RÉFÉRENCE. Dernièrement hôte du 6e sommet du G5 Sahel, la Mauritanie n'a pas connu d'attentat depuis 2011. Sa recette pourrait-elle inspirer ses voisins ?
Par Laurent de Saint Périer
Du lac Tchad à la frontière occidentale du Mali, plus une semaine ne se passe sans qu'une attaque terroriste n'endeuille les États du Sahel. Depuis décembre, le nord de la Côte d'Ivoire est en alerte rouge, et au début de février, un poste de police essuyait un assaut dans le nord du Bénin. La contagion de la menace semble inexorable, malgré la présence des troupes françaises depuis 2013 et une coopération régionale sécuritaire inédite dans le cadre du G5 Sahel. Mais un pays de ce groupement de sécurité y échappe depuis près de dix ans : la Mauritanie. La dernière action djihadiste y remonte à 2011. Depuis 2017, le flot rouge « formellement déconseillé » se retire sur la carte « Sécurité voyageurs » du site du ministère français des Affaires et les trekkeurs étrangers reviennent, encore timidement, arpenter les décors minéraux de l'Adrar désertés depuis l'assassinat de quatre Français en décembre 2007.À Nouakchott, on préfère garder le doigt sur la gâchette que toucher du bois. « Nous, Mauritaniens, étions dans la même situation [que nos voisins] il n'y a pas si longtemps. Face à ce genre de menaces, il faut être suffisamment préparé », nous rappelait fin novembre 2019 le président Mohammed Ould el-Ghazouani, général ayant succédé en août à deux mandats d'un autre général, Mohammed Ould Abelaziz (2009-2019). L'armée mauritanienne a en effet ressenti plus tôt que les autres armées du Sahel la nécessité de se préparer, ayant été la première à être frappée par les djihadistes quand, en 2005, des membres du Groupe salafiste pour la prédiction et le combat (GSPC) ont assailli une caserne dans le nord du pays, tuant quinze hommes.
Au Forum international pour la Paix et la Sécurité en Afrique qui s'est tenu à Dakar en novembre 2019, le président mauritanien avait été extrêmement écouté.
Les attaques se sont succédé les années suivantes et, en 2008, dénonçant la faiblesse du président civil Sidi Ould Cheikh Abdallahi face aux terroristes, le général Mohammed Ould Abdelaziz le renverse pour être élu en 2009. Il charge dans la foulée son frère d'armes, le général Ghazouani, du rétablissement de l'armée. Néophyte en matière de diplomatie, l'actuel chef d'État mauritanien, qui vient de prendre la présidence tournante du G5-Sahel, est donc un vétéran sur le terrain de la lutte antiterroriste.
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Une stratégie moderne et adaptée aux réalités locales
C'est davantage un travail de réparation que de préparation de l'armée auquel doit s'atteler Ghazouani, quand il prend en 2009 la direction de Conseil supérieur de la défense nationale. Constituée en 2005 de 15 000 hommes mal équipés, elle peine à contrôler un territoire désertique vaste comme deux fois la France. « Ses effectifs ont été renforcés, les soldes augmentées, les équipements adaptés, la formation et la tactique ont été mises à jour avec l'aide des Français et des Américains, mais selon une vision purement mauritanienne.
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L'illustration en est la création en 2008 des Groupements spéciaux d'intervention (GSI), des unités légères et autonomes mais dotées d'une forte puissance de feu et très mobiles à l'image des groupes armés qu'elles traquent », explique, tenu à l'anonymat, un gradé français familier de Nouakchott. Plus récemment, les médias internationaux ont remarqué le renforcement et le redéploiement des anciens escadrons méharistes du Groupement nomade. Discrètes et adaptées aux longues expéditions en milieu aride, leurs patrouilles à dos de dromadaires s'avèrent inégalables en matière de surveillance, de contact avec les populations et de prises d'informations dans les zones reculées du territoire.
Le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani connaît bien son affaire en tant qu'ancien ministre de la Défense.
Dans les airs, ni F16 ni Sukhoi coûteux et peu performants pour intercepter les pick-up ennemis. La rusticité y est comme au sol gage d'efficacité et l'hélice reste reine. La surveillance est assurée par des ULM et des Cessna, les attaques au sol par des Tucanos brésiliens armés et deux hélicoptères d'assaut chinois. Dans les régions les plus menacées, l'établissement de « zones militaires » permet le contrôle strict de toutes les allées et venues. En juillet 2017, alors qu'était établi un tel périmètre au nord du pays, le ministère de la Défense rappelait « que la proclamation de l'interdiction de cette zone est consécutive aux difficultés d'identification de nos paisibles citoyens des trafiquants (…) tout individu circulant ou traversant cette partie du territoire national ; sera traité comme cible militaire ».
Une stratégie source d'inspiration pour les pays du Sahel ?
Les tactiques de l'armée mauritanienne pourraient-elles inspirer ses voisins ? Adaptées aux conditions presque uniformément désertiques du territoire mauritanien, elles ne le sont toutefois pas à l'ensemble du Sahel, qui présente d'autres types d'écosystèmes. En outre, les terroristes qui frappaient le pays dans les années 2000 étaient issus des débris des maquis algériens quand les attaques actuelles se concentrent loin de là, dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, sous la matrice du conflit libyen qui perdure depuis 2011. « Nous assistons dans cette zone, devenue le ventre mou du Sahel, à une autre forme de terrorisme djihadiste qui s'est mâtiné de narcotrafic et de criminalité, et dont les dimensions idéologiques sont moins influentes que leur capacité à s'appuyer sur des communautés en rupture comme les Peuls », ajoute Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe.
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La force du consensus
Pour sa part, le gradé français tenu à l'anonymat estime que « ce qui en Mauritanie devrait servir d'exemple régional, c'est surtout une forte volonté centrale et l'obtention d'un consensus national pour le rétablissement de l'armée et du contrôle de l'État sur l'ensemble du territoire ». Un expert de la région, qui tient aussi à ne pas être nommé, abonde dans ce sens, évoquant « l'état délabré des armées malienne, burkinabè et nigérienne minées par la faiblesse des soldes voire leur détournement, la défiance envers les autorités, et la corruption et les abus impunis qui en découlent localement et qui font le lit des trafiquants et des combattants ». Et Emmanuel Dupuy de rappeler que « l'armée mauritanienne n'a pas été démantelée à l'inverse de l'armée malienne après le coup d'État de mars 2012 du capitaine Sanogo et de l'armée burkinabè après la tentative de coup d'État de septembre 2015 où les deux généraux intervenants étaient ceux qui avaient été chargés par Compaoré d'assurer la médiation avec les groupes terroristes pour qu'ils épargnent le pays ».
Les chefs d'État du G5 Sahel essaient de mettre en oeuvre une stratégie commune.
Dialogue, oui, mais comment ?
Au Burkina Faso comme au Mali, le rétablissement du dialogue rompu avec les groupes armés a fait l'objet de vifs débats ces derniers mois et, le 10 février, le président malien Ibrahim Boubakar Keïta déclarait « il est temps que certaines voies soient explorées ». Bien qu'en Mauritanie les officiels se gardent de commenter ce point, la permanence des communications avec les groupes armés et trafiquants pourrait être un ingrédient de ses succès sécuritaires. Aurait-elle conclu en 2010 un pacte de non-agression avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) comme on l'a soupçonné sur la foi de documents retrouvés dans la cache pakistanaise d'Oussama Ben Laden ? « Je n'y crois pas, commente le militaire français, même si les liens n'ont jamais été rompus. L'importance du dialogue dans la politique de sécurité mauritanienne s'est révélée dès l'indépendance lors des crises avec le Polisario, le Maroc et le Sénégal. »
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Cette politique du dialogue a été utilement transposée à la société civile après les deux décennies autoritaires du président Ould Taya, renversé en 2005. En 2007, le parti islamiste Tawassul est autorisé. En mars 2010, une grande conférence internationale sur l'islam modéré rassemble des centaines de religieux musulmans à Nouakchott pour élaborer un consensus sur le rejet de la violence. Les autorités veulent ainsi couper l'herbe sous le pied des radicaux, ce qui ne va pas sans concessions sociétales aux conservateurs. Au pouvoir depuis août 2019, le président Ghazouani amplifie cette politique d'ouverture aux oppositions et de promotion de l'islam « du milieu ». En janvier dernier, une nouvelle conférence rassemblait ainsi 500 oulémas africains à Nouakchott pour « la propagation des nobles valeurs de l'Islam, dont essentiellement l'acceptation de l'autre et le rejet de l'extrémisme », déclarait le président Ghazouani en ouverture.
Ne pas oublier les questions de développement
« Le terrorisme prolifère dans toutes les failles que l'état laisse s'ouvrir. La réponse doit donc être multidimensionnelle, militaire mais aussi se porter au niveau des débats d'idées, de la pédagogie, de la lutte contre la pauvreté, etc. », explique le Premier ministre Ismaïl Ould Bedde Ould Cheikh Sidiya. Comme la lutte contre le radicalisme s'appuie sur la recherche de consensus nationaux en Mauritanie, le contrôle du territoire va de pair avec son développement humain. L'armée qui quadrille le pays est aussi investie de missions de contact et d'assistance aux populations. L'établissement prochain du PC du Groupement nomade dans le fort restauré de la ville historique de Oualata, longtemps isolée à l'ouest du pays, s'en veut le symbole.
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L'expansion du réseau routier, la création de villes nouvelles doivent répondre aux attentes de développement des populations isolées et à leurs besoins en matière de santé et d'éducation. Afin de ne pas laisser le champ libre aux écoles religieuses, dont certaines deviennent des viviers de radicalité, le gouvernement actuel engage une importante remise à niveau de l'instruction publique prévoyant le recrutement de 5 000 enseignants. Empirique ; la stratégie de la Mauritanie a fini par apporter une réponse globale à la crise sécuritaire qui l'a affectée comme elle frappe aujourd'hui durement ses voisins. Chercheurs ou militaires, fonctionnaires ou journalistes, Mauritaniens ou Français, tous se rejoignent sur le principal secret de la recette mauritanienne : le rétablissement de l'autorité et des responsabilités socio-économiques de l'Etat central.
Mauritanie – G5 Sahel : leader ou cavalier seul ?
Créée à Nouakchott en 2014, le G5 Sahel a son secrétariat permanent à Nouakchott. C'est également dans la capitale mauritanienne qu'a ouvert en 2016 un Collège de défense du G5 – Sahel qui met à jour et complète la formation d'officiers des cinq pays membres (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). En juillet 2019, les 36 élèves de sa première promotion sont allés rejoindre le PC central du G5 à Bamako. Le général mauritanien Hanena Ould Sidi a dirigé les forces du G5 en 2018-2019 et le chef d'État Mohammed Ould Ghazouani vient d'en prendre la présidence tournante.
Pourquoi, alors, reproche-t-on dans certains milieux à la Mauritanie de faire cavalier seul ?
En 2017, l'International Crisis Group prévenait, “Il est très peu probable que ce pays s'engage immédiatement contre des groupes qui ne le menacent ni directement ni immédiatement”. Les risques de représailles, l'éloignement du théâtre des opérations et la taille modeste de son armée sont autant d'entraves à des projections distantes, dans des environnements différents. “On fait le même reproche au Tchad, ajoute Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). « C'est peut-être aussi lié au fait que ces deux pays ont une forte tradition militariste et restent dirigés par des militaires qui ne partagent pas les approches des présidents burkinabè et malien », dit-il. Dans son discours de clôture du sommet des chefs d'État du G5 qu'il accueillait le 25 février, le président Ghazouani a appelé à « une meilleure coordination de nos interventions notamment dans les zones les plus sensibles ». Ce général, nouveau président du G5 donnera-t-il l'impulsion d'une coopération efficace et victorieuse ? L'année pendant laquelle il va occuper cette position sera pleine d'enseignements pour mieux comprendre la Mauritanie dans ce vaste espace qu'est le Sahel.
Le Point