L’avocat est d’abord et avant tout, un créateur de solutions ; il scrute les faits qui lui sont soumis, en extrait le thème saillant sur lequel il va se focaliser pour en donner une qualification juridique exacte et déduire de la sorte, la solution au cas examiné.
Cette solution servira à éclairer le client sur ses droits et obligations, à l’édifier sur l’attitude qu’il doit observer dans le cadre d’une solution préventive, transactionnelle ou judiciaire à son problème.
Le notaire quant à lui, apporte son témoignage aux faits pour leur donner un caractère authentique, ce qui hisse le contenu de l’acte notarié au rang d’écritures publiques, opposables erga-omnes (opposable à tous).
Si de surcroit, le notaire appose la formule exécutoire sur son acte, ce qui est permis par la loi, cet acte va alors produire de céans et de manière pleine et entière, les effets d’un jugement définitif, insusceptible d’être attaqué par une quelconque voie de recours.
Sur le plan de la preuve, l’acte notarié ne peut être discuté au fond que par la voie de la plainte pour faux en écritures publiques, procédure redoutable, rarement suivie dans sa mise en mouvement par le juge du siège, comme le prouve la jurisprudence dominante et constante en Mauritanie.
En effet, il n’est pas rare que les notaires soient abusés par des faussaires adroits, ce qui les conduit souvent à authentifier des faits faux, or les juridictions sont réticentes à les condamner, et préfèrent se perdre en subtilités juridiques pour ne pas qualifier de faux l’acte notarié, spoliant de la sorte les biens des plaignants, et enrichissant illicitement les faussaires, tout en faisant bénéficier le notaire d’une impunité absolue.
Cette situation se retrouve dans tous les domaines, aussi bien en matière successorale où des orphelins basculent dans la déshérence totale, qu’en matière immobilière où des propriétaires sont expropriés de leurs biens, que dans le domaine commercial où l’engagement n’est pas apprécié de manière éclairé par celui qui y souscrit, notamment lorsqu’il s’agit de constituer des garanties réelles ou personnelles, ce qui expose le constituant à se voir à terme, ruiné du fait de la disproportion de son engagement par rapport à son patrimoine et ses revenus…etc.
Ce sont sans doute là, quelques unes des raisons parmi d’autres, qui auront convaincu maître Brahim ould Daddah, alors ministre de la justice, naguère avocat talentueux et de grande envergure dont les qualités intellectuelles, professionnelles et morales sont unanimement reconnues au sein de la profession, à protéger les consommateurs d’actes notariés, en leur intimant de consulter préalablement un avocat pour tout engagement devant être constaté par-devant notaire, afin d’être suffisamment édifiés et éclairés sur la portée et l’étendue de leurs obligations, avant d’en authentifier le contenu chez le notaire, car une fois l’authentification faite, ils ne pourront plus s’en délier , au fond tout au moins, si ce n’est par la procédure de faux en écritures publiques que les juridictions ne sont pas enclines à appliquer, lorsqu’elle est mise en mouvement contre un notaire.
La démarche de maître Brahim ould Daddah n’est aucunement dictée par un quelconque corporatisme, loin s’en faut, encore moins par un hypothétique parti pris ou par quelque dérisoire intérêt mercantile ; rien dans la culture de l’homme, ni dans sa stature sociale, ne le prédestinant à de telles déviances.
La loi initiée sous l’égide de cet excellentissime homme de droit, a une vocation protectrice de la partie profane au contrat, et vise au-delà, par l’entremise de la consultation préalable d’un avocat, à éclairer toute personne (physique ou morale) qui s’apprête à être débitrice d’un engagement notarié ; à l’éclairer sur la portée de son engagement pour que son consentement ne soit surpris par le mensonge, la tromperie, ou toute autre mise en scène minutieusement planifiée, abusant souvent les notaires eux-mêmes.
En France, puisqu’il faut bien revenir à ce pays avec lequel nous partageons par endroits une même culture juridique, la solution à toutes ces dérives est restée pendant longtemps jurisprudentielle, sans que les avancées sur ce plan n’en viennent à modifier le code napoléonien de 1804, puis le législateur s’est invité dans ce domaine, pour faire face à la concurrence d’autres ordres juridiques, notamment celui d’outre manche, supposé plus attractif.
La réforme intervenue privilégie l’équilibre contractuel des prestations pour rendre vivant le droit des contrats, plus conforme au respect du principe de loyauté et de bonne foi, en donnant aux avocats fortement impliqués dans cette dynamique, les outils permettant de sécuriser les relations juridiques, au plus fort des intérêts des parties.
Cette intervention du législateur français qui s’inscrit dans un mouvement de clarification et de modernisation de grande envergure , introduit par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, qu’il serait fastidieux de développer dans le cadre de cet exposé, consacre l’article 1374 de ladite ordonnance à l’acte contresigné par l’avocat, décrit par le texte comme faisant foi de l'écriture et de la signature des parties, tant à leur égard qu'à celui de leurs héritiers ou ayants cause, et l’article de poursuivre que cet acte est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi, et ne peut être attaqué que par la procédure de faux incident, à caractère strictement civil. On voit que l’objectif du législateur français est non seulement d’élever le contreseing de l’avocat au rang de preuve irréfragable « inter partes » des faits constatés, mais également de l’exonérer de toute mise en cause sur le plan pénal, son acte n’étant attaquable que par la voie du faux incident, propre à la procédure civile, ce qui ne veut pas dire, mais alors pas du tout, que la responsabilité pécuniaire de l’avocat ne puisse être engagée au civil, s’il commet une faute préjudiciable au plaignant en faux incident.
Ce texte illustre suffisamment la place des avocats dans les Etats de Droit comme la France, et prouve à suffisance que maître Brahim ould Daddah avait ce souci, cette préoccupation régalienne de participer en tant que Ministre de la Justice à l’édification d’un Etat de Droit, loin de tout corporatisme , de tout parti pris, et qu’en modifiant la loi obsolète portant code de commerce, par l’introduction de l’article 116 bis, son seul souci était de sortir la Mauritanie de cet obscurantisme primaire, qui marginalise ce pays, comme il l’éloigne des valeurs de justice inhérentes aux sociétés égalitaires.
C’est en cela que maître Brahim ould Daddah illustre cette qualité propre aux avocats de grand talent, qui apportent des solutions aux inégalités et partant, aux dysfonctionnements sociaux qu’elles engendrent.
Il ne faut jamais perdre de vue que les actes notariés mettent souvent en rapport des professionnels rompus à l’art de la négociation et de la formulation des contrats, bénéficiant de surcroît, dans bien des cas, d’une suprématie économique , avec des cocontractants sans culture juridique, profanes dans ce domaine, souvent sans envergure financière , et si on se livrait à une investigation statistique pour avoir une approximation plus ou moins précise des personnes (physiques ou morales) spoliées sur la base d’actes notariés constatant des engagements viciés, on inscrirait en lettres d’or, dans notre corpus juridique, la réforme introduite par maître Brahim oud Daddah.
Par maître Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud
*Avocat à la Cour
*Ancien membre du Conseil de l’Ordre