Le 5 et 6 septembre 2014 à Kaédi, monsieur Abdoulaye Waïga, ancien Directeur Général de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale de la Mauritanie (CNSS), donnait une conférence sur le travail du fer, en Afrique, ses origines et ses conséquences socio-politiques.
Deux théories sur l'origine du travail du fer en Afrique y furent présentées : le diffusionnisme et l'auto découverte. Selon des chercheurs occidentaux comme Raymond Mauny, le travail du fer débuta dans le Caucase, en Asie Mineure ou en Mésopotamie, avant de se répandre dans le Monde. Selon Bertrand Gilles, « l'origine de la métallurgie du fer doit se situer entre 1700 et 1500 av. J.C, probablement dans la région du Caucase, chez les Chalypes, d'un côté, et les Hittites, de l'autre ». Il atteint la Grèce vers 1200 av J.C. ; l'Inde, vers 800 ; puis l'Afrique, par la vallée de Méroé, vers 600 ; le lac Tchad, vers 500 ; le nord du Nigéria, vers 400 ; l'Afrique centrale, enfin, vers 100 av J.C.
La thèse de l'auto découverte est soutenue par des chercheurs comme Henry Lothe ou Cheikh Anta Diop qui a découvert un morceau de fer, daté de 2700 av J.C., entre deux pierres de la pyramide de Khéops. Il est donc plus ancien que celui découvert dans le Caucase. Pour le chercheur sénégalais, le fer est d'origine égyptienne. Cependant, le sous-sol de ce pays était pauvre en tel minerai. Celui-ci proviendrait de ses voisins méridionaux, comme Méroé. On pense aussi qu'il eut plusieurs foyers indépendants les uns des autres voire extérieurs. Dans les années 1980, diverses datations attestent que le travail du fer remonte à 2500 av J.C., dans la localité d'Elgaro, à l'ouest de Termit (Niger).
Dans de nombreuses régions africaines, on a découvert des objets en fer, des fourneaux encore garnis de scories ; des creusets et des tuyaux, notamment à Nok (Nigeria),Termi, Rim (Nord du Burkina), Oliga (Cameroun), Mubuga (Burundi)...
La production
Dans certaines régions comme le nord du Cameroun, le minerai était obtenu par la séparation du minerai mêlé aux eaux sableuses des ruisseaux. Un peu partout ailleurs, il était obtenu par excavation, peu profonde, d'environ un mètre ; ou dans des puits de forme et section variables, avec ou sans galerie. Dans toute l'Afrique, les gravillons latéritiques ramassés sur le sol ont servi de matières premières.
Le fer proprement dit était généralement obtenu par deux technologies : la réduction directe ou indirecte. La première permet d'obtenir du fer en une seule opération. Les forgerons construisent des petits fourneaux, alternativement chargés de charbon de bois et de minerai. Aux alentours de 1200°C, le fer se sépare des impuretés, évacuées sous forme de scories. Il est ensuite purifié par martelage à chaud et transformé en objet.
La réduction indirecte permet d'obtenir du fer en deux temps : les fondeurs produisent, d'abord, la liquéfaction totale du minerai, dans des hauts-fourneaux, à partir de 1535°c. Débarrassée de son excès de carbone, elle est ensuite transformée en acier.
Conséquences de la maîtrise du travail du fer
Joseph Ki Zerbo l’a souligné avec éloquence : « L'avènement du fer, roi des métaux industriels, fut, pour l'Afrique, une révolution aussi importante que la révolution néolithique ». Du point de vue politique, sa maîtrise a signifié puissance militaire et possibilité de conquérir de nouveaux espaces sur des groupes technologiquement moins avancés. Elle est à l'origine d'Etats forts, comme le Tékrour, Etat de la vallée du fleuve Sénégal du 3ème au 12ème sècle, qui fut fondé par une dynastie de forgerons : les Jaa-Ogo.
Du point de vue socio-économique, les communautés africaines ont accordé des statuts privilégiés aux « hommes du fer ».Ils étaient les maîtres de la religion traditionnelle et de la vie socio-économique. Dans les sociétés islamisées de la zone soudano-sahélienne, ils forment une caste. Dans les zones forestières, ils peuvent être considérés comme des êtres supérieurs, exerçant un contrôle économique, politique, social et moral sur la société.
Le forgeron était, avec le griot, celui qui pouvait dire ce que les autres ne peuvent exprimer ; Concepteur de l'arsenal militaire et des outils économiques, c'était aussi un guérisseur et sa femme contrôlait, très souvent, la production de céramique. Dans bien de communautés, le fer eut une si forte charge symbolique qu'il fut élevé au rang de divinité. Chez les Yoruba du nord du Nigéria, la forge est même devenue le symbole de la royauté.
Dans la région de Yatenga, au nord du Burkina Faso, l'ancêtre des forgerons, Bamogo, est considéré comme le sauveur de l'Humanité : c'est lui qui a fabriqué la lame servant à couper le cordon ombilical, la hache pour couper le bois, la pioche pour cultiver ou creuser la tombe. Les outils en fer ont triplé ; parfois décuplé, les possibilités de chasse et de culture, ouvrant à une exploitation plus active de nouvelles zones. Les terres lourdes et boisées de la forêt vont être désormais colonisées plus facilement.
Les Africains ont-ils découvert eux-mêmes la technique du travail du fer ou l’ont-il emprunté à d'autres civilisations ? Au regard des datations, des objets découverts et des techniques utilisées, il est plausible que l'Afrique ait découvert seule le travail du fer. Les performances de l'outil ont, non seulement, rendu possible la conquête et la mise en valeur de grands espaces, mais, aussi, révolutionné l’art militaire et engendré de profonds bouleversements socio-économiques. Cependant l'exploitation du fer a eu un effet néfaste sur l'environnement.
Les forgerons
Après avoir situé l’origine et l’âge du fer, nous allons maintenant aborder le rôle des hommes du fer, communément appelés forgerons. Dès l’aube de la constitution des sociétés humaines, celui-ci fut à la pointe du savoir et de la connaissance. C’est en effet lui qui a connu les premiers secrets du feu et les maitrisa. C’est ensuite lui qui découvrit le minerai de fer, inventa le haut-fourneau capable de le fondre et en extraire le fer, matière première de son travail. Avec le processus de la fonte, il maitrisa la physique et la chimie. Du premier fer obtenu, il fabriqua l’enclume, base et fondement de la forge. C’est sur cette enclume qu’il fabriqua tous les outils économiques : instruments aratoires, qui permirent à la maîtrise de l’agriculture ; outils pour maitriser l’élevage et la pêche ; arsenal militaire qui a donné la puissance nécessaire pour être roi, en dominant les autres catégories sociales.
Détenteur de secrets qui lui ont permis de maîtriser le feu, le fer, ainsi que les autres métaux comme l’or ou le cuivre, rouge ou jaune, le forgeron est devenu l’élément incontournable de la société. Il est indéniable que ces métaux constituent les quatre éléments indispensables à la vie : l’or correspond au feu. ; le cuivre rouge, à l’air ; le cuivre jaune, à l’eau ; et le fer, à la Terre.
Aucune action humaine ne peut être menée sans l’intervention d’un, au moins, de ces éléments. C’est ce qui justifie et explique le fait que le forgeron est incontournable. Les affaires judiciaires se traitaient à l’atelier du forgeron. Il était le juge, procédait à la circoncision des hommes, soignait les plaies. Sa femme, comme on l’a dit tantôt, contrôlait la production de la céramique. Elle était également chargée d’accoucher les femmes à terme. Elle les excisait et soignait les enfants. Elle assurait donc le rôle de sage-femme et de pédiatre, quand son mari assumait celui-ci de médecin et thaumaturge.
Forgeron faiseur de roi : nous citerons, à titre d’exemple, les empires du Ghana (Wagadu), de Khagnaga (Sosso) et de Tekrour, dans notre sous-région soudano-sahélienne. Le premier empire noir a été fondé par des Soninkés qui habitaient la zone mauritanienne actuelle, deux mille ans avant J.C. Ce sont les forgerons du village de Barago qui furent à l’origine de cet empire. Une localité méconnue des historiens, parce que son histoire est détenue par les griots des forgerons, appelés « tagadimanou ». Ils ne racontent l’histoire des forgerons qu’à des forgerons. A Barago vivaient de grands guerriers forgerons dont les noms ont été retenus par la tradition orale. Citons, entre autres, Khabila Khaniara Waiga, l’expert en haute sorcellerie (Korté) ; Sookhode Cissakho, l’homme au pantalon provocateur ; Tugane Diankha, Kouiné Komé Sambakhé, Soumaye Dimmé Toudoga (Bommou, Fané), Khalignaghado Karaga (Doukhanthi), Bambouré Touré, Laba Kébenké Taméga…
Pour magnifier la bravoure de ces hommes, le griot Banu Makha Ladji Soumbounou a prononcé le poème suivant : « Honta siro ma tagué/Honta bonno ma Tagué/Tagakhu gana bono/Douna bouré naari » qu’on peut traduire, en français, par « Rien de bon ne se construit sans le forgeron/Rien ne se détruit sans le forgeron/Le jour où disparaîtra l’art du forgeron/Alors surviendra l’implosion du Monde ». C’est cette célèbre saillie qui fut à l’origine du conflit qui opposa le village de Barago à l’Empereur de Wagadou.
Le royaume de Sosso ou Khagnaga, vassal de l’Empire du Ghana, était dirigé par un guerrier forgeron très célèbre, du nom de Souamoro Kanté, accompagné de Fakoli Koroma Cissoko ou Doumbia. Le royaume du Tekrour, également vassal de l’Empire du Ghana, était dirigé par la dynastie des Dja-Ogo qui étaient, aussi, des forgerons. Ces grands hommes qui ont dirigé nos sociétés avec des mains… de fer ont vu leur rôle tourner au ridicule avec l’apparition de l’islam.
Diabolisation outrancière
Avec l’avènement de la religion musulmane, on a assisté à une opposition, féroce, entre, d’un côté, le pouvoir du forgeron et, de l’autre, celui des nouveaux venus prétendant, pour s’imposer, s’appuyer sur l’islam. Afin de détruire le pouvoir du forgeron, les religieux développèrent une stratégie de diabolisation. La maîtrise des secrets du feu et des autres métaux fut déclarée anti-islamique et « haram ». Le forgeron, quelqu’un de dangereux, dont il fallait s’éloigner car porteur de malheurs. C’est cette propagande mensongère qui permit aux hommes de religion de détruire le pouvoir du forgeron.
Mais l’islam n’a jamais combattu le travail du forgeron. Ce sont les religieux qui ont fait dire à celui-là, ce qu’il n’avait jamais dit, pour parvenir à leurs fins. Il y a bel et bien eu mensonge des religieux, dans la transmission du témoignage du Prophète (PBL) et c’est bel et bien ce mensonge qui a détruit, à travers la politique de diabolisation, la suprématie du forgeron dans nos sociétés, en le réduisant et l’enfermant dans une caste réputée inférieure et bannie.
Soyons clair : l’islam, religion d’équité, de liberté et de justice, n’a jamais établi qu’une seule distinction, entre les hommes : seulement leur foi en Dieu et leur piété ; jamais, ô grand jamais, leur origine sociale ou métier. La preuve se trouve dans le verset suivant du saint Coran : « Ina khalakhna koum, mine zakari wal ounza, wadja alna koum chou ouban we khaba ilan ta taarafou ina akrama koum indallah, atkhékoum », dont le sens littéral peut être rendu, en français par « Je vous ai créés en hommes et femmes, tribus et peuples, pour que vous vous portiez mutuellement connaissance ; le plus noble parmi vous étant celui qui est le plus proche de moi par la foi ».
Ce verset est venu annuler, de façon définitive, toute hiérarchie des hommes en fonction de leur origine sociale ou activité professionnelle. Pourquoi alors continuer, dans la République réputée Islamique de Mauritanie, à considérer le forgeron sur la base de son origine sociale ? Comme un être banni, méprisé, porte-malheur. Mais, puisque c’est l’origine sociale qui détermine, dans nos sociétés ouest-africaines, le statut des hommes, nous voudrions attirer l’attention sur le fait que nous sommes, tous, de la caste des forgerons. En témoigne Adam, le Père de l’Humanité. Lui et son épouse Hawa vinrent sur la Terre, après avoir été chassé du Paradis avec Hawa. Pour y survivre, Dieu lui enseigna l’art du forgeron. Le premier forgeron du Monde, c’est bien Adam, qui nous a tous enfantés.
En témoigne encore Azar, le père de Ibrahima (PBL). Azar était le forgeron du roi Nemrod d’Iraq. Ibrahima, fils de Azar, est le père des trois religions monothéistes : judaïsme (guidé par la Thora révélée à Moussa (PBL) ; christianisme, avec l’Evangile de ‘Issa (PBL) ; islam, avec le Coran dicté à Mohamed, (PBL). Le père d’Ibrahima (PBL) étant forgeron, nul doute qu’Ibrahima (PBL) fut lui-même forgeron. Et il va de soi que les descendants d’Ibrahima (PBL) sont tous forgerons. Par ailleurs, la plupart des grands hommes de la religion musulmane appartiennent à cette même caste.
Les gens, dans nos sociétés, sont classés comme suit : guerriers, marabouts, forgerons, griots et esclaves. Les deux premiers groupes sont considérés comme les plus nobles; le forgeron leur étant inférieur. Mais le symbole du guerrier n’est autre que le fusil qui lui permet de sauvegarder son pouvoir. Or, le fabricant de cette arme, c’est le forgeron qui l’a produite, avec intelligence et ingéniosité, et donnée au guerrier, ce qui en fait le garant redoutable de toute souveraineté. Et la société, elle, en conclut que le guerrier est plus noble que le forgeron ! Mais qui a procuré et garanti cette noblesse au guerrier ? Absurde, non ?
C’est au forgeron qu’il revient de circoncire les marabouts, pour les purifier et les rendre aptes à présider les prières, enseigner, contracter les mariages, diriger les baptêmes et j’en passe. Là, aussi, on trouve à dire que le marabout est plus noble que le forgeron, par qui toutes ces nobles tâches sont reconnues au marabout ! Une autre ineptie, n’est-ce pas ? En y réfléchissant un peu, on constatera que le forgeron est l’élément-clé de nos sociétés. Chacun de leurs membres porte, en lui, un signe du forgeron.
Ailleurs, la forge a évolué pour atteindre, aujourd’hui, des dimensions nucléaires. C’est grâce à l’enseignement et aux miracles de la science que les forgerons européens ont pu développer la métallurgie aux plus hauts degrés. On constate que les fusées, les ordinateurs, les téléphones portables, les avions, tout ce qui relève des nouvelles technologies de l’information et de la communication ne sont que stades avancés de la forge.
L’idée que se font certains de nos compatriotes de la forge traditionnelle doit être dépassée. Celle-ci est et doit être perçue comme la maîtrise de la physique et de la chimie. C’est, en réalité, à travers la manipulation de leurs lois que le forgeron arrive à fabriquer les différends outils économiques utilisés par la communauté. Certes, la pratique traditionnelle actuelle de la forge mauritanienne n’a pas évoluée, à cause du manque d’instruction de ses praticiens. Ils sont demeurés au stade hérité de leurs ancêtres. S’ils avaient été à l’école, avaient compris et assimilé les formules chimiques et physiques qui conditionnent le développement de leur métier, ils auraient été capables, comme leurs pairs européens et asiatiques, de fabriquer des avions, des bombes, des ordinateurs, etc.
Si les Etats-Unis d’Amérique ont dominé le monde, ce n’est pas par la culture, mais parce qu’ils ont développé la forge, c’est-à-dire la physique et la chimie, comme l’avaient fait, au début de l’Humanité, les forgerons, en découvrant le minerai de fer. Perçu en maîtrise et maître de ces sciences expérimentales, la forge et, par voie de conséquence, le forgeron ne doivent pas être déconsidérés. Ils sont à l’origine du progrès de l’Humanité et en seront les destructeurs.
Le forgeron doit recouvrer une haute considération. Il mériterait le plus grand respect de la part de ses concitoyens. Comment pourrait-il en être autrement, quand on sait que chacun et chacune de ces concitoyens porte, sur son sexe même, la marque indélébile du forgeron ? Arrêtons, donc, de mépriser celui-ci qui fut et demeure l’élément incontournable de nos sociétés. Dans le cadre du combat pour le développement, l’égalité, la justice et le mérite personnel, nous invitons tous nos frères et sœurs à acquérir le savoir, à travers la maîtrise de la science et de la technique. C’est le seul combat qui mérite d’être mené, plutôt que de se perdre dans des préjugés sociaux, véritables freins à la marche de nos pays vers le progrès.