exemple, les nombreuses violations des lois et règlements régissant la disposition des deniers publics de 2019 au régime d’Ould Abdel Aziz qui baignait dans le sabotage économique et la dilapidation des biens publics, on peut se demander pourquoi ce phénomène persista en 2020 et 2021. Ould Abdel Aziz n’était alors plus président mais un homme en conflit avec la loi. Peut-on donc aller jusqu’à dire que le mal ne vient pas de celui-ci mais de ceux qu’il a laissés derrière lui ? Oui évidement.

On doit l’admettre : il ya, chez nous, des « responsables » – divers secrétaires généraux, directeurs de département ou d’établissement public et assimilé, chefs de projet… – adaptables à tout régime, increvables, inchangeables, inconvertibles en bons gestionnaires honnêtes, parfois même indéplaçables de leurs fonctions, et qui n’en font tous qu’à leur tête. Ils n’ont peur de rien et ne mesurent pas les conséquences de leurs agissements sur la crédibilité du pouvoir en place.

S’ils se donnent souvent une apparence de « misérable », donc au-dessus de tout soupçon, ils baignent en réalité dans des centaines de millions d’ouguiyas détournés à l’insu des ministres. Et, quand bien même ceux-ci auraient vent de quelque « indélicatesse », ils ne peuvent parfois malheureusement même pas penser à les sanctionner, parce que ces « responsables » sont protégés par un ou des « En haut » fort proches des « Très en haut » placés. Et parce qu’aussi la culture de l’impunité dans ce pays dispose toujours d’un terrain fertile pour proliférer, à l’image du typha, cette plante invasive du fleuve Sénégal qui prolifère maintenant à la SOCOGIM PS, loin de son milieu naturel.

 

La bonne réputation d’Ould Ghazwani souillée par son entourage ?

Et dire que le rapport de la Cour des Comptes pour les années 2022 et 2023 n’est pas encore tombé !Ce sont justement ces deux années qui ont révélé le plus de scandales d’un genre nouveau dans la gestion des biens publics. Va-t-on devoir s’arracher les cheveux ? Enfin, bref, il me faut conclure et je m’y emploierai en empruntant à l’un de nos plus émérites avocats, le professeur Lô Gourmo, une de ses plus percutantes formules : « De l’une ou de l’autre ».

De l’une, donc, Ould Ghazwani n’est pas plus capable qu’Ould Abdel Aziz de « neutraliser » les « voleurs » nommés en conseils des ministres sous différents régimes ou, de l’autre, les ministres actuellement au pouvoir traduisent en grec – la deuxième plus difficile langue flexionnelle au monde… – ce qu’Ould Ghazwani donne l’impression de dire en chinois lors desdits conseils.

Si, pour respecter ses engagements, notre actuel Président doit se situer dans un camp, comme l’a dit Samory ould Bèye, et l’administration des départements ministériels de son régime dans un autre, il faut peut-être faire appel à Ould Haïdalla   pour mettre fin au laisser aller dans la gestion des biens publics. On ne l’a pas oublié : sous le régime de celui-là, le mot « détournement »avait été complètement rayé du vocabulaire de nos responsables…

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant