Le récent discours du Premier Ministre sur le bilan et les perspectives de mise en œuvre de la politique générale du gouvernement mérite toute notre attention.
Saluons en tout d’abord la forme, à la fois limpide et didactique. La clarté de l’exposé constitue, en soi, un premier engagement du gouvernement vis-à-vis du peuple mauritanien. Nul doute que l’absence d’ambiguïté dans la présentation rend plus aisé le suivi, par chacun, des engagements pris par le Premier Ministre.
L’annonce du « lancement de grands projets de construction pour doter les institutions constitutionnelles de sièges et d’équipements appropriés » est tout sauf anecdotique. En effet, les lieux qui abritent les institutions participent grandement à la solennité de celles-ci. Or c’est une condition sine qua non que nous avons souvent oubliée dans le passé.
Ce projet de construction devrait être l’occasion de (re)valoriser le patrimoine architectural national. Les plus anciens se souviennent certainement des magnifiques bâtiments de la poste, des tous premiers ministères, de l’hôtel « Marhaba », etc. des années 1960. Que les architectes fassent preuve d’imagination, en s’inspirant de l’architecture de nos régions. S’il vous plaît, monsieur le Premier Ministre, épargnez nous les constructions fades et banales, qui privent la ville d’avoir son « cachet ».
Gérer le patrimoine immobilier.....
D’ores et déjà, il serait utile de créer une délégation, chargée de la gestion du patrimoine immobilier national. Cette structure veillerait à la préservation, à l’entretien et à………l’image des bâtiments publics (il est inacceptable de voir du linge suspendu sur les grilles d’un ministère ; ou d’entrer dans un immeuble quasiment neuf, qui donne le sentiment d’être à l’abandon).
Sur le fond, le choix de moderniser et de mettre à niveau les institutions est plus que bienvenu. L’objectif de « rehausser et renforcer la complémentarité et la synergie pour une plus grande performance » des institutions est déterminant. Espérons que ce soit l’occasion pour des entités comme le Conseil économique et social (véritable « parlement économique »), ou la Cour des comptes (« conseiller de l’état pour une bonne gouvernance »), de renforcer, voire de reconquérir leur centralite. Il est, à cet égard, étonnant de constater que certains, y compris au niveau international, suggèrent dans un même élan la suppression du conseil économique et social et le développement d’une économie plus inclusive. L’un n’est-il pas le garant idéal de l’autre ?
« La révision de l’arsenal juridique », notamment pour « encourager les investissements et les initiatives dans le domaine économique » devrait, pour être plus utile,
i/ déboucher sur un droit des affaires plus fort, pragmatique, qui rassure les investisseurs tout en favorisant l’éclosion d’entreprises de services et de sociétés de sous-traitants nationales, sérieuses, crédibles et compétitives. Pourquoi, à ce propos, ne pas engager des discussions exploratoires avec l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA), dont l’objectif est justement d’offrir la stabilité juridique à ses utilisateurs ? Bien évidemment je ne sous-estime pas les obstacles d’une éventuelle adaptation du droit de l’OHADA dans notre contexte socio-économique, mais rien n’interdit d’examiner cette éventualité ;
ii/ renforcer et élargir notre droit social pour mieux accompagner la création d’emplois pérennes, et mieux protéger, de façon effective et raisonnable, les futurs employés.
Le Premier Ministre a également parlé, à juste titre, de l’importance de la culture. Je souscris totalement à ses propos.
Je voudrais y ajouter que nous avons un des rares cinéastes du continent, Abderahmane Cissako, internationalement reconnu, ayant reçu plusieurs distinctions prestigieuses de la part de ses pairs.
Je voudrais rappeler que nous avons des romanciers de qualité, entre autres, Moussa Ould Ebnou, Mbareck Ould Beyrouk, le regretté Moussa Diagana, pour ne citer quequelques uns des francophones.
Je voudrais rappeler nos artistes, dont certains sont connus au-delà de nos frontières.
Je voudrais rappeler que nous avons des peintres, dont les toiles, souvent de qualité, parlent à leur manière du pays.
Malheureusement cette richesse culturelle n’est pas suffisamment mise à l’honneur et peu soutenue.
Pourquoi ne pas créer un fonds d’action culturelle (avec l’appui de l’UNESCO, de l’ALESCO, de sponsors nationaux et internationaux) ? Pourquoi ne pas récréer des maisons des jeunes et de la culture ? Pourquoi ne pas développer un centre national des arts (musique et cinéma) ? En confier la gestion à des professionnels, afin que ces structures ne soient pas uniquement des gadgets mais jouent réellement leur rôle.
....Et historique
La culture, c’est aussi le patrimoine historique d’un pays. Ce patrimoine s’exprime, entre autres, dans des musées. Il est surprenant qu’un pays comme le nôtre, qui fait face à tant de défis culturels, dont l’histoire a été souvent ballotée, n’ait pas une politique forte dans ce domaine. Oui nous avons besoin, pour nos enfants et petits-enfants, de musées (au pluriel, car nous devons avoir aussi des musées thématiques).
Bien évidemment, tout cela demande des moyens. Beaucoup de moyens. Et je dois dire qu’en lisant la déclaration du Premier Ministre, je suis resté sur ma faim, quant au volet qui va prochainement, avec nous ou malgré nous, bouleverser la vie de notre pays : je veux parler, évidemment, de l’exploitation du pétrole et du gaz.
De grâce, traitons cette perspective avec la gravité géopolitique, géo économique et, si j’ose dire, « géo sociale » qu’elle exige. Mesurons les défis que soulève, pour nous, l’avènement de ces richesses nouvelles. Observons la préparation rigoureuse du Sénégal. Ce pays s’est fixé des objectifs clairs. Il a mis en place et initié les moyens pour les atteindre. Et nous ? Où en sommes-nous ?
Le travail de préparation qui nous attend est titanesque. Des loisirs à l’hôtellerie, de l’environnement des affaires à la formation professionnelle, tout, ou presque, est à faire. Il s’agit pourtant d’un passage obligé, tant il est vrai que, plus les fondations sont solides et adaptées, plus les résultats pour chacun seront substantiels.
L’exploitation du gaz ne doit pas servir uniquement à payer des impôts au trésor public. Elle doit être, prioritairement, un levier pour créer de nombreuses PME/PMI nationales ; pour contribuer à l’éclosion d’activités supplémentaires pour les artisans, les restaurants, les taxis, les écoles, les sociétés de gardiennage, etc.
Malheureusement, il faut le dire, nous ne sommes pas encore prêts. Quand on voit le rôle déterminant que la SNIM a joué dans le développement du pays, on peut aisément imaginer ce que les ressources générées par l’exploitation du gaz pourrait offrir. Comme le fer hier, le gaz aujourd’hui peut et doit être un levier pour soutenir la création d’une vraie classe moyenne nationale, forte et pérenne. Nous avons pour cela deux atouts majeurs, le génie des affaires des mauritaniens et un contexte politique apaisé, propice au dialogue.
Il est donc urgent de mettre en place une commission (réduite), chargée d’élaborer de façon précise et rigoureuse les thèmes d’une conférence nationale sur les défis et perspectives du pétrole et du gaz. Conférence dont les conclusions serviraient à l’élaboration d’une stratégie globale.
La préparation ou non de notre pays à l’arrivée du gaz est l’affaire de tous. Nous serons collectivement responsables, si nous passons à côté de cette nouvelle ère qui s’annonce.
Comme l’écrit le général français P. De Villiers, « la surprise stratégique c’est ce que l’on n’a pas su prévoir ».
Abdel Majid Kamil