Calam(ités)

17 April, 2019 - 02:10

Huit ans après une grosse vague de contestations qui  emporta d’aussi gros dictateurs que Ben Ali ou Hosni Moubarak, voilà qu’un vent nouveau vient de balayer, sans coup férir, deux autres gros potentats du monde arabe : Abdelaziz Bouteflika et Omar El Béchir, restés respectivement accrochés au pouvoir, pendant vingt et trente ans. Il n’aura fallu, aux Algériens, qu’à peine  cinq semaines de révolte non-violente pour dégager un homme malade, incapable de gouverner mais maintenu par une poignée de généraux obstinés à continuer d’user et abuser, sous couvert d’un président que les dispositions, on ne peut plus claires ; de l’article 102 de leur Constitution nationale auraient dû déclarer inapte, dès 2013, à assumer ses responsabilités, suite à AVC. Les Soudanais ont, eux, résisté quatre mois, pour venir à bout d’un intraitable général qui leur avait voir de toutes les couleurs, en termes d’emprisonnements abusifs, mal-gouvernance, musèlement de la presse et violations, intempestives et régulières, des fondamentaux des droits de l’homme. Grâce à leur détermination et à leur unité, les peuples algériens et soudanais, toutes tendances et générations confondues, ont maintenu la pression, jusqu’au déboulonnement – partiel, certes, mais déjà réel – des systèmes dont la gestion calamiteuse les avait tant meurtris. Imperturbables, les manifestants ne veulent pas s’arrêter à mi-chemin, ils veulent complètement rompre avec toutes les composantes des pouvoirs déchus. Autant les Algériens n’ont pas cédé aux tentatives de supercherie de leurs généraux, autant les Soudanais ont exigé le balayage de tous les proches de leur ancien bourreau.

En Mauritanie où la situation ressemble beaucoup au contexte de ces pays, le peuple continue à subir, sans réagir, les agissements et les politiques de dictatures militaires qui se succèdent, depuis le premier coup d’Etat du 10 Juillet 1978 qui renversa l’initial gouvernement civil du pays. Depuis, les populations nationales souffrent le martyr, entre le marteau impitoyable de militaires carrés et l’enclume d’une classe politique enrégimentée, divisée entre un camp allié apprivoisé et un camp opposé diabolisé et mis en quarantaine. Pour maintenir le statu quo et saper toutes les velléités, hautement improbables, de soulèvement, les régimes militaires ont ravivé, à des degrés différents, la flamme des appartenances tribales et produit la psychose des tensions intercommunautaires, via l’activation et le recrutement de groupes mis aux ordres, sous la tutelle des renseignements qui les manipule, conjoncturellement, suivant les intérêts du moment. Toutes les déferlantes de contestations, depuis  2011, ont épargné la Mauritanie. Paradoxalement, puisque toutes les causes objectives  qui ont conduit, ailleurs, à une révolution, sont toutes présentes en Mauritanie : dictature, mauvaise gestion, corruption, prestations bancales des secteurs sociaux, népotisme, violations des droits de l’homme, détournements des deniers publics, délabrement du secteur de la justice, torpillage des processus démocratiques, déplorables conditions de vie, chute de l’économie,  chômage, notamment des jeunes, insécurité, injustice sociale... Malgré tout cela, le peuple mauritanien paraît incapable d’entreprendre la moindre action, pour essayer de faire bouger les lignes et faire naître l’espoir de desserrer l’étau compresseur d’un pouvoir militaire qui se régénère indéfiniment. L’identification des Mauritaniens en tribus, communautés, gens de l’Est et de la Vallée, Guebla,  Nord et Sud, en ceci ou en cela, sert toujours l’agenda du pouvoir qui ne cherche, « justement », que continuer à davantage diviser pour continuer à mieux régner. La dernière « visitation » du candidat militaire à la présidentielle de 2019, dans tous les départements du pays, semble prouver, avec éloquence, que le soulèvement du « peuple » mauritanien n’est pas pour demain. Chacun est à sa propre soupe. Or, pour faire une révolution, il faut un peuple. La Mauritanie n’en a pas encore. Malheureusement.

El Kory Sneiba