Le Conseil constitutionnel mauritanien, après avoir rejeté les recours des candidats de l’opposition - qui continuent de contester les résultats – a confirmé la victoire du Général Ghazouani. Ainsi donc, après des semaines de brouhaha et de tintamarre tenant lieu de campagne, le verdict des urnes, dont certaines étaient remplies jusqu’à la gueule de bulletins du candidat du pouvoir (certains bureaux de vote avaient enregistré plus de votants que d’inscrits), les Mauritaniens se retrouvent aujourd’hui plus divisés que jamais. Les 52% de Ghazouani contre les 48% de l’opposition montrent que le peuple mauritanien n’a pas véritablement tranché dans le vif.
Et maintenant, quels enseignements tirer d’une élection qui, de mémoire de Mauritanien, n’a jamais été aussi serrée ? De façon non exhaustive, au moins 2 enseignements se dégagent des résultats de cette élection :
- Très peu de ceux qui se disent opposants ne le sont en réalité ; ou du moins, ne le sont que par circonstance car n’hésitant pas à rallier le candidat du pouvoir quelques jours seulement avant le début de la campagne électorale, et ce, après avoir tympanisé le peuple, des années durant, à travers un machin qu’ils appelaient FNDU (Front National pour la Démocratie et l’Unité) et que certains d’entre eux avaient même eu le « privilège » de présider. Une fois l’échec de la candidature unique consommé, beaucoup « d’opposants banaava » (l’érudit Sidi Yahya parle d’Oulémas-banaava) ont très vite montré leur vrai visage de saurien dont le sourire de crocodile avait trompé ceux qui voyaient en eux des hommes de parole et de conviction – hélas, ces « pirates politiques » n’étaient en réalité que de vulgaires acteurs d’un film qui s’apparenterait aux « Révoltés du Bounty », alors que leur révolte à eux n’était due qu’au fait qu’ils étaient éloignés de la mangeoire ;
- Les « cadres » négro-africains qui, de tout temps, ont voté et fait voter la Vallée pour donner la victoire au pouvoir du moment, allant, pour certains, jusqu’à considérer cette contrée comme étant leur titre foncier, se sont avérés des cabris morts, des unijambistes, des « thioolos » et des « diéguéreckel » qui, pour peu que le peuple se lève pour leur dire non, se retrouvent le bec dans l’eau, l’œil torve et la langue pendante. L’élection du 22 Juin passé a eu le mérite de casser le mythe des « lion de Wouro-Por », des « taureau de Boné-Manna » et autres « Piyoori de Weendu Mbabba ». Tous ces « yontaaBe » du Fouta ont été, partout dans la Vallée, de l’embouchure Ouest du fleuve, jusqu’à Ghabou, battus à plate couture, humiliés, même dans leurs propres bureaux de vote, et réduits à leur plus simple expression dans leurs patelins qu’ils considéraient depuis des lustres comme leurs fiefs, leurs fauteuils. La débâcle est d’autant plus honteuse que ces « grands hommes », parés de leurs plus beaux atours, déployant les moyens les plus conséquents, ont été laminés par des coalitions (Biram et CVE) limitées financièrement mais portées par une jeunesse déterminée et des hommes aux ressources modestes mais dont le langage de vérité a très vite pris le dessous sur le mensonge, la duperie, la menace et l’intimidation des ces « cadres » dont beaucoup excellent dans la tortuosité. Boghé est l’une des illustrations parfaites de la déroute historique des soutiens du pouvoir, Boghé d’où sont originaires les 3 (et uniques) Généraux négro-africains de l’armée mauritanienne, Boghé qui a plusieurs ministres (et ex-ministres), Boghé, la ville de l’ancien ministre de la Défense et actuel président du Conseil constitutionnel, mais aussi un ancien maire dont l’aura, malgré qu’il ait rejoint les rivages riants du pouvoir, n’a pas pour autant très faibli. Tous ont été emportés par la déferlante d’une « armée mexicaine » de jeunes décidés d’en découdre et qui a pris le dessous en s’asseyant, nettement et sans bavure, sur le nombril (les Halpulaaren disent « Wuddu ») des « grands mbir » qui, pour une fois, ont mordu la poussière…
Maintenant que l’élection est derrière nous, nonobstant la contestation de l’opposition, il est temps que l’Etat, dont la fébrilité s’est manifestée par un déploiement massif et incroyable de l’armée dans des zones ciblées (appelons un chat, un chat), des arrestations tous azimuts, un discours guerrier disproportionné, revienne à la raison.
Ghazouani, confirmé dans sa victoire par le Conseil constitutionnel, a du pain sur la plante : une unité nationale, même si elle n’est pas en lambeaux, est quand même traversée par des schismes de tous ordres ; des passifs (humanitaire et économique) non soldés ; des problématiques installées dans la durée (esclavage-séquelles, l’école, les terres dans la Vallée…). Il s’agit d’un héritage qu’il est temps de régler par le dialogue et la concertation, d’autant plus que l’opposition a fait preuve de modération tout en assurant sa disponibilité. Ghazouani devrait, dès à présent, prendre la balle au bond, contribuer à la libération de tous les prisonniers et la démilitarisation des quartiers assiégés, engager des discussions sincères (en particulier avec la coalition Biram et celle du Vivre Ensemble du Dr Kane), avant que les forces de l’inertie et du « marquez-le-pas » ne le happent et ne le prennent en otage, comme elles l’ont fait du pauvre Ould Taya, qu’elles avaient hissé sur un piédestal avant de le huer comme un gueux une fois le pouvoir perdu ; comme elles l’ont fait de Mohamed Abdel Aziz qui, du Président des Pauvres, a fini par être transformé en « Président des pauvres-de-nous ».
Enfin, l’élection passée ayant montré une perte de vitesse notoire (soyons indulgents pour les vaincus) des « cadres » de la Vallée, avec une prise de conscience affirmée de la jeunesse négro-africaine (n’ayant pas peur des mots), il revient au Président Mohamed Ghazouani d’en prendre la mesure et d’écouter cette jeunesse qui, loin d’être composée de rebelles et de rappeurs, a exprimé ses préoccupations et ses attentes : un sentiment d’abandon et d’avenir bouché.
Espérons que le nouveau Président saura décrypter le message et composer aussi bien avec les nouveaux vainqueurs de la Vallée (l’opposition) que les vaincus (qui avaient soutenu sa candidature).
Qu’Allah aide et Protège la Mauritanie. Amin.
Rachid LY
Ecrivain