Le calame: Le premier ministre a fait sa déclaration de politique générale devant le parlement le 5 septembre, qu’est ce que le politicien et syndicaliste que vous êtes à la fois a retenu de ce discours ?
Samory Ould Beye: J’ai suivi avec beaucoup d’attention le programme du gouvernement présenté par le premier Ministre le 5 septembre 2019 comme d’ailleurs beaucoup de mauritaniens avides de changement. Je trouve qu’il s’agit d’un programme très ambitieux au sein duquel les questions d’ordre social ont joui d’une place de choix. Dans ce volet social, plusieurs aspects positifs peuvent être soulignés qui, au cas où le programme est mis en œuvre, pourront impacter positivement sur les conditions de vie de la population, sur le progrès social, la cohésion sociale et aideront à l’épanouissent d’un citoyen mauritanien fier de lui-même et de son appartenance à la nation mauritanienne, à cet ensemble où vivre ensemble est agréable. Le programme revêt beaucoup d’autres questions très importantes au plan économique et politique, mais l’application de ce programme ambition dépend de la volonté et de l’engagement résolu du gouvernement pour conduire jusqu’au bout le processus qui ne manquera pas sans doute d’être sabordé par les pesanteurs égoïstes, avares et haineux. -Cette sortie vient marquer le début de l’exécution du programme du gouvernement du nouveau président de la république ould Ghazwani. Que pensez-vous de ce gouvernement dit de technocrates. A votre avis vous semble-t-il en mesure de relever les nombreux défis du pays ? Moi je pense que c’est une bonne chose dans la mesure où l’objectif recherché est de bâtir ce pays, d’œuvrer pour son développement harmonieux sa cohésion, le renforcement de l’unité du peuple loin des sphères d’idéologie étroite et de l’influence des politiciens et des esclavagistes qui ont tout détruit dans ce pays sur des bases racistes, étroites. Dans cette composition je peux noter également ma satisfaction quant à la représentativité des harratines, certes sur la base de compétence et d’expérience évidement mais cela verse dans le sens de réparation d’un tort et de redresser la barre bien qu’elle soit encore loin de ce qu’il faut mais un déclic dans la bonne voie. J’encourage personnellement.
-A votre avis, quelles sont les questions qui n’ont pas été élucidées ou explicitées par dans la DPG du PM ?
- Elles sont nombreuses et déterminantes pour l’avenir du pays. Elles avaient d’ailleurs été abordées par différents candidats à la présidentielle du 22 juin. Il s’agit notamment de
1- De la problématique harratine
Comme vous le savez, la composante harratine, vu ses particularités et spécificités propres qui la distinguent aussi bien des négro-africains que des maures, vu son nombre (53% de la population) doit être reconnue constitutionnellement en tant que composante nationale digne du nom.
Cette vision que le mouvement El Hor défend depuis des décennies est la seule qui permet aux harratines de s’affirmer et de jouir de tous leurs droits en tant que composante au même titre que les autres,
2- Problème culturel récurent
Le problème culturel est un problème crucial, sensible et complexe ; il doit, à cet effet, trouver sa solution qui, à mon avis, passe par la réforme de l’enseignement de manière à instaurer le bilinguisme pour un consensus national qui aide à atténuer le climat de tensions communautaires et à éloigner le spectre de conflits ethniques dont les ingrédients sont fortement présents. Car l’arabisation à outrance est devenue un instrument méchant d’exclusion et de répression culturelle contre les communautés noires de Mauritanie cela doit être réglé rapidement ;
3- L’armée nationale
L’armée nationale doit être une armée nationale républicaine qui reflète et l’image et les réalités objectives du peuple mauritanien et non une armée d’un groupe ethnique particulier, ses différentes structures (écoles, centres de formation...) doivent être réformés pour leur réadaptation aux réalités objectives en vue de plus d’égalité et des mêmes chances aux fils de ce pays ;
4- L’unité nationale
L’unité nationale a beaucoup souffert ces dernières années à cause du système politique basé sur une vision étroite, nourrie de mépris et de haine qui vise à détruire à néant les noirs de ce pays, harratines en particulier.
Ce système raciste doit être déconstruit pour l’intérêt de la nation, et en vue de l’émergence d’un Etat unitaire qui garantit à tout un chacun, ses droits, à mon avis la meilleure voie pour la recherche des solutions adéquates et pérennes reste évidemment le dialogue inclusif -acteurs politiques, sociaux, société civile-;
5- La paix sociale et civile, la cohésion sociale et le vivre ensemble
-Le dialogue social et les problèmes du monde du travail malheureusement ont été occultés malgré la situation socio-économique très critique de notre pays: chômage endémique ayant atteint son paroxysme, un pouvoir d’achat dérisoire, des salaires en stagnation depuis, la sous-traitance devenue une forme d’esclavage déguisée mais institutionnalisée au détriment des travailleurs laissés pour compte, sans espoir, exposés qu’ils sont aux abus multiples et aux pratiques arbitraires des employeurs, des lois et textes sabordés et annihilés moisissant dans les tiroirs, loin de l’applicabilité ; les tribunaux de travail et administration du travail devenus des auxiliaires instrumentalisés aux mains des employeurs.
Ces problèmes cruciaux méritent un intérêt particulier.
Nous avons besoin de créer les conditions nécessaires de vivre ensemble en paix et en harmonie ; cela exige une forme ou une autre de partage du pouvoir et des richesses en vue de l’implication de tous dans la gestion des affaires de ce pays afin de réaliser le progrès social, le salaire décent, une protection sociale réelle avec une couverture large et des prestations de qualité.
En plus de l’égalité des chances devant la fonction publique et toutes les opportunités qui puissent exister et l’élimination de toutes les formes d’injustice et de discrimination au travail ;
6- Ethnicisme, couches, minorités...
D’aucuns aiment coller à certaines communautés ou composantes nationales de manière arbitraire, l’étiquette de minorité ou de groupes sectaires. Or, ces catégorisations ou étiquettes ne reposent sur aucun critère objectif pour fonder cette représentativité au niveau national. C’est pourquoi, à notre avis, on doit, pour éviter ou corriger ces amalgames, en débattre dans le cadre d’un dialogue national inclusif, franc et sincère afin d’en sortir avec des critères objectifs de la représentativité nationale qui ne portent de préjudice à aucune composante nationale. C’est en ce moment seulement qu’on saura qui est qui et qui représente ou pèse combien
7- La communauté harratine, 53% de la population
De tous les temps les harratines ont été humiliés, maltraités, éjectés de la sphère de la société.
Une société réfractaire au changement de mentalité et à l’ouverture vers l’autre même pour le besoin de la cohésion et de l’unité nationale.
Cette communauté dont les membres ne savent pas ni partager ni respecter l’autre, doit aujourd’hui faire l’effort pour l’entente nationale nécessaire à la convivialité et à l’instauration d’un climat serein.
Les harratines ont été la grande victime de cette philosophie machiavélique mais aussi de la complicité historique de la féodalité des deux communautés, négro-africaine et maure. Cette attitude méprisante doit changer pour laisser la place à la recherche d’un consensus national équilibré et raisonnable, qui tient compte des réalités objectives et des intérêts supérieurs de ce pays ; c’est cette seule voie qui aidera à l’avènement d’un État de droit véritable, respectueux des principes fondamentaux de droits de l’homme ; un Etat de citoyenneté où vivre ensemble dans l’harmonie, la communion, le respect réciproque est possible
Les harratines restent fondamentalement attachés à ces principes sacrés et toujours prêts à apporter leur grain de sel pour consolider les bases de l’unité nationale, de la cohésion, du meilleur climat de sérénité, de bons rapports entre les différentes communautés ; ils œuvrent ardemment pour le développement harmonieux de la Mauritanie, pour le progrès social et le bien-être pour tous, loin du système d’exclusion, de discrimination et de l’unilatéralisme néfaste.
Je rappelle que le mouvement El Hor a toujours défendu ces principes et idéaux : d’égalité, de liberté, de respect de l’autre… Enfin pour une Mauritanie juste débarrassée des pratiques esclavagistes et leurs séquelles.
-Dans une correspondance adressée au nouveau premier ministre, au lendemain de sa nomination, vous accusez le gouvernement du président Abdel Aziz d’avoir tenté, par tous les artifices de déstabiliser la CLTM et de faire taire son secrétaire général que vous êtes. Peut-on connaitre ses motivations ? Et qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ?
Oui, Aziz et son régime se sont acharnés contre la CLTM et contre moi-même de manière inexplicable. Les raisons sont peut-être que la CLTM et ses dirigeants ont choisi la ligne radicale et se sont engagés résolument à combattre le système.
Nous sommes parvenus à maintenir pendant plusieurs années la Mauritanie sur la liste noire du BIT au sujet de la question de l’esclavage, nous sommes parvenus plusieurs fois à faire prendre des mesures contre l’Etat mauritanien pour la non-application de ses engagements relatifs à la feuille de route portant sur l’esclavage.
Nous avons mené une bataille farouche contre l’Etat mauritanien au sujet des ventes aux saoudiens des jeunes filles harratines, sous forme de déportation déguisée contre les harratines. Dans ce cadre, nous avons mobilisé les réseaux mondiaux de droit humain pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il mette fin à cette déportation déguisée, ce qui fut fait.
Nous avons également beaucoup travaillé avec les syndicats américains et d’autres institutions pour que le programme AGOA ne soit pas signé avec la Mauritanie tant que les pratiques de l’esclavage y sévissent, ce qui fut fait.
J’ai adressé, moi-même un mémorandum aux Nations Unies pour détruire et déconstruire toute l’argumentation du gouvernement concernant la feuille de route sur l’esclavage.
Comme j’ai saisi en 2016, l’Union Européenne avec un document de plusieurs pages sous le titre SOS-Harratines de Mauritanie pour demander leur intervention afin que la communauté harratine ne soit pas exterminée.
Tout cela vous donne l’idée de la bataille que nous avons menée contre le régime de discrimination de Mohamed Ould Abdel Aziz.
Face à cette situation le régime a pris une série de mesures en guise de représailles ; il a même cherché à m’éliminer ; ces mesures de représailles n’ont rien épargné qui puisse faire mal. Aujourd’hui, il est parti, la CLTM et son secrétaire général restent et vont poursuivre leur combat contre toutes les formes d’injustices et c’est justement ce que nous attendons du nouveau gouvernement. Qu'on rétablisse la CLTM dans les droits dont elle a été privée par le précédent pouvoir.
-Lors de la présidentielle, votre parti, Al Moustaqbel a chois de soutenir le candidat Sidi Mohamed Ould Boubacar, arrivé 3e de la course. Quels enseignements avez-vous tirés de ce scrutin et du score de votre candidat?
Effectivement, nous avons parrainé et soutenu le candidat Sidi Mohamed Boubacar, c’était un choix, nous l’avons accompagné loyalement jusqu’au bout, avec le résultat que vous connaissez. Notre candidat n'a pas été élu, ce qui est regrettable. Les causes de cet échec sont multiples, on peut évoquer, hélas, son mauvais entourage et surtout son directoire laconique et discriminatoire.
-Quelle est votre réaction par rapport au dernier cas présumé d'esclavage exhibé il y a quelques semaines dans le pays?
- Il ne s'agit pas d'un cas présumé mais d'un cas avéré. Il s’agit d’un cas d’esclavage réel. Il entre dans les différentes formes d’esclavage; classique, moderne ou travail de mineurs. On peut y ajouter également, un quatrième cas relatif aux violences faite aux enfants mineurs. Les autorités doivent avoir le courage d’affronter les réalités en face en évitant la fuite en avant.
L’esclavage doit être banni à jamais et des sanctions lourdes administrées aux contrevenants. Le droit doit être dit.
Un dernier mot sur le passif humanitaire
A l’instar des Haratine, la composante négro-africaine est elle aussi, victime de l’exclusion et de la discrimination du système qui gouverne le pays. La question du passif humanitaire des années 90 en est une parfaite illustration. Elle reste toujours d’actualité et la prière de Kaédi, organisée par Ould Abdel Aziz, en mars 2009 ressemblait fort à une comédie de mauvais goût, c’est pourquoi, elle n’a pas permis d’apporter une solution sérieuse et définitive à cette question. Nous demandons au pouvoir de trouver, avec les intéressés, à travers un débat national, des solutions définitives à ce drame humain.
Propos recueillis par Dalay Lam