L’ENS de Nouakchott fut pendant longtemps l’unique établissement d’enseignement supérieur de Mauritanie.
A ma connaissance, avant 1980, à aucun moment, l’idée de la création d’une université sur le sol national, n’avait effleuré l’esprit des autorités coloniales et leurs sujets mauritaniens. Avant le 10 juillet 1978, l’Ecole Normale Supérieure (ENS), le premier établissement d’enseignement supérieur, a vu le jour en 1970. Durant les années de guerre et au temps de l’ère militaire, les esprits étaient d’abord préoccupés par les impératifs de sécurité: sécurité politique mais aussi sécurité alimentaire.
En plus des cycles de sécheresse des cycles d’instabilité
L’engagement précipité dans la guerre du Sahara Occidental allait bouleverser de fond en comble la situation nationale et internationale de notre pays. À peine une année après la nationalisation de la MIFERMA, la société aux capitaux étrangers, qui exploitait le minerai de fer au nord de la Mauritanie, le pays fut entraîné par on ne sait quelle force mystérieuse et revancharde dans un conflit militaire sans aune préparation préalable.
Le pays est déjà fatigué par une bonne décennie de sécheresse, entraînant famine et désolation.
Le calvaire de nos étudiants à l’extérieur
Aussi la guerre du Sahara va-t-elle engendrer une situation nouvelle: quelques 2000 étudiants mauritaniens en Algérie s’étaient trouvés dans une situation délicate. En aucune manière, ils ne pouvaient continuer à étudier dans un pays en situation de guerre avec leur propre pays. Ils étaient donc dans l’obligation de changer de pays d’étude.
L’Algérie, l’ancien ami de paix
Rappelons que l’Algérie avait épaulé de près les années auparavant la Mauritanie dans ses efforts de décolonisation, décolonisation et de son économie et de son système d’enseignement.
Le Maroc, le nouvel ami de guerre
Le Maroc, le nouvel ami du gouvernement mauritanien, ami dans la guerre, ouvrit aussitôt ses écoles et ses établissements supérieurs aux étudiants mauritaniens en difficulté en Algérie.
A tous, il accorda des bourses d’étude.
Pour l’occasion le Maroc décida la création d’urgence d’une agence (AMAMCO) ayant pour mission l’inscription et la formation d’étudiants et stagiaires mauritaniens. Plusieurs centaines de jeunes mauritaniens allaient en profiter. Après les accords d’Alger (1979), concluant une paix définitive entre la Mauritanie et le front Polisario, les étudiants mauritaniens au Maroc connaitront la même situation rencontrée en Algérie quelques années auparavant. Ils étaient menacés d’expulsion du pays du roi Hassan II. Les autorités mauritaniennes se trouvèrent devant un casse-tête.
Que pouvait « le berger » de Nouakchott ( Ould Haidalla) face à une telle situation ?
L’aventure de mon ami Nnehah
Je me rappelle que lors de mon séjour à Atar en 1981 mon ami Mohamed Ould Nnahah, le Hakem d’Atar en ce moment, me raconta ce curieux récit. Une fois, accompagné par ses chefs de services, alors qu’il était en inspection dans sa Moughataa, ils croisèrent les traces toutes neuves d’un convoi de nombreux véhicules.
Ils suspectèrent que ce seraient des éléments du Polisario. En ce moment la consigne était donnée à l’organisation sahraouie d’informer sur tout passage de ses commandos armés sur le sol mauritanien. Ils décidèrent de les poursuivre. Peu de temps après, ils aperçurent de loin des véhicules près d’une tente et d’un troupeau de camelins.
Un berger indomptable
Ils s’approchèrent du lieu situé au pied d’un petit mont pierreux. Cette fois-ci, ils commencèrent à soupçonner qu’ils avaient plutôt affaire à une présence de mauritaniens et non pas du Polisario. Ils s’approchèrent prudemment. Des enseignes portant des marques mauritaniennes figurent sur les plaques d’immatriculation des véhicules. A une distance très rapprochée, le Hakem commença à s’inquiéter: il crut percevoir la silhouette du chef de l’Etat mauritanien, Mohamed Khouna Ould Haidalla.
A quelques mètres du lieu, tout doute disparut. Ould Haidalla en chair et en os s’accrochait à une corde d’une tente pour la fixer à un piquet déjà planté. Ould Nnahah et ses compagnons paniquèrent. Ils craignirent d’être engloutis dans une sale « affaire d’Etat ». Quelle explication fallait-il donner à Ould Haidalla pour justifier leur « forfaiture ?».
Au moment où ils garèrent leurs véhicules, Ould Haidalla avança vers eux. Il reconnut immédiatement Ould Nnahah, l’un des «officiers libres» du 10 juillet 1978. Ils tombèrent dans les bras l’un l’autre. Rapidement Ould Haidalla se mit à étendre une natte sous la tente. Il invita ses hôtes à y prendre place. Il se dépêcha pour leur traire de ses propres mains une chamelle. Il revint en toute hâte pour s’asseoir près du Hakem. Il lui tendit une calebasse pleine de lait à la fois frais, chaud et mousseux. Il le prie d’en boire.
Il accompagna son geste de ce petit commentaire: « mon cher ami, si seulement tu savais que si je passe une semaine embourbé dans les affaires d’Etat, sans effectuer une pause pareille dans un contexte pareil, j’étoufferais et je perdrais les pédales dans tout ce que j’entreprendrais». Cette déclaration, plutôt intime et apaisante, aurait certainement rassuré mon ami Mohamed Ould Nnahah sur la suite éventuelle de son aventure.
Rumeurs après le putsch
Rappelons qu’au lendemain du putsch qui va le renverser en décembre 1984, alors qu’il était absent du pays, les rumeurs allaient bon train. La plus persistante fut celle qui pariait que Ould Haidalla rejoindrait ses parents du Polisario. J’étais probablement parmi les rares qui pensaient le contraire.
Pour moi, fort de ce récit de mon ami Ould Nnahah, Ould Haidalla et je pariais là-dessus de mon côté, regagnera sûrement la Mauritanie pour ne pas s’éloigner de son troupeau de chameaux. Rappelons aussi que lorsqu’il fut désigné premier ministre il n’a pas voulu quitter sa maison à l’extérieur de la ville, enfouie le soir au milieu de ses camelins. Il regagnera le palais présidentiel sûrement à contre-cœur après sa désignation comme chef d’Etat par ses collègues du comité militaire.
Une cité universitaire dans un magasin
L’homme, concernant le problème de l’université, véritable nomade, habitué aux grands espaces, n’accepte jamais d’être acculé. Il trouva la solution au coin d’une rue : Il décida la création d’une université, appelons-la : « l’Université de Jleifti » ou plus légitimement : « l’Université Mohamed Khouna Ould Haidalla ». Le lieu : des entrepôts dans une zone commerciale, quelque part au nord du quartier du Ksar. Les premiers enseignants: des vacataires de la fonction publique, titulaires dans le meilleur des cas d’une maitrise ou d’un DEA, soit bac plus trois ou plus quatre ou cinq années d’études au plus.
Des professeurs amateurs
Au niveau universitaire, deux premières facultés ouvrirent leurs portes aux centaines d’étudiants, bacheliers des dernières sessions du bac. Il s’agit d’une faculté juridique et économique et d’une faculté de lettres, d’histoire et de géographie. Les professeurs dont presque tous se chargeaient pour la première fois de dispenser un cours d’enseignement supérieur, se trouvèrent dans l’obligation de chercher une parade pour réussir cette épreuve. Certains ne trouvaient pas mieux que de recourir à leurs propres cours durant leurs années de scolarité. D’autres, qui n’avaient pas gardé avec eux leurs anciens cours, recouraient aux livres de référence pour improviser ou recopier à la hâte un cours à dicter dans son intégralité à leurs élèves.
(À suivre)