‘’Les pouvoirs publics et les divers secteurs de l’opposition doivent faire en sorte que la future présidentielle ait lieu dans des conditions les plus favorables possible’’
Le Calame : Pourquoi le RD a rejoint la majorité présidentielle qu’il avait quittée, quelques années plus tôt, pour l’opposition. Vous vous sentiez, naguère, à l’étroit auprès de la majorité ? Estimez-vous, aujourd’hui, que l’opposition n’a pas répondu à vos attentes ?
Moustapha Abeiderrahmane : Je rappelle que lors du renversement du président démocratiquement élu, Sidi ould Cheikh Abdallahi, le Renouveau Démocratique (RD) avait immédiatement réprouvé et dénoncé le putsch. Cependant, dès que s’est révélé un réel danger de désordre permanent pouvant conduire à la disparition de l’Etat mauritanien, nous avons aussitôt décidé de nous joindre à tous ceux qui prônent la négociation entre Mauritaniens, en vue d’organiser de nouvelles élections, sans chercher à écarter, coûte que coûte, ceux qui avaient pris le pouvoir par la force. Pourquoi une telle attitude ? Simplement parce que nous sommes particulièrement conscients de la très grande fragilité de notre pays. L’Etat, en tant que tel, n’existe que depuis une cinquantaine d’années, sans parler de notre tissu social, extrêmement dispersé, pour ne pas dire divisé, en ethnies qui se regardent en chiens de faïence ; en tribus historiquement opposées ; en couches sociales traditionnelles, dont certaines historiquement dominantes qui pèsent encore, avec l’appui de l’Etat, afin de maintenir leur suprématie de domination et d’oppression.
Ce sont ces éléments qui ont poussé et continuent à attirer le RD vers une quête systématique du minimum de consensus, autour de la permanence de l’Etat-Nation, avec le maximum de libertés et de réformes sociales progressives possibles. Voilà pourquoi, à chaque fois que le RD estime l’Etat menacé dans son existence, nous cherchons à rallier tous ceux qui peuvent maintenir celui-ci coûte que coûte, en oubliant totalement nos propres intérêts de parti et n’y repensant qu’à partir du moment où nous estimons que le danger de dislocation a disparu, au moins provisoirement. C’est cela le fil d’Ariane, pour comprendre les divers positionnements de notre parti sur l’échiquier politique national.
Nous pensons que deux orientations doivent constamment guider l’action politique : privilégier toujours l’intérêt général et agir en ce sens ; rechercher, autant que faire se peut, l’intérêt propre du parti, dans le cadre de l’intérêt général, et, en cas de contradiction absolue, oublier l’intérêt de parti. Bien sûr, d’aucuns peuvent ne pas soutenir ce raisonnement ou ne pas y croire mais c’est notre façon de concevoir l’action politique.
C’est ce qui explique notre alliance avec la majorité, suite à l’accord de Dakar, mais, aussi, dix-huit mois après l’élection de monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz pour son premier mandat. Le fait que nous ayons quitté la majorité pour les rangs de l’opposition, c’est, également, ce qui explique notre ralliement aujourd’hui, sans condition, à la majorité, en vue de renforcer la stabilité du pays et lui faire passer le cap difficile de la première élection démocratique où une passation pacifique de pouvoir est possible, même si elle devait se faire au sein du même régime dont le RD n’ignore ni les travers ni les défauts, tout en en appréciant, à leur juste valeur, les succès, notamment dans les domaines de la sécurité, de la défense, des libertés, des infrastructures de base, au plan économique, et des progrès accomplis, sur le plan social, en matière de l’extension du droit à l’égalité des citoyens.
- Le RD est membre de la majorité présidentielle qui vient de dévoiler son candidat à la présidentielle, en la personne du général Ghazwani. Pensez-vous que cet ex-chef d’état-major des armées et actuel ministre de la Défense est l’homme de la situation ? Qu’attendez-vous de lui, s’il est élu, en Juin, à la tête du pays ?
-Compte-tenu des progrès accomplis par le régime actuel et les graves risques encourus par notre pays, en cas de nouveaux désordres toujours possibles, étant donné la parcellisation de l’opposition, l’émiettement et la faiblesse des forces de progrès, en général, dans le pays, le RD a décidé d’appeler au plus large rassemblement autour de la seule candidature suffisamment crédible du général Ghazwani, à la fois pour la continuité des réformes entreprises et la préservation des acquis, en matière de sécurité, de liberté et d’unité nationale.
Nous croyons que tous les Mauritaniens conscients doivent féliciter le président de la République Mohamed ould Abdel Aziz, non seulement, pour sa fermeté dans le maintien des articles constitutionnels relatifs au nombre de mandats présidentiels, mais, également, pour le choix de son éventuel successeur, en la personne du général Ghazwani. Il est en effet certain que la majorité des mauritaniens lui resteront reconnaissants, compte-tenu des dangers encourus par le pays, si la pratique, en ce domaine, de la majorité des chefs d’Etat africains avait prévalu.
S’agissant du choix du candidat au sein du régime, pour lui succéder, tous s’accordent, à l’intérieur et à l’extérieur, à reconnaître qu’il s’agit là d’un bon choix, évident, étant donné la situation du pays, l’expérience, les qualités intrinsèques de l’homme mais, aussi, sa proximité avec son prédécesseur. Même si tout cela n’enlève, en rien, à la valeur d’autres candidats issus du régime et qui auraient été possibles ou de ceux qui représenteront l’opposition, en cette élection présidentielle.
Pour revenir au cas de Ghazwani, il s’agit, pour qui sait écouter, d’un candidat quasi consensuel dans le pays, ce qui est exceptionnel et, de façon générale mais réellement surprenante, pour ceux qui ne le connaissent pas mais savent, tout de même, qu’il fut toujours la pièce maîtresse du pouvoir, au cours de ces dix dernières années. On peut mesurer aussi tout le savoir-faire de l’intéressé et les grands espoirs qu’il peut susciter.
Pour sa part, le RD participera, en tant que membre de la coalition des partis de la majorité, à l’élaboration du programme de ce candidat et l’aidera, par tous les moyens à sa portée, à gagner hautement cette élection qui doit être transparente, totalement incontestable pour qui que ce soit. Le programme du candidat doit, évidemment, s’appuyer sur le bilan positif des dix dernières années, sous la présidence de monsieur Mohamed ould Abdel Aziz, en cherchant, bien sûr, à le consolider et le perpétuer mais, aussi, à le prolonger, l’étendre, l’approfondir dans tous les domaines, notamment dans les secteurs relatifs au renforcement de la démocratie, de la lutte pour le relèvement du niveau de vie et de la culture des couches historiquement opprimées dans la société traditionnelle.
-A quatre mois de la présidentielle, aucun consensus ni accord ne sont perceptibles, entre le pouvoir et l’opposition. Que faudrait-il faire, à votre avis, pour qu’on évite des contestations, au lendemain des élections, et qu’on ne prolonge pas la tension politique en vigueur depuis une dizaine d’années?
-Depuis que le président de la République a signifié, à tous, la nécessité de respecter la Constitution, notamment en ses articles relatifs au nombre de mandats présidentiels, la tension politique a beaucoup baissé, même si la «fièvre » électorale des Mauritaniens retombe rarement. Le fait également que le même président de la République a retenu, comme seul candidat du régime, son compagnon de route et de pouvoir, pour ne pas dire son double, le général Ghazwani qui jouit, dans l’opinion, d’une bonne image et d’un grand respect, en tant que chef militaire, au sein de la Grande Muette, tout cela suscite un climat politique plus apaisé. Il reste que tout doit être mis en œuvre, aussi bien par les pouvoirs publics que les divers secteurs de l’opposition, pour faire en sorte que ce tournant, cette élection, ait lieu dans des conditions les plus favorables possible, pour permettre, je l’espère bien, une passation pacifique de témoin, porteuse d’apaisement, autour d’un minimum de consensus sur les grandes questions d’intérêt général : l’unité nationale, la paix sociale, les libertés publiques, etc.
- Au cours d’une rencontre avec les élus, le président du principal parti de la majorité présidentielle vous a demandé de soutenir le choix du président de la République. Comment le RD entrevoit-il la l’organisation de la campagne électorale ? Les autres partis de la majorité présidentielle n’ont-ils pas toujours dénoncé la manière unilatérale de l’UPR de gérer ce collectif de partis ?
-Le RD est désormais membre de la coalition des partis de la majorité. Vous savez peut-être que ceux-ci ont bien voulu m’attribuer la charge d’être leur porte-parole. Il va donc sans dire que notre coalition participera activement à la campagne de notre candidat et que chaque responsable de notre coalition aura un rôle précis à jouer, dans l’organigramme de campagne de notre candidat, et que chacun de nos partis mènera sa propre campagne, en faveur du candidat, afin de lui assurer la victoire dès le premier tour ; du moins, nous l’espérons.
Propos recueillis par Dalay Lam