Il y quelques années, j’écrivais un article où je disais que pour être célèbre, un homme devrait traverser un cours d’eau pour rentrer dans l’Histoire. Donnant des exemples, je convoquai César, qui franchit le Rubicon ; de Gaulle, qui traversa la manche et Moctar Ould Daddah qui ‘’enjamba’’ le fleuve Sénégal pour fonder Nouakchott. Alors, j’incitais un jeune Premier Ministre à traverser ‘’la lagune’’ qu’infestait la mafia du PRDS putrescent. Aussi, il faut réussir un discours pour écrire son nom à l’encre indélébile de l’Histoire. En effet, le verbe serait l’apanage de l’Homme ; il le distinguerait de l’animal, qui n’est pas un être locuteur au sens humain du terme, même si de par leur rugissement, leur croassement, leur coassement, leur glapissement, leur meuglement ou leur beuglement (j’en passe), bêtes et bestioles s’expriment entre elles. L’homme, parleur et parlementeur, par excellence, a fait du discours un outil, voire une arme redoutable, qui fait parfois mieux que les canons et la cavalerie. Mettant en veilleuse le Littré, nous pourrions proposer une définition qui n’engage que nous : « propos plus ou moins long émis par un homme, le plus souvent un leader, faisant face à une situation particulière, qui l’oblige à s’époumoner pour convaincre ou vaincre sans combattre ». Justement, dans son livre fétiche ‘’ l’art de la guerre’’ Sun Zu (5eme siècle av. Jésus), proposait aux princes et aux généraux de conquérir des cités sans combattre.
Pour exister et réussir leurs petites ou grandes œuvres, les hommes communiquent par les mots. Mais, fatalement, Dieu ne donne pas toujours les mêmes aptitudes à tous. Ainsi, n’est pas éloquent qui le veut. Les grands orateurs seraient même rares. Réussir son discours n’est pas pour autant évident ; parler est parfois contre-productif. On entend souvent dans la foule ou dans la presse, « il aurait pu se taire » ou « il fallait qu’il fasse l’économie d’une sortie malencontreuse.» Le verbe, arme à double tranchant, a, malheureusement, des effets pervers en flèche de Boomerang. Pour qualifier un discours raté, les épithètes, les attributs, les adjectifs et les adjectifs substantivés ne manquent pas : « Abscons, inepte. C’est un galimatias. C’est de la faribole. C’est une logorrhée. Biasé !… Par contre, quand l’orateur atteint sa cible, on trouve tous les superlatifs absolus pour les aligner devant le discours dont la magie a dû marcher. Etre cultivé ou bien éduqué, ou beaucoup parler ne suffit pas pour enregistrer un long texte dans les annales de l’Histoire ou dans le Guinness des records. Fidel Castro aurait lu quelques milliers de discours, sans que les auditeurs en retiennent un seul pour la postérité. En cela, le physique est déterminant, ainsi que la belle voix. Quant on est peu gracié par la nature et que les cordes vocales émettent des paroles chevrotantes et hésitantes, quels que soient la nature, la forme et le fond du texte, l’orateur rate le coche, et d’aucuns le trouveraient « à côte de la plaque.» Par contre, la beauté, et le charisme (une vertu qui ne se décrète pas mais que la Providence attribue à qui elle veut), sont nécessaires pour un leader. L’on s’est demandé : « Le Che Guevara aurait-il été influent s’il n’avait pas une si belle gueule ? En fait de beauté et de charisme, de Gaulle et Nasser n’auraient pas réussi sans leur charisme que portent de grandes silhouettes et un beau blair.
Le Top 7 des discours
A travers le cheminement houleux et chaotique de l’Humanité, des hommes sont arrivés à allier qualités intellectuelles et physiques pour graver un message quasi eternel pour la postérité. Faire un classement n’est pas ici aisé, le choix étant toujours teinté d’impartialité inconsciente. Cependant, sept célèbres discours ont marqué l’Humanité ad vitam aeternam, peut-on dire.
En 1963, une silhouette noire se détache sur le paysage de Washington City. Un jeune Noir déluré donne un discours précédé d’une sentence de quatre mots, qui vont structurer la cause et le mouvement des Noirs dans l’Amérique, alors honteusement raciste : « I have a dream » Le discours aux élans prophétiques disait en substance : « je fais un rêve où mes quatre enfants pourront un jour vivre dans un pays où ils ne seront pas jugés sur leur couleur de peau, mais sur leur personnalité ».
En 1963, John Fitzgerald Kennedy inscrivit son nom sur le tableau des grands orateurs de son temps par son ‘’ Ich bine in Berliner.’’ Son éloquence quasi-légendaire trompait la maladie d’Addison, qui l’empêche parfois de se lever. Un jour alors que son P-104 venait d’être torpillé, il n’abandonna point la force des mots, balbutiant : « Voila se qu’on ressent quand on est mort ». Par le truchement de discours prononcés sur fond de pleine guerre froide dans une Allemagne divisée, Kennedy s’adressait au peuple ouest-allemand, lui rappelant les liens forts qui unissent leurs deux pays.
De Gaulle, l’homme du 18 juin, n’est pas seulement l’auteur du discours de cette même date, avec lequel il préparait la résistance à l’occupation nazie, mais de deux autres textes restés célèbres, ceux de Bayeux prononcés dans le contexte de la libération, après le débarquement spectaculaire des Alliés en Normandie. C’est, bien entendu, par la force de l’expression que cet homme dirigeait la France toujours insoumise. Son intervention à la télévision, après le coup d’Etat d’Alger, fit tout de suite échouer la conjuration du « quarteron de généraux en retraite».
Un autre très beau Noir peut dire « veni vidi vici grâce à sa rhétorique doublée d’un physique admirable. Les communicants disent que « Beaubama » n’a jamais été surpris en défaut de symétrique par les photographes, achevant de séduire ses fans que son verbe impressionnait profondément. Son discours d’investiture en 2008, en tant que Président des USA, compte aujourd’hui parmi les plus beaux textes lus par des chefs d’Etat ou monarques.
La taille ne semble pas être un handicap pour le discours. Pour s’en rendre, il faut se souvenir de Winston Churchill, le Chef du gouvernement britannique, un bout d’homme arrivé au pouvoir en 1940 et qui rentra par la grande porte de l’Histoire, par un texte d’anthologie lu devant la chambre des Lords le consacrant comme l’homme le plus emblématique de l’empire britannique. Bien qu’agréable à entendre, le discours ne promettait pour tant que blood, toil, tears and sweat. Entendez : du sang, du labeur, des larmes et de la sueur.
L’un des discours les plus marquants de l’Histoire est celui de Mahatma Ghandi, la grande âme. « L’homme à demi-nu » et squelettique prononçait, en 1922, un texte qui inspirera tant de mouvements du xx° siècle et d’icones, comme Dalai Lama, Nelson Mandela et Martin Luther King. Ses mots pacifiques éloignaient la guerre, tout en imposant la paix.
Tout prés de nous, au Maroc, un monarque a fait valoir un talent d’orateur hors pair soutenu par une grande maitrise des subtilités politiques. On se rappelle son discours du 5 novembre 1975 marquant la Marche verte. Cette marche inspirée de la longue marche d’un autre tribun passé maitre des manipulations des masses, Mao Tse Toung, était plutôt un acte physique actionné par le verbe cinglant et envoutant d’Hassan II. La voie nasillarde affectée pourtant par un asthme chronique, fit tout de suite affluer des vagues d’hommes, de femmes et d’enfants vers un terroir qu’ils n’ont jamais vu, mais le magicien du verbe leur fit croire qu’ils y ont toujours vécu à perpétuelle demeure. Ainsi il s’adressa au peuple marocain : « Demain, tu franchiras la frontière. Demain, tu entameras ta marche. Demain, tu fouleras une terre qui est tienne. Tu palperas des sables qui sont tiens. Demain, tu embrasseras un sol qui fait partie intégrante de ton cher pays ».
Le discours du Sahel
Etre d’un « petit pays du Tiers-monde » n’arrange pas les choses. Tant de talents et de virtuoses passent inaperçus en Afrique du fait de la « petitesse » de nos Etats africains, n’ayant pas accès à l’avant-scène internationale. Mais on sait que des hommes rares de la petite mais grande Afrique se faufilent et se rendent célèbres, d’une façon ou de l’autre. Récemment, un homme, cultivant à fond la modestie, se rendit à Dakar « sans idée de manœuvre », comme disent les tacticiens. Tout porte à croire que le Président Ould El Ghazouani point m’as-tu- vu et loin d’être fanfaron, n’était pas allé au Forum International de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique pour rafler la mise à ses pairs. Son discours qui ressemblait à un coup d’essai fut un coup de maitre. A s’en tenir à la presse internationale, les propos du tout-nouveau président sonnèrent comme un tonnerre dans le firmament de la scène internationale.
De la portée du discours de Dakar
Ecrit dans un style assez correct, rompant avec la greule de bois, il tranchait nettement avec la majorité des textes écrits après Moctar Ould Daddah. Les contributions de nos chefs d’Etat se limitaient à un verbiage grossier et mal écrit et souvent mal lu. Non pas le texte de Dakar était bien écrit, mais le Président Ghazouani l’a aussi rendu avec une très grande maestria. La voie monocorde, le ton sûr et régulier, sur cinq grosses pages, on ne marqua aucune bévue, aucun cuir, aucun pataquès. Le souffle rendait compte de chaque virgule, chaque point-virgule, chaque point d’exclamation. La diction révélait la bonne éducation de l’orateur. Bien concentré, le courage vissé sur le cœur, comme d’habitude, on ne décelait aucun chevrotement dans sa voix. Respectueux de son auditoire, il n’oubliait jamais de lever la tête à chaque phrase ou périphrase s’il le fallait. Le texte bien ficelé a su allier modestie, souplesse et fermeté. L’orateur commença par la formule de politesse en usage, par sa modestie congénitale : « Je ne vous apprends rien » ; « avec un esprit d’humilité » ; « sans la moindre prétention de donneur de leçon » Mais toute de suite, il ne cache pas que « c’est sans langue de bois » A l’entame du discours, le Président rompit avec les sentiers battus. Ainsi les plus fortes épithètes sont employées : « croissante », « inquiétante », « structurelle », « défaillant ». Aussi les substantifs les plus sonnants sont enrobés dans un style courtois : « incapacité », « faiblesse », ainsi que des adverbes pas moins cinglants « embrasement », « drastiquement ». Quand il s’agit de l’ONU, qui se veut l’usine de la paix, le Président n’hésite pas à lui rappeler ses devoirs, d’un ton presque péremptoire. Le verbe devoir, conjugué au présent de l’indicatif, jamais au conditionnel, est employé avec redondance : « l’ONU doit » est prononcé trois fois au moins. Pour s’exprimait, l’orateur de Dakar ne se contente pas de lettres ; aussi les chiffres sont convoqués : les numéraux cardinaux « cent, milliers, millions » prennent tout un paragraphe, pour rendre compte du nombre des morts, des déplacés et des personnes menacées par l’insécurité alimentaire. En ce qui concerne le fond, un constat amer est annoncé par le Président et ancien général. D’un ton désabusé il combine les facteurs catalyseurs de la mauvaise situation du Sahel : « Nos Etats se sont rapidement vu confrontés à des défis majeurs concomitants : un grand déficit de la gouvernance et de la justice sociale, des faiblesses capacitaires en matière de défense et de sécurité… Pour conclure, le Président, proactif, ne se contente pas d’une chute lyrique, mais tout un kit de mesures ambitieuses est annoncé. Certainement sans « langue de bois », la maladie endémique dans nos Etats qu’il a fustigée à l’entame de son discours à jamais gravé dans les annales du Sahel et dans le registre dans lutte contre le terrorisme. Comme le discours d’ouverture de sa campagne pour la Présidentielle et celui de son investiture, le discours de Dakar est, tout au moins, une sortie de bon augure et de bon aloi, pour la Mauritanie des incertitudes et des mauvaises habitudes.
Brahim Bakar Sneiba,
Auteur et journaliste