La commission d’enquête parlementaire portant sur les dix ans de gestion de l’ex-Président Mohamed ould Abdel Aziz pourrait bientôt démarrer ses activités, à en croire certaines sources. Elle aura six mois pour déposer ses conclusions. Six mois de travaux intenses sur des dossiers suspectés de gabegie. Entre autres la fondation SNIM, la liquidation de la Sonimex, l’éclairage public au solaire, le marché du quai de conteneurs du port autonome de Nouakchott…
Mais la question que les Mauritaniens se posent, au lendemain de la mise en place, comme en catimini, de cette commission, est de savoir si elle pourra remplir sa mission en toute indépendance pour confondre l’accusé ou… le blanchir. Dans notre dernière livraison, nous nous demandions si ces investigations pourraient ou non précipiter la déchéance d’Ould Abdel Aziz. C’est donc bien une autre question qui préoccupe aujourd’hui les Mauritaniens. Le premier couac enregistré lors de la composition de l’instance et la désignation de son président s’est vu notablement renforcé par la porte claquée du tonitruant député Mohamed Bouya Ould Cheikh Mohamed Fadel. Connu pour son engagement à ce que toute la lumière soit faite sur la gestion du Président sortant, le jeune député dénonce la mainmise de l’UPR, principal parti de la majorité, sur la commission et met surtout en doute la compétence et le sérieux de certains de ses collègues à mener à bien la mission impartie. L’indépendance de la commission par rapport au pouvoir est donc objet de suspicions. Céder à la demande de l’opposition et de certains députés de la majorité pour la mise en place de ladite enquête ne signifie en effet nullement que le pouvoir accepte des résultats susceptibles de secouer ses fondements. Car il n’est un secret pour personne que nombre de ministres, conseillers et hauts fonctionnaires ont trempé dans les dossiers visés. La commission pourra-t-elle les entendre ? En ce cas, devront-ils démissionner pour se défendre, comme cela se fait ailleurs ? Et cette première étape éventuellement franchie, la justice donnera-t-elle suite aux conclusions de la commission, en décernant des mandats de dépôt contre tous les présumés coupables ? Quelle posture aura adopté le président de la République ? Quel que soit le niveau de dégradation de ses relations avec son prédécesseur, on imagine mal Ould Ghazwani humilier davantage son ami de quarante ans. Après l’avoir battu à plate couture lors du combat autour du contrôle de l’UPR, le nouveau chef de l’État a cependant réaffirmé sa détermination à ne ménager ou pardonner quiconque impliqué dans la gabegie ou l’injustice avérée. Céderait-il aux adversaires d’Ould Abdel Aziz demandant de le réduire au silence le restant de sa vie ? Plusieurs observateurs continuent à croire qu’aussi fortement isolé soit-il, l’ex-Président dispose tout de même d’une certaine capacité de réplique, pour ne pas dire nuisance. Le coup de balai noté au sein des différents corps habillés accréditerait cette thèse.
L’opinion se demande si l’ex-homme fort se soumettra à la volonté de la commission et, donc, du pouvoir. Quelle posture, adoptera-t-il pour sa part, face à ce qui pourrait ressembler à un rouleau compresseur? La confrontation, autrement dit le grand déballage, en mettant nommément en cause tous ceux qui ont désormais choisi de le perdre, après l’avoir soutenu pendant dix ans ? Ou « coopérer », comme on dit en pareilles circonstances pour éviter un pire affront ? Les Mauritaniens sont très impatients de voir par quel bout commencera la commission dont la mission, ils s’en rendent bien compte, est loin d’être aisée. Et ils n’ont pas oublié l’habile stratégie du putschiste Saleh Hanana, lors de son procès à Ouad Naga…
Autant de questions que le monde se pose en ce pays qui vit là une expérience inédite. Mais un pays où l’expérience nous a appris que, pour étouffer un problème, la mise en place d’une commission est la meilleure voie. Pour ne pas davantage humilier l’ex-Président, le pouvoir pourrait mettre la pédale douce, tuant à petit feu l’espoir né de la mise en place de la fameuse commission. Mais en ce cas, c’est la tête haute qu’Ould Abdel Aziz sortirait de l’épreuve… avec un gros dividende politique. Et Ghazwani, la tête basse… avec une balafre sur le visage. Car le nouveau pouvoir est réputé, en tout cas à ce jour, pour son ouverture et son engagement affiché à combattre toutes les formes d’injustice. La montagne peut-elle vraiment accoucher d’une souris ? Les Mauritaniens sont pressés de le savoir. Quelle sera alors leur réaction ? Wait and see !
DL