Les Mauritaniens aspirent au changement. Après dix ans de disette, jamais le désir de tourner cette sombre page n’a été aussi fort. Si l’on excepte les années de braise de Haidalla (1980-1984) à la fin desquelles le pays tout entier était descendu spontanément dans la rue, pour fêter la délivrance. Au cours de son dernier mandat, le régime d’ould Abdel Aziz, qui se savait partant, malgré quelques velléités de s’incruster au pouvoir, est devenu synonyme de prédation, gabegie, népotisme, laisser-aller, pillage à ciel ouvert, sans aucun respect des formes. Le pays n’en pouvait plus des mêmes visages bouffis de mauvaise graisse, disant une chose et agissant à l’inverse, prenant l’Etat pour leur vache laitière et le peuple en dindon de la farce. L’administration de la chose publique qu’ils étaient pourtant censés servir et qui leur conférait cette respectabilité (dont ne se prévalent vulgairement que ceux qui en manquent naturellement), n’avait plus d’état que le nom. Missions régaliennes bafouées, ni éducation, ni santé, ni sécurité, jamais l’Etat n’avait été, en à peine une décennie, aussi floué, méprisé, volé. Le peuple (vous, moi et les autres) voyait ses ressources dilapidées, ses symboles piétinés, son histoire falsifiée. Comme dit le dicton, ce qui tuait à une certaine époque, ne faisait même plus honte. Nous étions tombés au plus bas de la déchéance.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’élection présidentielle de Juin dernier. Une élection sur laquelle se sont fondés tous les espoirs, puisqu’elle allait permettre – enfin ! – une alternance pacifique à la tête d’un Etat certes moribond, glissant dangereusement vers l’abîme, mais toujours réformable, si nous nous y mettons avec détermination et constance. D’où l’urgence, pour le nouvel élu, de prendre rapidement le taureau par les cornes, afin de sauver ce qui reste des meubles. Une tâche ardue mais pas insurmontable. Tout balayer d’un coup ? La demande populaire en ce sens est puissante mais, plus encore, le risque de chaos. N’exigeons pas l’impossible. Ould Ghazwani appartient au système qui l’a fait élire. Il ne peut s’en départir d’un trait de plume. L’ombre d’Ould Abdel Aziz continuera à planer sur nous, quelque temps encore, qu’on le veuille ou non. Certains de ses hommes parmi les plus décriés resteront aux commandes en certains postes névralgiques, pour assurer ses arrières. Jusqu’au jour où le vent contraire commencera à tourner. Dans quelques mois ou quelques années. En tout cas, inéluctablement. Le pouvoir, dit-on à juste titre, ne se partage pas et l’on ne peut pas être et avoir été.
L’un assure ses arrières, l’autre ses devants. C’est donc bien qu’on est en interrègne. Entre-temps, les courtisans d’hier se bousculent pour devenir ceux d’aujourd’hui. Que rien ne bouge, surtout, que rien ne bouge ! Sinon en apparence. D’autres, n’aspirant qu’à prendre leur place, n’ont guère plus de volonté à faire bouger réellement les choses. Mais d’autres encore l’ont, cette lucidité de vouloir œuvrer au meilleur, sont conscients de l’impérative nécessité, pour le bien commun, de s’y mettre sans plus tarder ; s’y attèlent déjà parfois. Les Mauritaniens aspirent au changement, disais-je en exergue. Mais de quoi ? Changer de boubou ou de comportement ? De forme ou de fond ? A chacun de nous de répondre à ces questions décisives, en son for intérieur, dans son quotidien, au volant de sa voiture comme à la conduite de sa charrette. Le peuple est souverain, n’attendons pas Ould Ghazwani, prouvons-lui, chacun, partout, à chaque instant, la réalité de notre volonté commune au meilleur, guidons notre guide !
Ahmed Ould Cheikh