En quoi, moi, femme musulmane, suis-je responsable des agissements du Dawlat Islamiya fi'Iraq wa Sham, cette ébauche de califat que les Occidentaux désignent sous le nom de Daech ? En quoi, moi, femme musulmane, devrais-je me justifier, m'excuser des barbaries et des dérives idéologiques des extrémistes qui ont décidé de fabriquer une histoire pseudo-commune aux musulmans, gigantesque tromperie sur la mémoire, notre mémoire, nos mémoires, celles du monde musulman ? En quoi, moi, femme musulmane, devrais-je demander pardon pour les meurtres, pour les décapitations, pour les attentats, pour les enlèvements, pour l'application aveugle de la Chari’a ?
Si cela devait être, ce serait de la responsabilité collective, principe apparemment appliqué qu'aux seuls musulmans que nous sommes ; comme si nous étions porteurs de tous les maux, que nous avions décidé du chaos instauré en notre nom. Quand les barbares parlent en notre nom, sont-ils mon nom, notre nom ? Qui suis-je , moi, simple femme musulmane, pour porter, sur mes épaules, toute la nouvelle mauvaise conscience de nos silences passés ? Et pour servir de catalyseur à une hystérie collective occidentale ?
Quand les lettres blanches inscrites sur les drapeaux noirs sont jetées à la face du Monde, je n'y vois pas que la simplicité des explications qu'on veut bien nous en donner. J'y vois les soubresauts de l'histoire des mondes musulmans. J'y vois le signe du califat abbasside, période restée, dans notre imaginaire, comme le moment de la révolte. Quand je vois ces barbus fanatiques et leur califat, je me dis que nous n'en avons pas terminé avec notre histoire politique. Que le musulman vit dans le passé, le passé des califats, que ce « pseudo » romantisme, qui attire des milliers de jeunes anglais, français, allemands, de confession musulmane, vers l'Irak, la Syrie ou autres théâtres d’affrontements n'est qu'un leurre.
En quoi dois-je m'excuser pour la création d'un mythe, le califat moderne, transcendant toutes les frontières, mémoire biaisée d'un présupposé âge d'or musulman ? En quoi dois-je m'excuser pour nos fractures, entre chiites et sunnites ? En quoi suis-je responsable de 632 et de la succession de notre Prophète (PBL), quand les compagnons se déchirèrent sur le nom du successeur ; en quoi suis-je responsable que ce fut Abou Bakr El Saddiq qui l'emporta contre Ali ? En quoi suis-je responsable de la colère des pro Ali, les Chi'at Ali, les partisans d'Ali, les Chiites ?
En quoi suis-je responsable de tous ces califats qui n'ont jamais englobé la totalité du monde musulman et dont l’ultime responsabilité est revenue aux Turcs, au 19ème siècle ? En quoi suis-je responsable du fait que notre monde musulman ne s'est jamais relevé de ses déchirures, de ses fractures, de ses interprétations, de ses luttes pour le pouvoir ? En quoi suis responsable, moi, simple femme musulmane d'aujourd'hui, du wahhabisme du 20ème siècle qui a créé des monstres, pour, ensuite, tenter de les détruire ? En quoi suis-je responsable de Ben Laden, de la CIA, de l'Afghanistan, d'Al Qaïda ?
Qui a entendu ma voix, quand je m'élevais contre les dérives, contre l'islam façonné à la sauce politique ? Quand, doucement, petit à petit, nos savoirs et nos intelligences, dons de Dieu, ont été gommés, niés, laminés par les régimes totalitaires, puis par l'Islam politique ? En quoi devrais-je m'excuser pour la cécité occidentale, l'ignorance crasse et primaire de nos mondes, la course aux profits, les soutiens aux régimes dictatoriaux, les guerres pour le pétrole ? En quoi devrais-je m'excuser pour la Palestine, abandonnée à son triste sort, sous les yeux du Monde entier, à moi à qu’il ne reste que le désespoir et les larmes ?
Quand un abruti fanatisé se fait sauter et tue des dizaines de personnes, suis-je responsable de cette tuerie ? Dois-je demander pardon à l'Occident qui fait semblant de ne pas voir que les principales victimes de la barbarie, ce sont nous, les musulmans. Nous, perdus entre attentats, égorgements, sadismes, viols, bombes, guerres, peurs, atrocités, ignorances... Nous, jeux de forces obscures qui dissèquent nos pays, eux-mêmes issus d'une autre grande dissection, celle de la recomposition du monde musulman, aux lendemains de la première Guerre Mondiale...
Je suis femme, femme musulmane. C'est tout. Ma religion ne fait pas, de moi, un être à part du monde mais dans le monde, nonobstant les discours des sectaires de tous bords, qu'ils soient musulmans ou occidentaux. Je suis femme musulmane, dans un monde de désespérance, où l'on crée les monstres et le chaos. Je suis femme musulmane et humaine, dans toute ma dimension charnelle. Je ne suis pas différente des autres humains. Mon sang est aussi rouge, mes larmes sont les mêmes. Quand on tue un seul homme, on tue la Création de Dieu. Et quand on tue un homme au nom de Dieu, c’est Dieu Lui-même qu’on tue.
Alors, ne me demandez pas d'implorer le pardon pour des fautes et des crimes qui ne sont pas miens. Laissez-moi m'indigner en tant qu'être humain, pas en tant que femme musulmane. Laissez-moi crier, aux fous furieux qui décident de qui peut vivre et qui doit mourir, que leur islam n'est pas le mien, que leurs prières ne sont pas miennes, que je ne me reconnais pas en eux. Qu'ils ne sont pas hommes mais bêtes affamées de sang. Non, je ne me justifierai pas. Je n'ai rien à justifier, surtout pas l'horreur. Je suis femme et musulmane. Je suis Homme, je suis rien, je suis tout.
Salut,
Mariem mint Derwich