Passions d’enfance : Avant de tout oublier (29).Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

21 June, 2023 - 18:53

De nouvelles vacances
Une nouvelle aventure

À la fin de l’année scolaire 1962-63, Kneine et moi, nous décidâmes de regagner nos parents. Nous rééditâmes en partie l’aventure de Rkiz, cette fois-ci avec moins de risques, Il s’agissait de faire presque la même distance. Quelque trente kilomètres séparent aussi Mederdra de chez nous. Nos baluchons sur nos têtes, nous quittâmes Mederdra, un après-midi. Nous programmons de passer la nuit chez Ehel Mbarek, une famille dont la mère, feue Hawa, est originaire de chez nous, une proche parente à moi. Leur nom, Ehel Mbarek, se confond avec celui du puits, Chig Elkhaima, autour duquel leur famille ne cessait de nomadiser. À quelques reprises, Mbarek tomba dans ce puits et il en sortira par miracle indemne. Mbarek, Hawa et leurs enfants nous ont très bien reçus. Ils nous ont même proposé quelqu’un pour nous accompagner. Ce que nous avons refusé. Si on peut m’épargner la suite du récit de ce périple, puisque, faute peut-être d’incidents marquants, je n’en retiens franchement aucun détail.
 

« Le vagabondage à travers bois »
Depuis la première année à Taguilalett, les vacances pour moi étaient une occasion de réjouissances et de retrouvailles avec les parents et les amis d’enfance. Pendant les vacances, je faisais souvent la navette entre Dkhall et Jaala, entre les parents maternels et les parents paternels. Chez les premiers, je renouais avec les amis du groupe d’âge. On sillonnait les forêts et les marigots. Il m’arrivait d’organiser des cours de vacances au profit des enfants plus jeunes que moi. Je restais marqué par l’intelligence du plus petit d’entre eux, Mohamedhène Ould Abdellahi. Je me suis toujours demandé pourquoi, plus tard, à l’école, celui-ci n’avait pas réussi sa scolarité. Ça ne m’étonne pas quand même qu’il soit devenu un brillant infirmier médicosocial.
 

Quelques misères des vacances
À Jaala, chez les parents paternels, mes vacances étaient généralement perturbées par la participation à la garde des animaux domestiques. Dans les deux cas, l’école Coranique prenait aussi une bonne partie de mon temps. Je passais des fois des journées entières en brousse à la garde des moutons et chèvres. Une fois, un peu après le crépuscule, au moment où je rentrais avec le troupeau, un chacal, par méprise de mon âge, s’attaqua à un mouton. Je n’hésitai pas à me précipiter sur lui pour le chasser à l’aide de mon petit bâton, avant qu’il ne parvienne à tuer la pauvre bête et la dévorer. Heureusement, qu’il n’a pas eu l’intelligence de s’attaquer plutôt à moi. Il serait parvenu facilement à me chasser du troupeau et à s’alimenter tranquillement et à satiété. Ça me rappelle un récit du grand-père Bou qui avait réussi une fois à épargner la vie à une chèvre au moment où un lion se mit à courir pour tenter de l’atteindre avant lui.
Les corvées d’eau, presque quotidiennes, étaient souvent menées par des servantes, accompagnées parfois par des enfants, et des fois des filles de leurs propres maîtres. Dans la zone au nord du lac Rkiz, Jabhala, Aicha, feue Khoueidi, Zoulékha et d’autres étaient en permanence choisies pour la corvée d’eau, souvent à dos d’ânes. Au niveau des enfants, Ould Ebyaye et moi, nous les secondions dans cette contrainte quotidienne, une façon de nous entrainer à la rigueur de la vie nomade.
 

Remplir le temps mort
À Jaala, on vit parfois des moments d’oisiveté. Les quelques hommes de la Nezla, notamment Ahmada et son ami Ould Gneitt, s’ils ne sont pas au Sénégal, passent leurs journées à jouer aux cartes. Faute de partenaires, professionnels du jeu, ils procédèrent à la formation accélérée au jeu des jeunes femmes, comme Khadda et Mint Elkori et des enfants comme Ould Ebyaye et moi. Un jeune Idawaali, qui fera parler de lui plus tard, feu Abdou Ould Ahmed, habitant chez son parent Mmih, enseignant du Coran, leur tenait aussi compagnie. Je comprendrai plus tard qu’Abdou se retirait chez nous pour préparer son examen qui va inaugurer son début de carrière comme enseignant, et comme un singulier syndicaliste.
 

Miss Edkhal
Les mariages et les fêtes constituaient de rares occasions pour de grandes réjouissances. On était encore loin du temps où les baptêmes les concurrençaient à ce niveau. Les gens se mettaient à les préparer avec une avance suffisante pour assurer leur succès. Les mères des jeunes filles peinaient plus que les autres. Après une longue période de gavage, elles doivent préparer d’avance leurs filles pour les présenter dans leur meilleur état avec l’espoir d’attirer l’attention des jeunes hommes, dans la perspective de les marier. Le poète Ahmedou Salem Ould Dahi ne ratait jamais l’occasion de détecter la reine de beauté dans ce genre de festivals. À sa façon, il les proclamait souvent dans un poème. Ce fut au cours de ce genre de manifestations qu’il va couronner feue Marième Mint Bah par un poème célèbre dans lequel il comparait son succès à celui du président Nasser en Egypte. Une autre fois, il élira sa sœur feue Lehbouss ou toute autre « miss Dkhall ». Plusieurs décennies après, un courant conservateur se permit de dénoncer les concours des reines de beauté, alors qu’à nos yeux et à notre façon, ils constituaient une vieille tradition chez toutes les communautés du pays. Les concours de ce qu’on appelle « Raass Enaama: la tête de l’autruche », à une différence près, se recoupent avec les grandes cérémonies modernes de sélection des reines de beauté.
 

« Dreydeli »
Un autre moyen de distraction, un poste radio, l’unique de la Nezla, était l’unique relais virtuel avec l’extérieur. Faute de montre, on procédait comme pour s’assurer de l’heure de la prière, par mesurer avec le pied l’ombre de la silhouette de quelqu’un. Il ne fallait surtout pas rater « Dreideli », le générique d’ouverture de Radio Mauritanie, à midi moins cinq exactement. Plus de 50 ans après, au même lieu, à la même distance de la capitale Nouakchott, soit quelques 150km à vol d’oiseau, on peine aujourd’hui encore à capter Radio Mauritanie. Presque tous les membres de notre Nezla écoutent les programmes Radio, notamment la musique. Seul le grand père Bou ne prête attention à la radio qu’au moment où il entend des chants du vieux sage griot Elmctar Ould Elmeydah.
À l’aide du poste radio, les gens commencent à s’informer sur ce qui se passe dans le reste du monde. La Palestine, le Vietnam, la Rhodésie et l’Afrique du Sud, voilà les principaux sujets d’actualité dominants dans les journaux parlés. Une fois, dans une nuit d’hivernage, sombre, chaude et pleine de moustiques, je somnolais le soir devant la clôture des veaux. Plusieurs hommes dont le père Elmoctar et le grand père Bou, étaient arc-boutés sous des vaches laitières pour les traire. À quelques mètres de nous, devant une tente, un poste Radio diffusait le journal du soir de Radio Mauritanie. Il était question des peuples pauvres dans l’une des informations données.
 

« Parmi les pauvres peuples »
Fidèle à son humour habituel, Elmoctar s’adressa à Bou pour lui faire remarquer que par « peuples pauvres » on parle de gens comme eux. Puis, il ajoute, « je suis sûr qu’Aghayar (il s’agit de moi) est d’accord avec eux ». « Il nous prend certainement pour des pauvres », conclut-il. Et s’adressant à moi: « Aghayar, n’est-ce pas que tu nous prends pour des pauvres ? ». Je ne dis rien. Il m’ordonna de donner mon avis. Je ne me rappelle pas dans les détails de ma réponse. En ce moment, elle ne devait pas être très éloquente. L’idée exprimée est que nous ressemblions aux pauvres. « Tous les signes précaires de notre mode de vie prouvent que nous sommes en réalité des pauvres », expliquai-je. À l’école, nos livres de lecture, notamment les arabes libanais, nous donnaient une idée d’un autre monde meilleur, où la vie était plus facile, plus agréable. C’est uniquement cette bribe d’information qui fondait mon argument. Elmoctar ne dit rien. J’eus le dernier mot.
Une autre fois j’exprimais à Elmoctar, mon dégout pour la précarité de la vie rurale. Je gardais les moutons en brousse. Elmoctar passa me voir, accompagné par des dioulas qui voulaient lui acheter des moutons. Il avait l’habitude d’en élever un bon nombre pour après les vendre dans cette période de fin d’hivernage. En réalité il hésitait à en vendre un grand nombre. Je lui indiquai les moutons que je jugeais les plus gras. Il s’adressa à moi, manifestement en colère: « Toi, donc tu veux que je vende tout ! » Je répondis « Bien sûr ! » « Comme ça je vais me reposer. », complétai-je.
 

Création de l’arrondissement de Rkiz
 La création de l’arrondissement de Rkiz va accélérer le désenclavement de la zone. Un richard, Mohamed Salem Ould Selmane de la collectivité Smacide, va transférer sa boutique de la localité de Nderbegha au lieu choisi pour le poste de Rkiz. Nderbegha servira pendant longtemps comme point de relais sur la piste Rosso-Boutilimitt et entre Rosso et tout l’est du pays.
Il semble qu’une vive controverse avait accompagné la création de l’arrondissement de Rkiz. Le lieu choisi était contesté par les principales collectivités tribales. Même Idawaali, propriétaires traditionnels du lieu, lui préférait Bareina, à 30 Km de là. Ils sont allés jusqu’à presser leurs parents résidant dans la zone à être transférés à Bareina. Seule la fraction Smacide refusa de quitter. Ils transférèrent leur campement au site de la nouvelle création et deviendront, localement le plus fort groupe de pression.

(À suivre)