La France va-t-elle exposer notre région à une nouvelle version du Printemps arabe ?

16 February, 2022 - 19:07

La France est un grand pays, certes, mais au passé colonialiste tenace. À ce jour, elle continue d’entretenir sa domination sur les peuples jadis soumis à son joug et ce sans état d’âme, malgré son statut autoproclamé de « Patrie des Lumières ». Elle ne s'est pas contentée d'établir, dans la foulée de l’expansionnisme européen du 19èmesiècle, des colonies sur différents continents, contribuant à couper de leurs racines les peuples assujettis. Elle a également mis l’économie de ces pays en coupe réglée, semant la misère et jetant les bases d’une durable dépendance politique et économique, afin d’absorber leurs ressources et de les contraindre à ses seuls intérêts.

la France a ainsi gardé la haute main sur pas moins de quatorze pays, principalement en Afrique, détenant leurs soldes et dépôts, contrôlant leur balance des paiements et leur budget, imprimant leur monnaie, gérant leur commerce et leur économie, suscitant déficit à sa guise et gardant 50% de leurs réserves dans sa Banque centrale, générant, au passage, des bénéfices conséquents – pouvant aller jusqu'à 400 milliards d'euros ! – en soutien à sa propre économie. Le Trésor public français dispose d’environ 15% de son revenu national (2600 milliards d'euros en 2020) sans effort, derrière le paravent du Franc CFA. La France contrôle ainsi économiquement la vie de ces pays depuis des décennies et ne souhaite évidemment pas que cela change.

 

Humiliation et spoliation

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Elle a fait, des nations dominées, des peuples profondément aliénés culturellement et subordonnés, puisqu'elle a imposé la langue française comme langue de culture, de pensée, de littérature et de savoir dans ses ex-colonies, sans leur laisser d'autres options, notamment le développement de leurs langues nationales à l’instar des peuples d'Asie, afin qu’elles lui restent en permanence liées, à travers l’appartenance à la culture et à la nation françaises. La France en tire ainsi son poids international, tant au niveau du développement que de la place de sa langue dans le Monde. N'eut été l'adoption du français comme langue officielle par vingt anciennes colonies, celui-ci n’aurait qu’un statut mineur.

La France ne s'est pas limitée à l'humiliation et a la spoliation de ces peuples qui se sont appropriés la science et les expériences mondiales réussies, en continuant de s’accaparer de leurs ressources, ne leur laissant pas le choix de s'exprimer ou de gérer eux-mêmes leurs crises. Ce faisant, la France ne s’est guère inspirée de la tradition des grandes entreprises internationales qui soutiennent des projets sociaux, appuient l’édification des pays où elles opèrent, soutiennent leur stabilité et contribuent à lutter contre la pauvreté, en abandonnant l’idéologie coloniale. Tout au contraire, elle a poursuivi l'exploitation déloyale des richesses de la région. L’uranium du Niger en est un exemple patent. Voilà la France classée au premier rang mondial de cette industrie au moment où le Niger en occupe le dernier et demeure victime de la pauvreté et de l'analphabétisme, sans parler du déficit flagrant en infrastructures scolaires, agricoles et sanitaires...

La France traite également le Mali en réservoir de ressources à exploiter. Et de déployer à cet effet une armée de cinq mille soldats, dépensant 780 millions d'euros – soit un milliard de dollars par an – alors même qu'elle est incapable d’accorder 100 millions d’euros en soutien au Trésor public malien pour soutenir la paix. De même, elle n’apporte aucun appui significatif au développement du pays, ni à la reconstruction du Nord, alors qu’elle a investi dix milliards de dollars pour son déploiement militaire sur le terrain. Pourquoi ne tente-t-elle pas l'option du développement et de la paix?

 

 

La Russie à la rescousse

L'approche française dans la région est fondée sur l’exercice de la force ;pas sur la recherche et la consolidation de la paix. Elle n’accorde que peu d’importance au respect mutuel et à la reconnaissance de l'évolution du contexte, de la prise de conscience, des aspirations politiques et économiques des populations ou des équilibres sur le terrain. Sa politique continue d’avoir recours aux recettes héritées de la France-Afrique, époque où, sous couvert d’une amitié de façade, la mission de la cellule africaine de l’Élysée consistait à imposer l'hégémonie française sur cette région en changeant les régimes chaque fois que son intérêt l'exigeait. Mais il lui a bien fallu reconnaître les limites d’une telle politique et la pression internationale en faveur d’une évolution vers la démocratie. Des changements cosmétiques ont été alors apportés pour acter une telle évolution. La compagnie pétrolière Elf Aquitaine est ainsi devenue Total. Mais la politique africaine de la France est vite revenue à ses vieux démons, afin de préserver les avantages établis un siècle auparavant. Le rythme des coups d'État sur le continent reprit. Quatre décennies durant, plus de cent coups d'État réussis ont secoué l’Afrique, avec une moyenne de quatre par an ; en 1980, quarante-trois pays africains étaient dirigés par des militaires. Puis leur nombre a diminué après la vague de démocratisation, la pression des peuples, des élites et de la Communauté internationale aidant, jusqu'à ce que le nombre stagne, en 2001, à neuf.

En 2019, ce nombre s’est réduit à seulement deux tentatives. Puis il est remonté à 6 en 2021, après l'échec de l'approche initiée par les grandes puissances, qui s’est traduit par l'extension de la mauvaise gouvernance et l'échec des régimes à gagner le pari du développement, de la liberté et de la sécurité, sous la pression des défis de la pauvreté, du chômage, de la marginalisation et de la drogue, sous fond de systèmes éducatifs déficients et de troubles sociaux récurrents. À cela s’ajoute le soutien apporté par Paris à des régimes dépassés et largement corrompus, ainsi que l'échec des forces politiques locales à comprendre et traduire les attentes de leurs concitoyens. À telle enseigne que le rythme des putschs a rebondi, en 2022, avec dix-neuf chefs d’État provenant des armées ou de groupes rebelles armés les ayant aidés à accéder au pouvoir.

La France est venue déployer son armada pour faire face aux risques sécuritaires, alors que le peuple malien est en quête de développement et de sécurité. Du coup, celui-là s’est adressé à d'autres partenaires, dont la Russie qui menace désormais sans préalable les intérêts de la France et a confirmé sa volonté de soutenir le développement du Mali et de la région, suscitant une très forte résistance de l’ex-puissance coloniale. Ce contexte a contribué à l’émergence d’une élite hostile à celle-ci au sein de l'establishment militaire.

Cet exemple est loin d’être le seul dans la région et pourrait faire des émules. En quoi serait-il injuste de soutenir un autre État dans ses aspirations légitimes ? Notre continent saura-t-il affronter ces grands bouleversements ? Sommes-nous confrontés à un conflit international qui ne dit pas son nom et dont la cause serait la cupidité de certaines puissances qui veulent s’accaparer de nos richesses, sans aucun scrupule à reproduire les drames de la Libye et de la Syrie ?

Mohamed Mahmoud ould Bakar