Question on ne peut plus légitime, aujourd’hui. En effet, s’il ne fait l’ombre d’aucun doute que le tombeur de Sidi Ould Cheikh Abdallahi va rempiler pour un second mandat, les observateurs se demandent s’il ne va pas réaliser un score « troublant », le 21 juin. Les moyens déployés, le zèle de certains cadres et de l’UPR, les faucons du staff de campagne, les « partis-satellites », les notabilités dépoussiérées, les initiatives… pourraient bien faire monter la pression » au point d’offrir, à leur candidat, un score qui pourrait troubler et le vainqueur et l’opinion internationale.
Même si les autre « concurrents » ont lancé quelque avertissements, rien, a priori, ne semble pouvoir arrêter la machine conçue pour les écraser, à moins que le pouvoir n’en décide autrement, comme l’a prétendu l’opposition, lors des dernières municipales et législatives. Certains s’en sortiront complétement laminés et mettront longtemps à se remettre de cette « victoire »…ou de cette défaite, c’est selon.
Dans les meetings et rassemblements d’« initiateurs », des orateurs n’hésitent pas à réclamer du « 100% pour Aziz », cet homme « prodige qui aura sorti le pays des ténèbres ». On se croirait revenu à l’époque du « Savoir pour tous », les campagnes d’alphabétisation et les maisons des Livres qui poussaient, comme des champignons, dans les capitales régionales et départementales. Nous ne chassons pas le naturel, nous l’avons dompté.
Critiques tous azimuts
Dans ses discours de campagne, Mohamed Ould Abdel Aziz ne se cantonne pas à dérouler, simplement, son programme pour les cinq ans à venir. Il s’attaque, vertement, aux « croulants » de l’opposition, invités à « prendre leur retraite », parce qu’ils n’ont pas « osé » l’affronter dans les urnes. Une retraite que le président-candidat présume dorée, parce qu’ils auraient, selon lui, « pillé ce pays depuis son indépendance ». La cour n’est donc pas pavée de bonnes intentions.
Côté jardin, Mohamed Ould Abdel Aziz laisse entendre que la Mauritanie n’est née qu’en ce jour béni de 6 août 2008, quand il renvoya Sidi Ould Cheikh Abdallahi, un autre « croulant » qu’on l’accuse, pourtant, d’avoir importé du Niger, pour en faire son candidat, en 2007. Tout ce qu’on voit de positif, aujourd’hui, dans ce pays, ne peut pas avoir plus de cinq ans d’âge. Tout le négatif provenant, a contrario, d’avant. Oublie-t-on ce proverbe qu’aime tant citer Alain Foka, le journaliste de RFI : « on n’efface pas une page d’histoire d’un pays car un peuple sans histoire est un monde sans âme » ?
Le président-candidat a pris goût à l’auto-encensement. Il cite, pêle-mêle, les routes goudronnés, les ouvrages réalisés, les projets exécutés, les crédits distribués, les établissements supérieurs fondés, la sécurité rétablie, les performances macro-économiques saluées par les institutions monétaires internationales et pays amis, le tout pour « ce peuple mauritanien chéri ». Ce n’est pas une chimère sous les arcades du pouvoir, c’est une « réalité réelle », sauf pour l’« opposition nihiliste et amnésique ».
Tentations
Pour les cinq, voire les dix ans à venir – parce qu’avec l’UPR, tout est possible et les tentations fortes – le président prévoit de consolider « ses acquis » et de moderniser davantage la Mauritanie. On en a certainement besoin. Mais avec quelle manière ? Celle en cours, depuis six ans, a bien besoin d’être revue et corrigée. Fortement, si l’on veut que les performances dont se vante le pouvoir puissent réellement profiter au peuple mauritanien, dans son ensemble, et non à l’oligarchie militaro-civile qui a mis le pays en coupe réglée, depuis 1978.
Il est indéniable que le président Mohamed Ould Abdel Aziz ait tenu, au cours de son premier mandat, quelques paris qui méritent d’être salués. Notamment installer la peur, parmi ceux qui n’ont en tête que de piller les ressources du pays et s’enrichir de manière éhontée, au détriment de pans entiers de citoyens, parqués dans les kebbas des grandes villes ou survivant en brousse (éleveurs et agriculteurs). Comment comprendre que des fonctionnaires de l’Etat puissent s’offrir, avec leurs salaires de misère, des villas et autres châteaux, des limousines, des troupeaux de vaches et de chameaux, des centaines d’hectares de terre cultivables dans la vallée, et mener un train de vie qui frise l‘« insolence et l’immoralité » ? Le tout en moins de dix ans de carrière…
Au passif, le président n’a pas su ou pu s’émanciper des lobbies qui n’ont cessé de graviter autour de la « mangeoire », depuis l’indépendance du pays. Et l’opposition a beau jeu de lui reprocher d’avoir contribué à l’émergence, autour de lui, d’une « caste » de nouveaux hommes d’affaires, et de s’être lui-même enrichi, de manière exponentielle, ce que son refus de déclarer, comme l’exige la loi fondamentale, ses biens, pourrait accréditer. La transparence et la bonne gouvernance commencent par là.
Le FNDU en quête d’une stratégie
Dans une récente interview, début juin, à notre confrère « Temps forts », le président des Forces de Libération Africaine en Mauritanie (FLAM) suggérait, au FNDU, de se focaliser sur l’échéance présidentielle de 2019, en mettant l’accent sur les dispositions qui pourraient lui permettre d’interdire toute velléité, au président Aziz, de briguer un troisième mandat. Ce conseil d’ami d’un homme qui a du flair est-il passé inaperçu, du côté du Forum ? C’est une question qui mérite d’être posé. Si l’on considère que le deuxième mandat est déjà plié, il faut se battre pour l’échéance de 2019. Sinon 2024. Dans les deux cas, se situer, dès maintenant, dans le dynamisme de l’inéluctable évolution démocratique du pays.
Enonçant les forces et faiblesses du FNDU, le président des FLAM estime que celui-là n’a pas réussi, en tout cas à ce jour, à obtenir un rapport de force en sa faveur. Depuis 2008, l’opposition n’a jamais pu obliger Mohamed Ould Abdel Aziz à établir les conditions objectives à une alternance par les urnes. Les échecs répétés de dialogue, entre le pouvoir et l’opposition rassemblée au sein du Forum, les tentatives de « déstabilisation » par la rue, le Printemps arabe, ni, même, les incertitudes, lors de l’absence prolongée du président de la République, parti se soigner des « balles amies » qu’il aurait reçues d’un soldat en faction, n’ont en rien ébranlé le pouvoir. Le boycott des élections locales de novembre et décembre derniers n’a pas plus perturbé le sommeil du Rais, dopé qu’il est par le soutien de la France et, d’une certaine façon, de l’Union Africaine.
Pour toutes ces raisons, le FNDU doit changer de stratégie. En occupant davantage le terrain, en se fixant l’ambition de conquérir et de s’implanter, politiquement, dans la Mauritanie profonde, au lieu de se cantonner à Nouakchott et de n’en sortir qu’en période électorale, pour des marches de protestation. Une méthode qui n’a pas fait recette, jusqu’ici. Un travail de longue haleine en perspective. Sinon quoi ? Accepter de se suicider, en allant au dialogue dans les conditions qu’on a jusqu’ici refusées ? Ou entrer, tous, à l’UPR, pour finir d’en faire un parti unique ? Certes, il y aura toujours à mener des combats de conjoncture mais il faut, désormais, les articuler autour d’un objectif plus général et, probablement, assez lointain. Ne jamais lâcher la proie pour l’ombre, une erreur fatale à plus d’un – en tout cas, très pénible, pour notre démocratie – un certain 6 août 2008…
Dalay Lam