Chapitre 3: Le monde des Arts de l’Iguidi A l’éparse (Mederdra en Hassaniya, pour ceux qui n’ont pas suivi les 2 premiers chapitres), l’art dans ses trois dimensions courantes est l’apanage de trois composantes sociales distinctes :
- Les artistes musiciens du folklore, spécialistes des légendes et traditions populaires ;
- Les artisans de confection ;
- Les professionnels du rythme du tam-tam, cantatrices et joueurs du bâton.
C’est donc, en termes crus, le domaine du joli, du perfectionné, du raffiné, du délicat et du subtil…
En termes raffinés, ce sont des faveurs providentielles, en la finesse du goût, que le très bon Dieu donne à certaines de ses créatures, elles-mêmes très belles et très intelligentes…. D’où la réputation de tout ce que leur habileté produit…
- Symphonie, chants, poèmes, concerts, danses, chants de guerre, de grande joie, légendes… etc.
- Bijoux de toutes sortes, ustensiles, jouets, cosmétiques divers, accoutrements et harnachements divers, armes, innovations de convenance, etc.
- Chants et danses populaires au beau rythme du tam-tam, doublés de la cadence du jeu du bâton avec ambiance électrisée, etc.
1.3- Les artistes musiciens :
Notre sainte cité était toujours gaie et ambiante en toute saison.
En sus des fêtes religieuses et nationales, d’autres plus nombreuses s’improvisaient lors des mariages, des visites officielles, privées, du passage d’un grand marabout, d’un hôte de marque, d’une réunion de club (assr) ou à l’arrivée d’un parent qui fut longtemps absent. Dans tous les cas, le monde des arts était largement impliqué.
De temps à autre, des concerts étaient offerts, en plein air, par nécessité d’entretien périodique des cordes vocales et instrumentales.
Parmi les oiseaux passereaux célèbres (chanteurs) de l’Iguidi, nous avons deux rossignols (el ândelib) et deux alouettes (el qoumbara).
Les rossignols sont : Neeme mint Choueikh et Machenn.
Les alouettes sont : Mahjoube mint el Meidah la stridente et Vatme mint Jiddou.
Donc deux avec « ardines » et deux avec « tam-tam ».
Pendant que nous y sommes, rappelons ici que l’alouette Mahjoube la stridente s’épanouissait en chantant et, aisément, là où les autres perdaient nettement le souffle.
Il y avait bien sûr, son père Ahmedou ould Meidah, le formidable qui, avait par sa voix angélique enchante le troupeau de chamelles d’el Ghachouatt.
Il y avait aussi les trois beaux fleurons-conteurs, irrésistibles en la prose de gloire, de générosité, de bravoure et d’intrépidité : Ahmed ould Meidah, Mohamed ould Ahmed Salem ould Meidah et Doudou ould Meidah.
Il y avait aussi Ely et sa belle tidinit qui attendrissait les cœurs anxieux (mais pas jojo). Surtout, la finesse de l’humour Mohamed ould Ely Warakane et son sens aigu de l’ironie.
Très heureusement, on a toujours notre Ray Charles le, mastodonte du jazz Mohamed ould Meidah (lek-hal).
Dieu merci, nous avons surtout notre fierté nationale, la très magnifique constellation de stars : Loubaba, Tekeiber, Sabah, Koumbane et Djillit, leur époque est réussie et sans faute !
Bientôt, la nouvelle et « innovante » génération nous fera d’énormes surprises, au niveau des Meidah et Manou, c’est sûr !
A Méderdra, juste à l’angle, à l’ouest et en face des Mohamed Maouloud Diarra, fut l’auberge providentielle et le refuge de tous. C’était là exactement, la « Douchka » (grand-mère en Russe) de toute l’éparse. Repas copieux, thé à la 8147 et à force menthe, zrig au lait « passé » et un coin confortable pour dormir après les nuits blanches. En plus de beaux contes et récits merveilleux et édifiants.
Je suis persuadé que le Tout Puissant l’avait très bien accueillie dans son confortable paradis. La dévotion de la fidélité feu Aiche mint Manou, lors de son passage, ici bas, méritait parfaitement cette récompense de la part de celui qui ne déçoit jamais les âmes immaculées.
Là aussi, nous avons pour le devoir moral, à nous inspirer et inculquer le modèle de courtoisie, de fidélité, de sobriété et du sourire sempiternel qu’affichaient quelques femmes méderdoises respectueuses et respectées : Wane mint el Boubane, Mariem mint el Meidah mère des Ouarakane, Mint Ebnou mère des Ahmedou ould el Meidah et Madaha mint el Meidah. On dirait des jumelles par la solidité de l’éducation et leurs comportements irréprochables !
A Charatt, à quelques encablures au sud de l’éparse, à tout seigneur tout honneur, ce fut l’homme à la vaçiha, la tidinit éloquente. Celui qui, à lui seul, incarnait l’académie de la culture HASSANE dans toutes ses sciences. Il en était le pivot d’érudition incontestable. D’ailleurs, ses très belles écritures arabes n’avaient d’égales que celles de Babe ould Cheikh Sidiya ou celles d’Ahmed ould Memadi. Ce profil donc, est parfaitement celui de l’érudit Moctar ould Meidah.
El Maeloume, légataire du talent de son père n’est pas seulement diva mais une exception du genre qui a prouvé, la tête haute, que le legs dont elle avait bénéficié et le courage qu’elle générait pouvaient parfaitement aller de pair. Et qu’aussi, et contrairement à l’adage célèbre, le marabout et le griot peuvent, très bien eux aussi, devenir de très intimes et fidèles amis.
Et à l’est de S’sangue, non loin de R’kiz, parmi les grandes prairies naturelles de el arye où transhumait le bétail en saison sèche, se situe H’sey-arr. Là-bas précisément, la symphonie de l’azaouane est plutôt virile, énergique, d’haleine longue et soutenue mais surexcitante. Dans ce bled il fallait bien avoir de très puissantes cordes vocales ou se taire et, c’était moins risqué. Hamme, Aiche, Dah, el Ghadi, Djillit et Neeme le rossignol (el ândelib) de l’Iguidi, Betty, Aminetou, etc.
En effet, il s’agissait bien du fief d’ehel N’gdhey et ehel Echoueikh.
Il est donc évident que les Manou sont ancêtres de l’azaouane, que les N’gdhey et Choueikh en sont l’artillerie lourde, et que les Meidah en ont assuré la finition sans qu’ils ne l’apprennent auprès de qui que ce soit ! Leur dextérité en la matière est innée !!
2.3- Les artisans de confection
Très belles tentes majestueuses, tabatières, selles, iliwich et laisses pour chameau, nattes, tresses de femmes, hennés, très beaux coussins, varou, tassoufra, tizeyaten ; tout ce qui appartient au cuir et surtout de très belles couturières, etc.
De l’autre côté, le célèbre coffret de Méderdra de toutes tailles, pipes, théières surprenantes de style incroyable, poignards, couteaux qui font oublier l’agueusie de la viande, sabres reluisants du genre grandes épopées, bagues, colliers, bracelets, bijoux de toutes tailles et gabarits et beaucoup plus encore de grandes surprises.
La confection à l’éparse, la plus habile et ultra-précise, même en miniature, est parfaitement le produit de la représentation d’une intelligence humaine extrême, d’un coup d’œil reflexe et d’un acte prompt. Telle est donc la qualité acquise de :
- ehel M’menn
- ehel Moukhtari
- ehel Boumbeirid
- ehel Dahi
- ehel Jreivine
- ehel Maham
- ehel Maeloum
- ehel Hamdi
- ehel Chreyiv, etc.
et des couturières :
- Mariem Lam
- Haje mint Moukhtari et sœurs
- Les filles Dahi
- Les filles Maham
- Les filles Boumbeirid
- Les filles Jreivine, etc.
Il fut un temps où ces génies étaient et plus qu’aujourd’hui, les seuls pourvoyeurs aux besoins d’une assez grande société agro-pastorale, primitive qui vivait de l’outil rudimentaire.
C’était ces artisans, ces hommes et femmes très courageuses qui disponibilisaient : ustensiles divers, armes, accoutrements de toutes sortes, harnachements des animaux de selle, parures, chaussures en cuir et en bois, tire-épines (moungache), aiguilles, crochets de tentes (akhrab), mâts (r’kayiz) rotule de mât (houmar), malles, coffre-écrins, écuelles (taditt), entonnoir (mouh-guen), outres à eau (guerbe), outre à lait (chik-we), calebasses, couvertures (varou), portes-bagages (erahhal), sac de voyage (tassouvre), malles en cuir (tiziyaten), etc.
3.3- Tam-tam et jeu du bâton
Ce secteur est d’une importance capitale à S’sangue. Il est le socle et la pièce maîtresse de toute activité festive et, sans lequel, l’évènement social célébré est tout simplement fade et bâtard. Particulièrement en Iguidi où la dominante est agro-pastorale, le tam-tam y est mythe, c’est le symbole du fantasme collectif !
Le tam-tam fut bien l’outil de communication le plus efficace, le plus rapide, le plus populaire et incisif. Jusqu’à une époque récente, ses coups portaient des messages codés qui étaient déchiffrés spontanément à l’ouïe seule.
Tel était le cas de Boughrara, « l’orphelin » du défunt Mahsar.
C’était grâce à ce gigantesque tam-tam que l’administration émirale communiquait avec ses sujets sur de très longues distances.
Les messages qu’il diffusait concernaient essentiellement les déplacements de l’Emir, la guerre, la paix, les déménagements, l’orientation-guidage, et tout autre mot d’ordre ou conduite à tenir.
Actuellement, les premiers coups d’un tam-tam ne signifient qu’un faire part pour une occasion de joie quelconque. Il est donc réflexe quotidien à Méderdra ! Un mariage sans tam-tam est « moughatièm », donc méprisé !
Parmi les cantatrices-vedettes de cet art, nous avions la grande feue Machenn, Rossignol de l’Iguidi, celle-là qui attisait le « merja-e » très promptement (espace du jeu).
Il y avait aussi Vatme mint Jiddou, l’alouette de l’Iguidi qui drainait les foules sous le soleil de plomb.
Aussi, les plus jeunes, Tcheikhe, Tenouazel, la petite fille de la sobre vieille Tomkedji, Koum fille de Teslem mint Ehmednah, etc.
Quant aux professionnels du bâton, c’était presque tout le monde ! Mais, ceux qui en maîtrisaient les secrets et repères de ce jeu fascinant et à la fois dangereux pour les profanes, ils étaient de la catégorie de : Feîty, Brahim et Hayouh trois fils de Choueikhoum, Ichemkhou, Isselmou, Baeden-maje, ould Madjiguein, Moloud, Bechir ould Nemraye, Moloud ould Dah, Idriss ould Werzeg, Hacen ould Leeboud, Bezeid, Ramdane, Abdellahi ould Ahmed et autres membres du club « Lançar ».
C’étaient les fanatiques du bâton qui galvanisaient l’ambiance du tam-tam jusqu’à faire perdre connaissance aux « applaudisseuses » dont certaines s’effondraient, très souvent, en syncope momentanée.
Ensuite, les vétérans: Enemraye, Moloud ould Amghairat, Ahmedou ould Sabar, Ahmed ould Cheddad (chouétra), Sabar, etc.
Et puis les vieux comme Egme dont les mains sentaient toujours mauvais, guegneritit, Kdeim, Labory le moqueur, Djabel le rusé et tous les autres Leghvale, etc.
Pour conclure ce chapitre, il est peut être bien utile de rappeler les trois choses ou faits que tout « méderdois authentique » ne doit jamais ignorer :
- Jouer au bâton
- Pourquoi les mains d’Egme sentaient-elles mauvais…
- Pourquoi et comment Abdellahi ould Kik et SIdaty ould Maeloum coopéraient-ils entre eux…
(à suivre)