Grand officier dans l’Ordre du mérite national
Cette haute distinction de grand officier me futd’abord octroyée, en 2013, par mon frère et ami Boye Alassane Harouna, dans l’exposé suivant : « Avais-je tout dit sur le colonel Oumar ould Beibacar dans le bouquin évoqué plus haut ? Non. Même si l’essentiel des indications permettant de cerner l’homme et l’officier étaient déjà là. Et pourquoi n’avais-je pas tout dit ? Par souci de lui épargner d’éventuelles représailles. Parce qu’il était encore en activité et le pays encore sous l’emprise du despote Taya.
Mais ce que, sciemment, j’avais tu, j’en fis explicitement état, noir sur blanc et par le détail, lors de l’exposé intitulé « Récit d’un témoin » que j’ai présenté le 13 Avril 2013, au Palais des congrès de Montreuil, lors de la célébration du 30èmeanniversaire des FLAM, en ces termes :« […] Le Bon de Jreïda, ayant déjà parlé de lui dans le livre mentionné plus haut, souffrez que je vous dise un mot, à propos de celui de Oualata, car, à bien des égards, il présente étrangement des similitudes frappantes avec Lorenzo, celui dont Primo Lévi disait croire que c’était à lui qu’il devait d’avoir survécu.
Mais parlons d’abord de notre Monsieur de Oualata. Il était courtois et respectueux. Il avait le visage et l’allure générale des personnes naturellement affables et attachantes, celles qui, au premier contact, vous inspirent sympathie plutôt qu’aversion. Il était altier sans être arrogant. Il était l’antithèse du « Flingueur ». Il avait un sens empathique très prononcé. Il savait nous écouter. Face à nos multiples problèmes, il était très réactif. À chaque fois que cela lui fut lui possible, il a cherché à nous apporter un peu de confort, si tant est qu’on puisse faire usage de ce mot, dans les conditions qui étaient les nôtres.
Deux ou trois fois, il se rendit à Nouakchott. Dans ses bagages, les lettres de quelques détenus destinées à leurs familles. Une fois arrivé, déjà muni des coordonnées des familles qu’il avait obtenues des détenus, il se déplaçait lui-même jusque chez chacune, lui remettait son courrier, en prenait un autre pour le détenu. Aux détenus concernés, il apportait lettres et nouvelles de leurs familles. Est-il besoin de souligner qu’il suffit de se projeter dans le contexte de l’époque, pour savoir que Monsieur prenait des risques énormes qui auraient pu lui coûter sa carrière, s’il était pris la main dans le sac ? »
Voilà ce que fut le lieutenant Oumar ould Beibacar et ce qu’il fit. Ainsi se comportait-il, au plan humain et professionnel. Et ce, tout le monde s’en souvient, dans un environnement national marqué par la haine raciale entretenue par un régime foncièrement raciste et répressif. Un régime mû par une volonté d’épuration ethnique manifeste. Au cœur d’un système carcéral raciste qui réduisait les détenus en squelettes mobiles recouverts de haillons pouilleux, crasseux et nauséabonds, le colonel Oumar ould Beibacar œuvra à stopper le processus de déshumanisation enclenché.
Là où les détenus que nous étions étaient chosifiés, animalisés ; en ce lugubre lieu où la mort rôdait en permanence ; où nos geôliers laissaient ce qu’il y avait d’animal en l’Homme prendre le dessus sur ce qui en lui fait de lui Homme, c’est-à-dire un être humain, pourvu de dignité et de raison, et donc capable d’humanité, Oumar Ould Beibacar arriva et inversa les termes du problème, les remettant à l’endroit. D’emblée il choisit l’Homme, c’est-à-dire la dignité humaine. Pour tout dire, il s’attela à humaniser nos conditions carcérales, autant que le lui permettaient les responsabilités qui étaient les siennes.
Quand on sait que certains de ses frères d’armes qui l’ont précédé au fort de Oualata rivalisaient d’ardeur et de jubilation, dans leurs œuvres mortifères vis-à-vis des détenus : tortures, humiliations de toutes sortes, dédain, indifférence au sort de l’autre, déshumanisation… ; quand on se souvient que beaucoup d’autres s’apprêtaient, avec la bénédiction du pouvoir de Taya, à se livrer à des crimes contre l’humanité, à des exécutions massives de militaires et à des déportations de milliers de négro-africains, on saisit toute la grandeur et la noblesse du colonel Oumar ould Beibacar, son sens du devoir, son aversion pour l’injustice, son profond attachement au respect de la dignité de l’autre, son prochain, son compatriote, abstraction faite d’une quelconque appartenance communautaire, ethnique ou régionale.
Quand, après la mort de nos quatre compagnons de détention, la pression internationale obligea le pouvoir à briser le mur de silence qui entourait les prisonniers de Oualata et à améliorer leurs conditions de détention, c’est une délégation qui fut dépêchée à Oualata (Décembre 1988). Cette délégation reçut, en tant que délégués des détenus, le lieutenant Yongane Djibril Demba et votre serviteur. Lesquels exposèrent, aux visiteurs, la situation des détenus et leurs doléances. Oumar ould Beibacar était là, fixant de son regard franc et empathique les deux délégués des détenus, comme pour leur dire : « Allez-y messieurs, c’est le moment ou jamais. Dites ce que vous avez dans le cœur ! Exposez votre vécu carcéral. »
Voilà ce que fut Oumar ould Beibacar à Oualata. Voilà ce dont tous les pensionnaires de la prison-mouroir de Oualata peuvent témoigner, à l’exception peut-être d’un détenu, suis-je tenté de dire. S’agit-il de l’encenser ? Il s’en passerait volontiers. Il est question, puisque l’actualité nous y invite, nous interpelle, d’exposer des faits historiques dont il fut témoin et acteur. Des faits auxquels il sut faire face avec un calme, un professionnalisme et une grandeur propres aux grands hommes. Faits historiques puisqu’ils sont constitutifs d’évènements nationaux tragiques qu’il faudra bien un jour transcrire dans les pages de l’histoire de la Mauritanie ».
Puis en 2015, dans un hommage qu’il m’adressa et je le cite : « A sa retraite, il opte pour prendre sa plume, parfois virulente mais fondamentalement juste, toujours précise et limpide. Il choisit d’exprimer sa douleur et ses peines, longtemps refoulées du fait du devoir de réserve. Il dit son fait, manifeste sa colère réelle et grande, cependant courtoise. Il joint sa voix autorisée à celles, hélas encore minoritaires, qui appellent à nommer le Mal mauritanien dans toutes ses dimensions, notamment le racisme d’Etat, l’exclusion de plus en plus grandissante de la composante nationale noire.
Cet homme profondément humain, capable à la fois de faire preuve de professionnalisme et d’humanité, altier et posé, qui aime son pays dans sa diversité, après l’avoir dignement servi l’arme à la main, c’est-à-dire sous le drapeau, aspire aujourd’hui à le servir avec son verbe, avec sa plume. Il en a en le devoir que nul ne peut lui contester. Il en a la légitimité que nul ne peut lui confisquer. Car son parcours professionnel, l’exercice des multiples responsabilités qui furent les siennes dans des circonstances où une composante nationale du pays, les Noirs, était victime des crimes les plus ignobles, firent qu’il fut au cœur, comme témoin direct ou observateur avisé, d’épreuves épouvantables, de tragédies inouïes.
Au nombre de ces épreuves mortifères, celles que vécurent les détenus de la prison-mouroir de Oualata en 1987/1988. En effet, pour ceux qui ne le savaient pas ou qui l’auraient oublié, c’est là, en ce lieu funeste, que le chemin des détenus que nous étions croisa celui d’Oumar ould Beibacar, à l’époque lieutenant et commandant du Groupement Régional de Néma. Le Fort-mouroir et la surveillance des détenus que nous étions relevaient de sa responsabilité. Lorsque viendra le jour inéluctable où il faudra s’asseoir, pour débattre du passé et du présent, en vue de construire la Mauritanie de demain, la présence et la voix des hommes et des femmes tels que le colonel Oumar ould Beibacar seront une immense caution, une chance certaine de parvenir à des solutions salutaires pour le Pays.
Oui, hommage soit rendu à Oumar ould Beibacar, ce digne fils du pays ! Hommage à tous ces Mauritaniens et Mauritaniennes de son étoffe ! Le jour où ils feront foule, nous verrons une Mauritanie rayonnante, juste, égalitaire et démocratique. Une Mauritanie fière de sa diversité et de sa pluralité enrichissante.
Grand Cordon dans l’Ordre du mérite national
Mon Grand Cordon me fut attribuée par ma nièce, Iman mint Ismail ould Babah, à l’occasion du jour de ma mise à la retraite, le 27 Juillet 2015, qui coïncidait avec mon anniversaire. En voici la teneur : « Hommageà mon oncle maternel, Oumar ould Beibacar ! Aujourd’hui est un grand jour, celui de votre anniversaire et celui de la fin de votre carrière. Un jour qui célèbre une vie pleine de bonté, d’humanisme, de générosité, de grandeur mais, surtout, d’honnêteté et de droiture.
La Garde nationale perd un de ses piliers, elle perd une incarnation des grandes valeurs, celles qui deviennent si rares de nos jours. Malheureusement, vous n’avez pas été célébré autant que vous le méritiez. S’il n’en revenait qu’à moi et à tous ceux qui apprécient encore les hommes de valeurs comme vous, vous seriez enseigné dans les livres d’écoles. Pour moi, votre nom est synonyme de patriotisme et de courage. Le courage d’exprimer ses idées, le courage de dénoncer les injustices et de dire la vérité, quelles que soient les conséquences, même si celles-ci sont au détriment de vos intérêts personnels et professionnels.
A ma mère qui a pleuré aujourd’hui, en me disant que vous n’avez pas obtenu le grade de Général et les fonctions que vous méritez, je lui dis : « Essuie tes larmes Maman, essuie tes larmes car les grades et les fonctions, beaucoup en ont mais peu, très peu ont les qualités de ton frère. Nous vivons dans un monde si matérialiste que parfois nous oublions les choses essentielles de la vie, celles qui, en tant que musulmans, devraient nous être prioritaires. Nous préférons les grandes villas, les hauts salaires et les belles voitures, à la droiture, l’honnêteté et la défense des droits de nos concitoyens. Maman, essuie tes larmes et célèbre ton frère, célèbre sa carrière et sois-en fière. »
Je demande à ceux qui ne vous connaissent pas de lire le livre « J’étais à Oualata » dont un chapitre entier vous est dédié, afin de voir comment vous avez honorablement et si justement dénoncé les injustices commises auprès de vos compatriotes emprisonnés à l’époque. Je me rappelle encorede ce compatriote, Lamine Kane, qui préférait m’appeler, plutôt que par mon nom, « la nièce du Colonel Oumar ould Beibacar ».
Je ne peux m’empêcher de penser à ce que vous avez écrit dans un texte récemment publié sur Internet. Vous y parliez de votre père Cheikh ould Beibacar, en disant qu’après sa mort, il vous avait laissé, « en héritage, une somme de 7000 ouguiyas dans sa poche, reliquat de son dernier salaire, un poste radio, une montre, des livres et un inestimable capital de fierté, de dignité et d’amour pour la justice ». Quel bel hommage à votre père, mon grand-père maternel que je n’ai jamais connu ! Il me suffit d’entendre tous les témoignages honorables à son égard pour l’admirer. Vous avez honoré votre père, vous avez respecté et suivi toutes les valeurs qu’il vous a enseignées.Je ne peux oublier votre mère, que j’ai eu la chance de connaître et dont je pleure encore la mort, Yemiha mintTalhata, que vous décrivez si bien dans votre texte : « une femme généreuse et cultivée ». Je rajouterais à ces qualités : une femme pieuse, pleine de bonté, si humaine et si généreuse. A mon avis, vous avez aussi toutes les qualités de votre mère exceptionnelle.
Je pense, ce soir, aux deux Yemiha, à Yemiha votre mère, Allah yerhamha, qui vous aimait tant et qui, aujourd’hui, serait si fière de votre honorable carrière ; mais, aussi, à Yemiha votre fille, la plus jeune de vos enfants, la prunelle de vos yeux. Je sais qu’elle a un futur brillant devant elle et je ne me doute pas que vous lui inculquerez toutes vos valeurs et vos qualités. Quant à la Garde nationale, je leur rappelle la fameuse phrase de George Pompidou, au lendemain de la mort de Charles de Gaulle : « La France est veuve ». Aujourd’hui, vous partez à la retraite. La Garde Nationale est veuve.
Célébrons ensemble votre carrière ! Nous en sommes fiers. Votre famille, vos proches et tous ceux qui ont eu la chance de vous connaître vous admirent. Je suis sûre que même vos ennemis et ceux qui ont été injustes envers vous vous admirent secrètement car vous avez fait ce que peu de gens ont pu faire : vous êtes resté égal à vous-même, tout au long de votre carrière, sans laisser l’argent et les choses matérielles vous corrompre. Joyeux anniversaire, qu’Allah vous donne longue vie, cher oncle ! »
Tous ces témoignages écrits, en plus d’autres témoignages verbaux émanant d’autres prisonniers civils, comme feu le président Ly Jibril Hamet, le président Samba Thiam et le président Ibrahima Moctar Sarr, entre autres, m’ont particulièrement touché, au point que je me demande si je les ai vraiment mérités. Je profite de l’occasion pour les en remercie infiniment, du fond de mon cœur. (A suivre).