Depuis la publication de la liste des membres du gouvernement de monsieur IsmaïlouldBeddaould Cheikh Sidiya,le 8 Août 2019, beaucoup de salive et d’encre ont coulé ; continuent encore de couler,abondamment,à plusieurs niveaux et en diverses directions. Les claviers des ordinateurs et autres smartphones ne sont pas en reste.Pour certains, le temps mis pour concocter ce gouvernement a été trop long, surtout par rapport au résultat. Presqu’une semaine, pour reconduire des hommes et des femmes de la même majorité qui n’a pas changé, au moins, depuis 2009 ! Il n’y a ni ruptureni changement. On prend les mêmes et l’on recommence. Honnêtement, en dehors d’un certain discours aux colorations quelque peu novatrices, rien de palpable n’annonçait les prémisses d’un réel virage. D’autant plus qu’en politique et comme l’énonce si bienle célèbre adage,« les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient ».
Les « déçus » de la composition du gouvernement de monsieur Ismaïl en ont donc eu pour leurs frais. Ils espéraient un changement important. Mas, en analysant objectivement l’actualité politique de notre pays,depuis le referendum du 5 Août 2017 et même en-deçà – disons, depuis le coup d’Etat de 2008 – il apparaissait clairement que le pouvoir en place ne veut que se perpétuer. Il ne compte pas fonder les conditions d’une compétition saine, pour une alternance démocratique, et entend user de tous les moyens en sa possession– ils sont nombreux !– pour arriver à ses fins. Le changement est un long combat,jonché d’énormes sacrifices.
Pour la consommation extérieure, le pouvoir a suscité et parrainé les candidatures de l’opposition, tout en s’assurant que « tout est sous contrôle ». Il a gesticulé, à propos de la recomposition des membres de la CENI. Juste pour faire diversion. Mais cela ne pouvait tromper l’observateur averti : les dés étant notoirement et visiblement pipés, le résultat des élections et le scénario de la suite luiétaient connus d’avance.
Pour d’autres, le changement de personne à la commande est déjà une grande victoire : monsieur Mohamed ouldGhazwanien place de monsieur Mohamed ould Abdel Aziz est annonciateur d’une ère nouvelle. Rien ne sera plus comme avant et tout sera pour le mieux… dans le meilleur des mondes. Cette tendance est confortée par l’idée selon laquelle les hommes et les femmes du nouveau gouvernement seraient plutôt des technocrates, connaisseurs dedossiers, donc capables de diagnostiquer les maux dont souffrent la Mauritanie et d’y apporter les remèdes nécessaires et suffisants.
S’y ajoutent des voix de wolofs etautres défenseurs de la cause de cette communauté, qui ne s’intéressent ni aux personnes ni aux programmes proposés mais uniquement à la représentativité des communautés du pays,en tout gouvernement constitué. Peu importe ce que fera de bon ou de mauvais ledit gouvernement. Ces voix (particulièrement celle de la communauté wolof de Mauritanie, dans CRIDEM du 10/08/2019) prétendent que seul le Président Sidi ould Cheikh Abdellahi, dans l’histoire de la Mauritanie, a déjà nommé un ministre wolof, pour une courte durée. Elles oublient monsieur Papa Fall Daoud qui futministre de feu maître Moctarould Daddah, monsieur Samba Thiam,ministre du Budget de Sid’AhmedOuldTaya, et,plus récemment, madame Awa Tandiaqui ne peut pas ne pas être considéréewolof :sa mère est descendante directe du Brack(souverain) du Walo.
Tares très anciennes
Les tares de la Mauritanie sont très profondes, congénitales et remontent à assez longtemps.De mon point de vue, le très urgent débatà mener, entre gens sérieux etdès que possible, ne concerneni les quotas communautaires ni l’appartenance politique des hauts commis de l’Etat. Je souhaite me tromper mais le diagnostic que je fais sur la Mauritanie est si préoccupant que parler de quotas communautaires, de ligne politique et autres me semble saugrenu et totalement à côté des vrais problèmes. Savez-vous que la cohésion de notre société est en danger de grave dislocation?Savez-vous que les institutions traditionnelles, féodales et rétrogrades sont encore plus opérationnelles et efficaces, en matière de prise en charge des problèmes des Mauritaniens, que les institutions de l’Etat ?Savez-vous que les institutions publiques sont quasi inexistantes ?Tout comme les compétences publiques au service du citoyen ? Savez-vous que les rares reliques de cesdites institutions publiques fonctionnent à la tête du client ou au service de la féodalité ?Savez-vous que l’école publique est un mirage ?Théoriquement obligatoire jusqu’à 16 ans, mais combien d’enfants y vont et restent jusqu’à la fin du cycle, à Nouakchott et, surtout, à l’intérieur du pays ? Combien d’élèves disposent effectivement des conditions optimales pour suivre des études primaires et secondaires ?Savez-vous que notre système de santé est, lui aussi,quasimentinexistant ?Combien de nos compatriotes, même parmi les plus modestes, vont se soigner à l’étranger, parfois pour de bénignes maladies ?Savez-vous qu’au moins 50 % de la population de la Mauritanie vivent en-dessous du seuil de pauvreté ?Savez-vous que l’économie de la Mauritanie est essentiellement extravertie ? Nous exportons ce que nous produisons (matières premières) et importons ce que nous mangeons.Savez-vous que notre économie réputée durable (agriculture, élevage, pêche continentale, agroforesterie…) est dans un état inquiétant, malgré les chiffres et les déclarations officiels ?Connaissez-vous l’état lamentable de gestion et d’exploitation de notre économie non-renouvelable (minerais, économie maritime…) ?Savez-vous que ce n’est pas le gouvernement de monsieur Ismail ouldBeddaould Cheikh Sidiya qui va redresser cette quasi irréversible situation, même s’il y ajoute N’Diadiane N’Diaye, le présumé ancêtre des Wolofs ?
Il me semble que, compte tenu de la gravité desproblèmes de fond que vit notre pays, l’heure n’est pas à disserter sur les communautés présentes ou absentes au gouvernement. L’urgence est ailleurs. Quand ceux-là seront correctement diagnostiqués et durablement résolus, les problèmes moins compliqués, comme les quotas communautaires et autres, seront également résolus. Par conséquent, que les Wolofs soient ou non représentés au sein du gouvernement n’est pas le plus important.
Les problèmes sérieux de la Mauritanie datent de la naissance même du pays. La Mauritanie a déraillé dans les années 1960, peut être même au moment d’accéder à la souveraineté internationale. Toujours est-il que les pères fondateurs de la Mauritanie (toutes communautés confondues) n’ont jamais réellement posé le diagnostic des contraintes des populations ni cherché de solutions durables à leurs problèmes vitaux. Ils ont toujours cédé à l’urgence du présent et remis, à un plus tard insaisissable,la définition des problèmes et leurs solutions consensuelles, soit par calcul politicien, soit par négligence ; deux attitudes également coupables.
Superstructures problématiques
Les problèmes essentiels de la Mauritanie sont des problèmes super-structuraux. Ils ont rapport avec la civilisation et la culture. Une personne se définit par son identité propre qui concerne,d’abord, sa civilisation et sa culture. Les peuples dont l’identité, la civilisation et la culture ont périclité et disparu ont également disparu eux-mêmes. Combien de peuples ont-ils subi cette fatale pente ? Le jour où l’identité, la civilisation et la culture arabes auront disparu, les Arabes disparaîtront. Lorsque l’identité, la civilisation et la culture peules disparaîtront, les Peuls disparaîtront. Il en est ainsi pour tous les peuples.
En fait, la mission primordiale d’un Etat, en plus d’être juste et équitable, est de réunir toutes les conditions nécessaires et suffisantes pour l’épanouissement économique et socioculturel des civilisations et des cultures des populations vivant sur son territoire. Quand on est enrépublique, la mission est encore plus contraignante. L’Etat est garant de l’épanouissement de la civilisation et de la culture de chaque citoyen. Dans une république qui se respecte, un citoyen vaut un citoyen. Mêmes droits, mêmes chances, mêmes devoirs. Le citoyen (quelque soit l’importance démographique de son groupe d’appartenance) adroit à l’éducation dans sa langue. Il a droit à la formation et la qualification lui permettant de trouver un emploi et une rémunération pour une vie sociale digne. Il a droit à la santé. Il a droit à un épanouissement intellectuel et culturel… Et, bien sûr, il a également des devoirs, vis-à-vis de la société et du pays.
Il faut se méfier de certains faux alibis qui permettent de noyer le poisson et de se donner bonne conscience : la démocratie mal comprise (dictature de la majorité…) et la statistiquedétournée (loi des grands nombres…). « Tous les Mauritaniens sont des musulmans, l’arabe est la langue de l’islam, la civilisation et la culture arabes sont donc civilisation et culture de tous les Mauritaniens ».Par conséquent, mettretous les moyens pour le seul épanouissement de cette civilisation et de cette culture est au profit de tous.Autre aberration, tel groupe fait 80 % de la population, tel autre 10 % et tel troisième, enfin, 1 %. On dit ne pas oublier le groupe 1 % mais on ne lui accorde que 1 % de temps d’antenne (radio et télé, par exemple), on l’oublie pour le reste, puisqu’on s’occupe des autres 99 %.Agir ainsi, c’est ignorer, conscient ou non, les droits du citoyen. Le monde est rempli de musulmans non arabes (deux-tiers de l’Oumma). Le pays qui compte le plus de musulmans dans le monde, c’est l’Indonésie etles Indonésiens ne sont pas arabes. Outre leur religion (l’islam) et sa civilisation (l’Islam), ils ont leurspropres civilisation et culture.
Le citoyen du groupe 1 % ne doit pas être passé par pertes et profits. Il a les mêmes droits que le citoyen du groupe 80 %, doit être en conditions de jouir des mêmes avantages et chances. L’Etat doit veiller à ce qu’il en soit ainsi.Tout citoyena droit, à défaut de chaînes de télé et radiospropres, au même temps d’antenne que les autres, pour s’informer, se former et se divertir.
Des solutions
Le jour où l’Etat et ses institutions (l’école républicaine en premier, le pouvoir judiciaire…) atteignent leurs objectifs, tout citoyen mauritanien est, à la fois,pleinement lui-même, sa civilisation et sa culture mais il est, également, l’incarnation et le défenseur jaloux des civilisations et cultures de tous ses concitoyens. Ce n’est pas antinomique. Nous avons le plus merveilleux et beau peuple au monde. Quand on en fréquente la profondeur, de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud (je l’ai personnellement vécu),on constate la puissance des civilisations et des cultures de cesdiverses populations et l’on constate, également, leur métissage, brassage, acceptation et entière ouverture à l’Autre. Quand deux mauritaniens de cultures différentes se rencontrent à l’étranger, leur mode de fraternisation et de solidarité est, tout simplement, extraordinaire.
Le problème de la Mauritanie, c’est sa classe politique et sa soi-disant élite intellectuelle (toutes ethnies confondues) ; jamais son peuple. Premier responsable de tout ce qui arrive, l’Etat mauritanien a organisé la marche du 9 Janvier 2019,contre la haine et la xénophobie. En réalité, si haine et xénophobie il y a, c’est le résultat de sa politique depuis de longue années. De même, l’Etat est le mieux placé pour éradiquer la haine et la xénophobie, ainsi que toute forme de discrimination. Cette marche en a donc étonné plus d’un, le peuple en premier. En réalité, ce sont les pouvoirs politiques qui se sont succédé jusqu’ici et l’élite intellectuelle qui ont toujours produit etpropagé la haine, la xénophobie et la discrimination ; jamais le peuple.
Qui amarginalisé des communautés entières et des groupes sociaux, de toutes les sphères de commandement et de responsabilité, dans la gestion de la chose publique ? Qui a semé le sentiment de hiérarchisation entre les communautés, considérant les unes supérieures aux autres et certaines étrangères ? Qui a bâti une armée dite nationale (tous les généraux en activité) et des forces de sécurité entièrement constituées de ressortissants d’une seule communauté ? Qui a instauré une administration raciale ? Qui a fondé des institutions scolaires d’élite, réservées uniquement aux enfants d’une seule communauté ?
Parmi les choses importantes qu’un Etat républicain se doit de connaître et faire connaître, en plus d’une justice égale pour tous, c’est le peuplement deses terroirs. Les Etats écrivent les histoires de leurs populations, ainsi que celle de leur nation et se font le devoir de les enseigner toutes à tous, en l’école républicaine, afin de construire une mémoire collective, patrimoine de la nation entière qui se l’approprie volontairement et la revendique avec enthousiasme et dévouement. Il ne s’agit pas, comme cela a tendance à devenir actuellement le cas, de concocter une histoire partiale et partisane qui favorise les uns au détriment des autres.
Un historien français, monsieur Ferro, a écrit un livre :« Comment enseigne-t-on l’histoire aux enfants à travers le monde ». Dans ce livre qui fait le tour de celui-ci en matière d’écriture historique, il compare, entre autres, les livres d’histoire sur la deuxième Guerre mondiale, en France et en Allemagne. A les lire côte à côte, on en arrive à se demander si les historiens de ces deux pays parlent de la même guerre. Le peuplement des terroirs qui vont devenir le pays de la République Islamique de Mauritanie est connu des savants (1). Il doit figurer dans les livres de notre histoire nationale,à enseigner de la maternelle à l’Université. Il y a notamment lieu d’y témoigner que leSaharane fut pas toujours un désert, il l’est devenu. Humide etvert, il y a cinq mille ans, il était habité par des populations d’agriculteurs, éleveurs,pêcheurs et chasseurs – voir les pièces du Musée National à ce sujet –qui ont progressivement migré vers le Sud avec l’avancée du désert. Les descendants de ces populations n’ont pas disparu. Ils sont toujours sur le sol devenu mauritanien.
En réalité, les pouvoirs publics qui se sont succédé jusqu’ici n’ont jamais voulu prendre le taureau par les cornes. Il semble même que l’essentiel du pouvoir soit toujours entre les mains de groupuscules nationalistes arabes permanents qui tiennent à saborder le pays, advienne que pourra. La question nationale n’a point été considérée comme importante. Le seul pas significatif fut d’inscrire, dans la Constitution,le passage suivant : « Les langues nationales sont l’arabe, le pular, le soninké et le wolof ». Ils n’ont pas été assez conséquents pour aller jusqu’au bout de la logique, en élevant toutes ces langues,effectivement parties des civilisations et cultures des populations du pays, au rang de langues officielles. Une œuvre reste à achever.
En principe, l’Etat devrait imposer, par le biais de la loi et à toutes les institutions de la République, la reconnaissance, la défense et la promotion de l’identité, des civilisations et cultures nationales et la participation des ressortissants de ces identités, civilisations et cultures,dans toute activité, sur toute l’étendue du territoire de la République Islamique de Mauritanie. Ainsi, la loi rendrait obligatoire la présence,à tous les niveaux supérieurs de responsabilité,des ressortissants de toutes les communautés,en tout ce qui concerne la République(administration, gouvernement, Parlement, partis politiques…).
Nouakchott, le 14 Août 2019
DiopMohamédine
Expert sociologue
Note :
(1) : Ceux qui savent.