Le Calame : Depuis l’élection du président Ghazwani, on sent comme une crise couvant à l’UPR. Le paroxysme a été atteint quand un groupe de hauts cadres, dont vous-même, ont réclamé le changement de nom du parti ou la fondation d’une nouvelle structure politique pour accompagner la mise en œuvre du programme de campagne du nouveau Président. Comment l’UPR en est-elle arrivée là ? Ne risque-t-elle pas aujourd’hui d’imploser ?
El Khalil Teyib : Nous ne cherchons pas à fonder un nouveau parti politique ni à changer le nom du nôtre ; nous voulons en faire un parti fort, capable de fusionner et intégrer toutes les forces nouvelles, groupements, initiatives, courants et personnalités influentes qui ont tous soutenu monsieur le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani que nous considérons comme la référence de notre parti, après la sortie de l’ex-président Mohamed Ould Abdel Aziz du pouvoir, car l’UPR n’appartient ni à une personnalité ni à un groupe de personnes.
C’est un parti dont la spécificité est de lier son destin, de manière totale, au pouvoir en place. Partant, si le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani l’adopte et que le comité de gestion lui en reconnaît clairement la référence, son destin sera de survivre. Par contre, si certains membres dudit comité continuent de rêver, il sera condamné à disparaître. Personnellement, j’appartiens à ceux qui œuvrent à sa survie et à en faire un parti institutionnel, constituant un appui et un soutien au Président et à son régime, afin qu’il puisse polariser les hommes politiques, intellectuels, artistes et leaders d’opinion réunis en telle position.
- Vous étiez l’un des farouches soutiens d’Ould Abdel Aziz à réclamer un troisième mandat mais, depuis l’élection de son successeur, vous semblez dénoncer sa gouvernance et, même, vous opposer à son retour au pays. Peut-on connaître les raisons de ce désamour ? Que lui reprochez-vous ?
- Permettez- moi d’abord d’apprécier votre question. Si sa première partie est juste, la seconde est dénuée de fondement. Comme chacun le sait, je fais partie des soutiens de l’ex-président et de son régime, depuis Mai 2010 jusqu’à sa passation du pouvoir, mon allégeance est restée sincère durant cette période et les rumeurs propagées aujourd’hui sur mon reniement ne sont que calomnies et mensonges d’une campagne menée par des anonymes à court d’arguments, pour prouver leurs les fausses rumeurs qu’ils colportent. J’ai clairement dit que le président Mohamed Ould Abdel Aziz a quitté le pouvoir de manière respectable et que ceux qui tentent de rabaisser son nom à des niveaux indécents lui nuisent, consciemment ou non.
- Il y a quelques semaines, vous avez déclaré que le comité de suivi de l’UPR a échoué dans l’organisation de son prochain congrès. Sur quoi fondez-vous cette assertion ?
- Mes propos sur le comité de gestion du Parti relevaient d’une discussion générale avec son président et se résument dans le fait que certains de ses membres n’ont pas la conscience nécessaire pour comprendre la spécificité du parti qui en limite la référence automatique à son excellence le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani. Tant qu’ils n’auront pas compris cela, ils resteront inévitablement isolés et ne pourront pas tenir de congrès.
- Quels rapports entretient véritablement l’UPR avec le président Ghazwani et les nombreuses initiatives qui l’avaient soutenu et le poussent, comme vous, à fonder un nouveau parti politique ? Trouvez-vous opportun le timing ?
- Il est incontestable que la candidature de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a constitué un phénomène unique sans précédent, que son programme électoral a suscité un grand espoir chez les Mauritaniens et que les mesures qu’il a prises à ce jour ont renforcé sa crédibilité et consolidé l’espoir des citoyens en un véritable changement. C’est ce qui a poussé tous ses soutiens, avec, en tête, la direction et les militants de l’Union pour la République, à se regrouper autour de lui, en tant que référence de ce parti, malgré le flou de la position chez certains membres du comité de gestion.
- Depuis quelque temps, le président Ghazwani rencontre les différents acteurs politiques, aussi bien de la majorité que de l’opposition. Savez-vous ce qu’il mijote ? Le croyez-vous capable de décrisper la tension qui a prévalu durant tout le règne d’Ould Abel Aziz avec l’opposition ?
- Un de nos sages considère que le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani fut une grande grâce qu’Allah nous accorda, au bon moment, et qu’autant l’annonce de sa candidature constitua un indice d’apaisement, autant sa victoire et son accès au pouvoir furent un facteur rassurant tout le monde, majorité et opposition confondues, grâce à sa vision globale et consciente exprimée dans ses engagements et matérialisée par ses mesures pratiques, dont ses rencontres avec les dirigeants et les acteurs du spectre politique opposé et partisan. Il donne l’impression d’être de la trempe des dirigeants qui traduisent leurs paroles en actes dans le silence et la tranquillité.
Les déclarations des dirigeants de l’opposition qu’il a rencontrés nous inspirent le profil d’une ère nouvelle qui sera caractérisée par la sérénité, l’harmonie et la normalisation du paysage politique, sur de nouvelles bases, lui faisant dépasser les aspects négatifs du passé, tout le passé. Cela me pousse à renouveler l’appel à donner chance à ce président dont on ne doute point de la capacité à relever les défis, grâce à ses compétences de dirigeant et à son expérience cumulée, lui permettant de conduire le pays à bon port.
- Depuis la formation du premier gouvernement, les soutiens de Ghazwani et une grande partie de l’opinion ont l’impression que les choses n’avancent pas comme de nombreux mauritaniens le souhaitent. La partagez-vous ?
- Je comprends les sentiments des gens et suis convaincu de la légitimité et de la pertinence des revendications des citoyens et de leur aspiration à l’amélioration de leur vie quotidienne. Mais le réalisme et l’équité nous imposent la circonspection, avant d’émettre le moindre jugement sur un gouvernement qui n’a pas encore passé cent jours. Nous savons qu’il fait face à des choix cornéliens. Son jugement objectif dépend de son succès ou de son échec – à Dieu ne plaise ! – dans la mise en œuvre de son ambitieux programme.
- A l’UPR, il y a ceux continuent à penser que Ghazwani ne fera que poursuivre l’œuvre de son prédécesseur et ami, voire qu’Ould Abdel Aziz continue à tirer les ficelles du pouvoir depuis son exil. Un autre groupe pense en revanche que le changement, voire la rupture d’avec l’ancienne gouvernance est irréversible mais qu’elle pourrait prendre du temps. Où vous situez-vous ?
- Je commencerai par ma position personnelle en disant que le 1er août passé fut un jour de démarcation entre deux époques et entre un régime en place depuis 2008 dirigé par le président Mohamed Ould Abdel Aziz qui a quitté définitivement le pouvoir et un régime nouveau piloté par un nouveau président, en l’occurrence Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani qui exerce son pouvoir absolu avec son style particulier, sa vision clairvoyante et son ingéniosité sans tutelle de quiconque comme d’aucuns le prétendent et le souhaitent et sans renier ni affronter son prédécesseur comme d’autres le veulent ou le désirent.
Ceux qui propagent l’idée de partage du pouvoir à travers le Parti doivent cesser d’avancer leur idée utopique qui tire le pays vers un avenir incertain, pour que nous ne répétions pas l’expérience d’Abdoulaye Wade au Sénégal, lequel a perdu son respect aux niveaux national, régional et international quand il a envisagé de contrôler les structures de l’Etat au moyen de son propre parti par lequel il gouvernait. Quel fut donc le sort de son fils Karim ? En fin de compte, il connut les procès, la prison et l’exil.
Rappelons- nous aussi l’expérience du président camerounais Amadou Ahidjo quand il remit le pouvoir à Paul Biya et essaya de rester au parti. La conséquence fut foudroyante car il fut condamné à mort par contumace avec certains proches et vécut en exil au Sénégal où il mourut et fut enterré, après le refus par le régime camerounais du rapatriement de sa dépouille mortelle.
Quant à ceux qui prétendent et souhaitent la rupture avec l’ancien régime, ils doivent comprendre que le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani diffère des autres candidats, car il fait partie d’un régime qui était en place dont il était le deuxième personnage et il n’est ni moral ni logique qu’il renie cette époque, ni le président Mohamed Ould Abdel Aziz comme ami personnel.
Tous doivent comprendre qu’il n’est ni un pantin ni un pion, mais un dirigeant au sens plein du terme, il est logique et prévisible qu’il conserve les points positifs de son prédécesseur et les développe par sa propre patte sans maintenir les aspects négatifs et il n’est requis ni accepté de sa part de partager le pouvoir ni avec ses frères ni avec quiconque, eu égard à la charia et à la loi, car l’allégeance eut lieu entre lui et le peuple qui n’a pas choisi avec lui un associé parallèle.
- La dernière présidentielle a mis à nu les tensions communautaires dans le pays. Comment avez-vous réagi à la pression exercée, par les forces armées et de sécurité, sur les militants et sympathisants de la Coalition Vivre Ensemble, Kane Hamidou Baba et le candidat indépendant, Biram Dah Abeid ? Qu’entendez-vous par « question nationale » ou unité nationale qu’on n’arrête d’invoquer depuis des années ?
Je ne partage pas votre point de vue, car les élections présidentielles n’ont pas généré une tension entre les composantes de notre peuple qui continue à vivre dans un climat de concorde et restera ainsi, si Dieu le veut, puisque, malgré son caractère multiethnique qui constitue un facteur de force si ses élites comprennent cela et œuvrent à renforcer sa cohésion nationale en s’éloignant de tout projet qui déchire le tissu national.
Concernant les frères Kane Hamidou Baba et Biram Dah Abeid, ils ont leurs opinions et celui qui a une opinion doit être respecté tant qu’il ne viole pas les normes et les lois. Je témoigne que Kane Hamidou Baba est sage, pondéré et pacifique car j’ai vécu avec lui une expérience politique de cinq ans à l’UFD/Ere Nouvelle et au RFD comme nous avons vécu une expérience parlementaire de sept ans durant lesquelles il est resté exemplaire par la sagesse et le patriotisme.
Quant à Biram Dah Abeid, le connais depuis 2003 à travers le Parti de l’Alliance Populaire Progressiste et une relation spéciale nous lia, marquée par l’estime réciproque, l’évaluation que j’en fais a toujours différé de celle d’autres et il me contacta récemment après sa rencontre avec le Président, pour exprimer ce qu’il considère comme effet positif de cette estime selon ses propres termes.
Propos recueillis par Dalay Lam