LA MAURITANIE, AUTREFOIS UN RÊVE…

25 September, 2014 - 12:37

Le nouveau  mandat autoproclamé de Aziz est bien inauguré. Le village de Niabina a été choisi pour les festivités commémoratives. Toute une tribu, appuyée par les services d’ordre de l’état, a infligé une punition collective à ce village, comme pour rappeler aux populations meurtries de la vallée que 1989 n’est pas encore dans les oubliettes de la politique. Punir toute une communauté pour le forfait commis par un individu s’appelle de l’injustice. Mais punir toute une collectivité sur la base d’accusations fallacieuses non fondées, tout simplement parce que l’accusation est bleue et que l’accusé est vert, j’en perds mon pulaar.  N’en parlez pas. Aziz a prêté serment. Son discours a éclairci Niabina. Ceux qui oseront s’attaquer au racisme, ceux qui indexeront la discrimination raciale, ceux qui accuseront les esclavagistes, ceux qui indexeront les corrupteurs et les corrompus, ceux qui dénonceront le népotisme et le favoritisme, ceux-là seront les diviseurs du peuple. Ceux-là seront sévèrement châtiés. La preuve, il la donna. Il nomma un chef de gouvernement. Un chef qui a déjà fait ses preuves en la matière. Un chef qui ne peut recevoir de conseils d’un noir. Un chef qui ne peut avoir de noir comme chargé de mission. Il nomma un ministre, un spécialiste de la légitimation du droit de cuissage. Celui-là sera notre imam en chef. Il luttera contre les séquelles du droit de cuissage. Et pour couronner le tout, le manipulateur des faux dialogues morts nés est nommé chef des applaudisseurs de l’UPR. En gagnant ses galons, il ne manipulera plus non seulement l’opposition, mais le peuple en entier pour lui faire avaler sans douleurs les couleuvres du Chef suprême. Désormais, il faudra avaler sans bruits les expropriations foncières, avaler le génocide biométrique, avaler le négationnisme de l’esclavage. Il faut accepter et légitimer le droit des gouvernants à bouffer l’argent du peuple. Il faut applaudir la corruption et le népotisme, ces « malheurs fondamentaux de notre peuple » qui font la force et la fierté de nos chefs.

Et pourtant, les signaux sont plus qu’alarmistes. Le pouvoir se radicalise dans son extrémisme au moment où le peuple, ou du moins  les ethnicismes crient leurs ras-le-bol. Le pouvoir est honni et les politiques décrédibilisés.

Le Manifeste des Haratines, l’appel des wolofs, le cri de cœur des soninkés, les znagas, les « guerriers maures », tout le monde de son côté crie son désespoir, et chacun pleure sa détresse. Des tribus qui confectionnent les listes électorales des partis politiques. Des chefs de tribus qui présentent plusieurs listes dites concurrentes dans des partis dits opposés. Depuis toujours, nous assistons, osons nous l’avouer, à un reniement des fondamentaux de la démocratie, sans pourtant oser, ne serait-ce que franchir le pas de la dénonciation. Cela s’appelle lâcheté démocratique. Quand la démocratie est prise en otage par les tenants d’un système voué aux gémonies, quand la démocratie ne rime plus avec les préoccupations fondamentales d’un peuple asservie par des lobbies politico-affairistes, alors la voie politique perd le nord, et les voix des politiques ne seront plus que cris dans le désert. Et pourtant. Il y a des dizaines d’années, le manifeste dit  des 19 tirait la sonnette d’alarme. Il y a des dizaines d’années, El Hor lançait le cri du désespoir des damnés du désert. Depuis des dizaines d’années les victimes ne cessent de crier. La lutte continue, comme aiment à le dire les Flamistes. Mais le système s’arcboute. Les assassinats d’opposants sont passés par là. Le massacre des innocents est passé par là. Les déportations et leurs séquelles sont passées par pertes et profits dans les oubliettes de la démagogie. L’esclavagiste fait la loi. L’esclavagiste est juge et geôlier. La discrimination est légitimée aussi bien par le plus fort que par la victime. Nul n’a de droit. Il n’existe que des privilèges et des passe-droits.  Le droit ne se prend pas. Il se mendie. A une exception près, le seul droit non négociable, le seul respecté par tous et toutes, c’est le droit à la corruption. Même le mendiant de la rue est corrompu. Même le chef est corrupteur. Fiers de leur consensus moribond, ils sont les seuls bénis par nos oulémas. Ces oulémas gardiens du statut quo, qui légitiment l’esclavage et le droit de cuissage, qui bénissent l’expropriation foncière à leur propre profit.

Une année de 1992, l’acte fondant la démocratie est signé. Les mouvements qui ne s’inscrivent pas dans la ligne sont voués aux gémonies. El Hor se meurt à petits feux. Le nationalisme noir diabolisé. La lutte continue. La lutte est reprise par le système. Elle devient policée et polie. Elle légitime la corruption et accepte les passe-droits. Elle n’exige plus de droits, elle mendie le droit. L’esclavage n’existe plus, les séquelles sont négociables. Le mot racisme est tabou. La discrimination absente du vocabulaire. L’exclusion sociale se négocie par la part du gâteau. Et ça ne s’appelle pas corruption. Ceux qui devaient être les premiers élèves des cours d’alphabétisation sont nos instituteurs. Et malhonnêtement, nous continuons à nous poser les questions sur ce qui ne va pas dans notre Ecole. Ceux qui devaient dormir en prison pour vol, corruption, népotisme et toute sorte de trafics d’influence sont nos policiers enquêteurs, ils sont nos juges, nos procureurs. Et la toute nouvelle trouvaille de promotion de ces serviteurs dévoués du système, ils seront chargés de l’Agence de suivi de la lutte contre la corruption ! Et nous avons déjà leur feuille de route, car n’y seront promus que les grands spécialistes du maquillage et du blanchiment des gros forfaits des chefs.

Le peuple observe.  La victime ne comprend plus. On ne sait plus où donner de la tête. Chez les politiques, tout le monde a raison. Et pourtant tout le monde est pourri. Ils sont tous minables. Alors le peuple, disons l’ethnie, la tribu, prend sa plume et crie au complot.

Le gouvernement, les partis, la société civile, voilà le trio désormais voué aux gémonies. On ne s’exprimera plus par les idées. On ne luttera plus par la conviction sur le sens. Les identités raciale, tribale, féodale, et clanique deviennent les lieux d’expression des sentiments et ressentiments. L’ethnie comme la tribu, devient l’outil par excellence de la lutte contre la mendicité des droits. Au choc des idées se substituera le combat des nationalités, à la réflexion la passion, et à la lutte la bagarre.

 Quand la dictature est têtue et que la démocratie est corrompue, la politique échoue. Les politiques sont voués aux gémonies. Le peuple se disloque. Le pays devient lambeaux. On commence à parier sur sa viabilité, sur son existence. Pauvre Mauritanie. Autrefois un rêve, aujourd’hui le lit de nos malheurs.

 

Amadou Alpha BA