Deux blogueurs sont en garde à vue. Arrêtés vendredi dernier à midi, pour que le week-end passé entre les mains de la police chargée de la répression des crimes économiques ne soit pas comptabilisé, dans le délai légal de 48 heures, renouvelable, fixé à telle garde. Ils resteront donc encore lundi et mardi, à la direction de la Sûreté, sauf si la police juge utile de les garder encore deux autres jours. Ce qui est plus que probable puisqu’il s’agit de faire payer, à ces deux lanceurs d’alerte, leur témérité. Ils ont pourtant été déjà entendus, en cette affaire de milliards de dollars réputés gelés aux Emirats arabes unis, sur injonction de l’oncle Sam. Mais de quoi sont-ils accusés, nos blogueurs ? D’avoir insinué, sur leur page Facebook, que beaucoup d’argent « n’appartenant à personne » (sic !) aurait été gelé, récemment, aux E.A.U, sur demande pressante des U.S .A. Et qu’un membre du « clan » aurait été alpagué, par les services émiratis, et interrogé sur des déplacements répétés et inexpliqués, entre ici et là-bas, ainsi que sur l’origine « douteuse » de certains fonds. Les Américains, ont laissé entendre les deux blogueurs, seraient désormais très pointilleux lorsqu’il s’agit de virements vers ou à partir de la Mauritanie.
Il n’en fallait pas plus pour susciter l’ire présidentielle. Interrogé sur cette affaire, lors de son inutile sortie à une réunion du comité chargé de gérer, provisoirement, l’UPR, Ould Abdel Aziz a jugé sans objet de la démentir, « personne ne (le) croira ». Aurait-il oublié qu’il est notre Président et qu’il doit être cru sur parole ? Il lui suffit juste de rester au-dessus de la mêlée. Ce qui, par les temps qui courent, n’est apparemment pas très aisé. Cela dit, négliger de démentir ne signifie pas se désintéresser. Pour preuve, dès le lendemain, avec un branlebas de combat à péter le feu. L’alerte est donnée. Les deux blogueurs et deux journalistes sont convoqués par la police économique, sommés de dévoiler leurs sources. Si les journalistes sont vite libérés, c’est au défi de toute logique, alors qu’ils ne sont pas cités comme témoins et qu’aucune charge ne pèse encore contre eux, que Cheikh ould Jiddou et Abderrahmane ould Weddady sont priés de donner leur passeport et carte d’identité. Une mesure qui ne peut intervenir, normalement, qu’en cas de contrôle judiciaire ordonné par un juge. Comme dans l’affaire Ould Ghadda où des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes furent traînés en justice, tout simplement parce que certains d’entre eux avaient bénéficié de la générosité d’un mécène, le pouvoir (ab)use encore de ses pouvoirs.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est d’argent qu’il s’agit. Mais quoi, notre guide éclairé aurait-il des problèmes avec la thune ? Pourquoi, malgré les multiples outrages dont il a été l’objet, n’a-t-il jamais porté plainte contre quiconque ? Il doit bien avoir une susceptibilité, quelque part. Un bon psychologue ne serait pas de trop, pour nous expliquer cette relation si particulière à l’argent. L’évoquer le rend-il à ce point furieux qu’il ne s’embarrasse plus d’aucune procédure, quitte à écorner, un peu plus, l’image d’un pays plusieurs fois épinglé par les organisations des Droits de l’Homme ? Et ce n’est pas le refoulement à l’aéroport de Nouakchott, la semaine dernière, d’une délégation d’Amnesty International qui redorera un blason terni par ce genre de pratiques. L’ouverture par la justice de dossiers vides, le placement sous contrôle judiciaire pour des raisons futiles, la convocation devant les juges pour intimider, la mise au secret, autant de manœuvres dilatoires qui portent préjudice à un pays censé démocratique. Mais la démocratie, ce n’est pas seulement une presse libre et des élections organisées, de temps à autre, mais un état d’esprit, des procédures, des lois et des institutions à respecter ; un exécutif responsable, n’empiétant pas sur les autres pouvoirs, une justice véritablement indépendante et un pouvoir législatif jouant son rôle sans complaisance. A y voir de près, on en est encore loin. Jusqu’à quand resterons-nous les derniers de la classe ? Vingt-huit ans que nous nous battons pour l’avènement d’une vraie démocratie, nos efforts n’ont-ils finalement abouti à rien ? On ne voit toujours pas le bout du tunnel et il est fort à craindre que cela dure encore longtemps.
Ahmed Ould Cheikh