Le prix du minerai de fer s’est effondré. Pas son coût et encore moins en Mauritanie qu’ailleurs. Si l’on n’en est pas à mesurer exactement l’ampleur du manque à gagner – un vrai désastre, semble-t-il – des mesures visant à sauver les meubles sont en cours d’exécution.
Le 7 juillet dernier, l’administrateur directeur général (ADG) de la SNIM, Mohamed Abdallahi Ould Oudaa, en annonçait, à ses divers directeurs, le premier train. La chute du prix avait alors atteint 30% en six mois. On réduirait donc de 10% le budget prévisionnel du second semestre, concernant « les heures supplémentaires, la matière consommée en OD, les voyages, les missions, la papeterie » ; on reporterait « toutes les études et assistances techniques non-urgentes », de façon à réduire leurs budgets de 30% ; on renégocierait « les contrats importants de fournitures déjà passés, afin d’obtenir, dans la mesure du possible, une réduction des prix » ; on s’efforcerait de « maîtriser le coût des surestaries » ; avant d’entamer « un travail en profondeur sur la maîtrise du coût du programme stratégique Nouhoud ; le tout devant préserver le montant de « ventes fixé par la note DG, pour éviter de conjuguer, à la chute des prix, une baisse de volume ». Cela sera-t-il suffisant pour conjurer le péril ? On peut légitimement en douter.
Car la crise actuelle est une guerre mondiale où la SNIM, engluée dans sa gestion politisée – elle n’est qu’un jouet du pouvoir mauritanien – est incapable de tenir une conduite cohérente, dans le conflit qui oppose les trois géants du fer : BHP, Vale et Rio Tinto ; aux milliers de petits producteurs disséminés sur la planète. Les objectifs des géants australiens et brésiliens sont clairs et affichés sans équivoque. L'ancien CEO de la BHP, Marius Kloppers, les laissait déjà entendre, en octobre 2012 : « En cas de hausse importante de la demande mondiale, les productions australienne et brésilienne suffisent largement à la pourvoir. Le fer ouest-africain n'est donc pas particulièrement nécessaire ». On comprend donc bien qu’affichant des prix de revient très bas, éliminer la concurrence « inutile » leur ait paru stratégie « objectivement » fiable. Comment ? En inondant le marché, entraînant illico un effondrement des prix. La crise actuelle n’est donc, en rien, une chute de la demande – celle de la Chine, « le » gros consommateur du marché, a même augmenté de plus 15% en deux ans (8 puis 14%) – et durera le temps nécessaire à la réalisation des objectifs qui lui ont été assignés.
La SNIM otage de l’impuissance de l’Etat
Effondrement tout de même relatif. Car, si le cours a chuté de 40% en une année, il reste tout de même très au-dessus de celui de 2009 (un peu plus de 82$/tonne, contre 60, il y a cinq ans). Or, les comptes de la SNIM étaient, à l’époque, largement dans le vert. Que s’est-il donc passé ? La conjoncture très favorable du début de la seconde décennie du 21ème siècle a fait rêver en hauts-lieux. De vache-à-lait, la SNIM est devenue éléphante, voire baleine à traire, et des plus-values conjoncturelles, qui auraient dû être immédiatement placées dans des investissements – comme l’usine Guelb 2 dont l’ouverture, prévue en 2012, n’est plus à l’ordre du jour – de nature à contenir, voire minimiser, le prix de revient du fer mauritanien, ont pris des chemins très détournés des réalités du marché : nouvel aéroport international, achat d’avions pour la Mauritania Airlines, « petits aléas » de campagnes électorales…
Si les géants australiens et brésiliens ont de quoi conduire leur politique « d’assainissement », avec un prix de revient à 20$/tonne, celui de la SNIM avoisinerait ainsi, aujourd’hui, les 60$/tonne, croit savoir Mohamed Saleck Ould Heyine, ancien ADG de la SNIM. En fait, on ne sait pas exactement. Car, le conseil d’administration du poumon financier du pays ne publie plus, depuis 2012, les comptes d’exploitation de la société. Faut-il se demander pourquoi ? A défaut, on peut constater la réalité des problèmes respiratoires de notre économie à l’inquiétante chute des réserves de change de la Banque Centrale Mauritanienne (BCM), ces derniers mois. La décision de son gouverneur de limiter, quelques jours durant, le transfert de devises pour les importations n’est pas anecdotique, dans un pays important plus de 85% de ce qu'il consomme.
Qui paiera les pots cassés ? Les expédients annoncés par Ould Oudaa pointent les droits sociaux et l’ont risque fort voir fleurir de nouveaux et nombreux licenciements pour cause économique, ce commode outil mis si gracieusement à disposition des patrons, pour liquider leurs négligences et « gérer » la sueur de leurs ouvriers. Mais l’importance, primordiale, de la SNIM, tant dans le discours social que dans le tissu économique, limite l’étendue de ces licenciements. Paralysé par l’évident hiatus entre les enjeux, l’Etat mauritanien peut-il réagir ? Une question tout aussi pertinente, au demeurant, que son inverse : peut-il ne pas réagir ? Ne rien faire n’empêchera pas le fer de rouiller. La SNIM en contient beaucoup, elle est donc très oxydable…
Ben Abdallah