Monsieur le Président, vous fêterez très bientôt vos cent premiers jours à la magistrature suprême. Un délai communément admis dans le Monde pour dresser le premier bilan d’un nouveau chef d’Etat. Pourquoi cent ? Un seuil psychologique choisi probablement au hasard et qui ne représente pas grand-chose des cinq ans (ou plus) que vous passerez à la tête de notre république. Mais je sacrifierai, moi aussi, à ce rituel, même si je reste persuadé qu’il faudra beaucoup plus de cent jours pour seulement avoir une idée du gâchis dont vous avez hérité. Choisir les hommes, mettre de l’ordre, redresser sont au moins trois paires de manches. Vous ne savez sans doute pas par où commencer, tant la tâche paraît ardue. Mais vous devez d’abord surmonter une difficulté et non des moindres. Ould Abdel Aziz est votre ami, pour ne pas dire alter ego, vous avez longtemps cheminé ensemble, il a contribué à votre élection et vous ne pouvez pas, d’un revers de main et malgré l’extrêmement lourd passif, jeter le bébé avec l’eau du bain. Vous aurez donc besoin de tout votre talent de stratège pour naviguer entre des eaux tumultueuses et éviter les écueils que ne manqueront pas de poser, sur votre chemin, ceux qui n’ont pas intérêt à ce que la roue tourne. Vous avez commencé timidement : personne ne peut vous le reprocher. Votre culture tout en retenue vous empêche de faire des vagues. Mais, monsieur le Président, il y a urgence en certains domaines. Certes, vous n’avez pas de baguette magique ; pourtant il en faut une. Votre prédécesseur a commis tant de dégâts qu’il faut se révéler sorcier pour voir clair en une situation si ambigüe, opaque, (que dire ?). En voici des exemples et la liste n’est pas exhaustive.
L’école a été laissée pour compte pendant plus de dix ans. Que dire de la santé, infectée par les mauvaises pratiques et intoxiquée par les médicaments périmés ? La justice ? Inféodée à l’Exécutif. L’eau et l’électricité qui ont englouti des milliards ? Elles ne sont pas assurées à tout le monde. Les infrastructures routières ? Malgré tout l’argent dépensé, elles sont dans un état déplorable. L’économie ? Vous héritez d’une dette de cinq milliards de dollars, soit près de 94% du PIB, 1132 dollars par tête d’habitant. Les marchés publics ? Toujours attribués aux mêmes. Le secteur privé ? Plus que l’ombre de lui-même : au lieu de l’encourager, l’Etat lui a fait la guerre, dix lourdes années durant. Les exemples de gabegie et de malversations ne manquent pas, il serait fastidieux de les citer un à un. Vous en avez été certainement informés. Une chaîne qu’il faut briser au plus vite. Comme vous avez brisé une barrière psychologique, en recevant les leaders de l’opposition et les hommes avec qui vous avez croisé le fer lors de la dernière présidentielle. Un premier pas non négligeable sur la voie de la décrispation de la scène politique. Mais beaucoup de choses restent à faire. On attend tous le Messie. Il vous faudra sans doute commencer par mettre les choses au clair à ce sujet. Au plus vite, pour éviter des quiproquos et d’incongrus reproches. Vous n’aurez donc jamais à nous décevoir de ne pas être un autre. Et plutôt, je vous l’espère sincèrement, à nous réjouir de vous constater, dans vos œuvres et services, tout simplement vous-même.
Ahmed Ould Cheikh