Huit mille neuf cents pères et mères de familles victimes de la plus grosse arnaque de l’histoire de la Mauritanie, perdant leurs propriétés immobilières, pour un montant cumulé, entre 2012 et 2018, de soixante-dix milliards de MRO, soit environ deux cents millions de dollars us, à travers différentes «opérations » en forme de manœuvres frauduleuses. Telle se résume l’affaire Cheikh Ridha, un érudit aux dons, «mystiques » pour certains, devenu « expert » dans un domaine aux antipodes de sa vocation originelle.
Agé d’environ quarante ans, l’homme, dont l’arrière grand père est égyptien, est originaire de la localité maraboutique de Beir Ettores (130 kilomètres au Sud-est de Nouakchott). Il a établi, de toutes pièces, une cité composée d’une trentaine de villas, un grand immeuble et une mosquée, à Teyssir, situé à la sortie Nord de Nouakchott, sur la route nationale menant à Akjoujt et Atar. C’est juste en face de là que les victimes des illusions suscitées par le discours sur « les transactions immobilières » du Cheikh ont ouvert un bureau, après s’être organisées en collectif national de défense. Ils s’y retrouvent pour tenir sit-in, tous les jours, entre 17 heures et minuit. Signe que ces personnes ont décidé de sonner la mobilisation pour sensibiliser le gouvernement et tous les segments de la société mauritanienne sur leur drame.
Cette initiative est une idée de madame Lekhwir mint Daff, une institutrice, originaire du Tagant (Centre du pays), mère de trois enfants, qui s’est vue délestée d’une maison dont elle évalue la valeur à vingt millions de MRO. Elle fait office de vice-présidente du collectif. La présidence de celui-ci est dévolue à Sid’Ahmed Abdy, spolié « d’un immense patrimoine immobilier » dont il refuse de
donner la valeur chiffrée, estimant que son énorme préjudice est bien plus supportable que celui subi par d’autres personnes. Tout est relatif, dit-il, et la situation matérielle qui autorise à le situer parmi les nantis de notre société est sans commune mesure avec celle de ces pauvres femmes.
Après avoir rapporté les circonstances qui ont amené la fondation de l’association, il y a quelques semaines, Sid’Ahmed Abdy en expose les objectifs. Il s’agit de faire comprendre, à tous nos compatriotes que « l’action de Cheikh Ridha a porté préjudice à plusieurs milliers de citoyens. Des pères et mères de famille ont tout perdu et se sont retrouvés, du jour au lendemain, dans une situation de ruine totale ».
Ainsi, poursuit le président, « il s’agit d’un problème de dimension nationale auquel les autorités doivent trouver une solution juste et conforme aux préceptes de l’islam, notre sainte religion ». Cheikh Ridha Mohamed Nagi Said – tel est le nom complet du promoteur des opérations immobilières incriminées – est doté d’une astuce irrésistible. Un de ses cinq courtiers – des proches parents –vous propose une transaction immobilière, aux contours nébuleux, avec des clauses léonines. Le mode opératoire est un gros prix d’achat, bien au-dessus de la valeur supposée de votre maison. On vous propose alors un cash immédiat et le reste… à crédit. Le piège est bien tendu, l’appât est là, immédiatement à portée, et vous finissez, toujours, par l’accepter, même après une longue résistance. Premier épisode d’un feuilleton interminable car le reliquat, c'est-à-dire leplus gros du montant de la transaction, n’est jamais versé. Tous les échéanciers sont infructueux » ajoute le président des floués.
Parmi les victimes du personnage religieux aux bizarres dons « mystiques », figurent de nombreuses femmes. Certaines sont présentes au siège de l’association, en cette nuit du vendredi 1er Mars 2019. Elles racontent, en chœur, l’histoire poignante d’une d’entre elles qui, après la perte de sa propriété immobilière, est décédée récemment d’un cancer. Tristesse également, devant la vidéo de ce sous-officier de gendarmerie nationale, évoquant le récit de sa mère ayant perdu une propriété. Aujourd’hui gravement malade, la dame aspire au remboursement du prix de sa maison, pour financer ses frais de soins à l’étranger.
Les propriétés immobilières objets des opérations du cheikh sont situées dans toutes les zones de Nouakchott, avec, cependant, une prédilection évidente pour les quartiers résidentiels. Un constat qui renvoie à un ciblage bien étudié. A.Z., une autre victime du sulfureux personnage, cite les noms des courtiers délégués par ce dernier : « Cheikh El Ghadi, Abdallah ould Beddy, Mohamed Mahmoud ould Beddy, Hamma ould Mohamed Nagi ; tous détenteurs d’une procuration permanente les autorisant à agir en nom, lieu et place de Cheikh Ridha. Les actes étaient établis par les services d’un mouwathigh – notaire traditionnel – toujours le même ».
Aux dernières nouvelles, Cheikh Ridha aurait quitté la cité « Teyssir » sous bonne escorte de la gendarmerie, il y a quelques jours. C’est du moins ce que rapporte le site d’informations en ligne « Mourassiloune », repris par « Adrar-Info ». Interrogé au sujet de cette info, Mohamed Vall, membre du collectif, qui a perdu une villa d’une valeur de trente millions de MRO, reste prudent et dit ne pas en avoir confirmation. Dernier détail, dans la gestion de cette affaire par les victimes : à ce jour, aucune plainte n’a été déposée devant la justice.
La Mauritanie aurait-elle « trouvé » son Bernard Madoff ?
A l’écoute de ces différents récits, un immanquable rapprochement vient à l’esprit de nombreux observateurs. Bernard Madoff, l’homme par lequel advint la catastrophe déclencheur de la terrible crise mondiale de 2008, aurait manifestement fait un émule en Mauritanie : Cheikh Ridha « un homme d’affaires » à l’intelligence aiguë, mais tournée vers l’arnaque. Il a soigneusement étudié cet exercice, jusqu’à en maîtriser toutes les ficelles.Ce qui lui a permis de répéter parfaitement le fameux « Schéma de Ponzi ».
Une technique dont le mode d’exécution est « un montage frauduleux consistant à rémunérer les investissements et les clients, essentiellement par les fonds provenant des nouveaux entrants, tant que l’escroquerie n’est pas découverte ». Mais une fois le pot aux roses étalé sur la place publique, le montage s’écroule comme un château de cartes.« Cela arrive quand les sommes procurées par les nouveaux entrants ne suffisent plus à couvrir le remboursement des clients précédents ». Charles Ponzi devint célèbre après avoir mis en œuvre une opération fondée sur ce principe, à Boston (USA), dans les années 1920.
Cheikh Sidiya
Correspondant à Nouakchott
Source : 360 Afrique