Changer, en Mauritanie, n’est pas une mince affaire. La longueur du processus n’y relève pas de difficultés objectives mais, plutôt, de nos us et coutumes quotidiennement à l’œuvre, tant de nos gouvernants que du moindre citoyen lambda. Notre société est un vaste jeu de rôles. Celui-ci commande toute stratégie de conviction ou de propositions. Non pas que la référence au rôle ne soit pas utile, voire nécessaire, parfois, mais celui-ci ne peut ni ne doit tout expliquer, justifier ou clore. Une limite particulièrement cruciale dans le champ du développement.
Je m’explique : notre façon de procéder – notre « péché mignon » en quelque sorte –est, en toutes circonstances –surtout dans notre quête de développement – obnubilée par un rôle à tenir et non pas une compétence à acquérir, faire valoir et fructifier. Au pays du million de poètes, c’est toujours le « Je suis » qui prédomine :je suis un agrégé ou docteur, DG, ministre actuel ou ancien, chef de ceci ou de cela, fils de grande case ou de tente, coordonnateur de grand projet, président d’ONG, de société, d’institution… L’accent est mis sur notre place, réelle ou supposée, dans la société, l’Etat, ses démembrements, la SOC, les partis politiques, le quartier, la tribu, la famille, l’âge… « Je suis donc je pense »et cela suffit pour expliquer tout, justifier tout, dans tous les domaines.
Nous ne faisons que rarement référence à nos compétences, pour offrir ou contribuer aux bonnes pratiques, à l’équité, à la justice, aux droits de l’homme, la bonne gouvernance, la solidarité et l’entraide, la cohésion sociale, l’évaluation des politiques publiques, des programmes et des projets (1), autant d’éléments – j’en oublie sûrement –indispensables à la promotion d’un développement harmonieux et équilibré de notre pays, que ce soit en termes de ressources humaines, territoires, marchés publics, genre, que démocratie ou alternance politique pacifique, pour en rester à la seule actualité…
Les partenaires techniques et les bailleurs, fatigués, du reste, de bailler, ont si bien compris notre propension à vivre en et de nos rôles, qu’aussitôt mis les pieds dans notre pays, les voilà à rechercher, dans les propos des uns et des autres, leur place dans la société et les domaines qui les intéressent, histoire d’intégrer notre hiérarchie locale de valeurs, sinon s’y rassurer, du moins y assurer leur propre mission, croient-ils. Pour compréhensible qu’elle soit, cette attitude ne nous aide pourtant guère et contribue à minimiser la nécessaire compétition des compétences, au profit d’une course d’arrivistes si naturelle à notre organisation sociale traditionnelle. Le petit dessin qui illustre notre article résume fort bien ce que nous devrions plutôt faire : « Montrez-nous d’abord ce que vous savez faire, on verra plus tard qui vous êtes… »Ainsi pourrons-nous enfin œuvrer à l’émergence d’une véritable culture de la compétence, condition sine qua non à la promotion du développement économique et social de notre pays. Et question compétences, croyez-moi, chacun et chacune d’entre nous en détient un bout, aussi petit soit-il. La question n’est que de les bien agencer les unes aux autres : un autre débat, pour sûr…
Gandega Sylli
Economiste et consultant indépendant
(1) : 2015, année internationale de l’évaluation.