La Mauritanie a-t-elle frôlé le pire ? Les amendements constitutionnels que certains députés de la majorité s’apprêtaient à proposer puis à faire voter, par l’Assemblée nationale, seraient-ils passés sans encombre ? La rue allait-elle rester impassible, devant une si flagrante violation de la Constitution ? L’opposition toujours à dormir, devant la nouvelle confiscation du pouvoir ? Si une main, pas si invisible que ça, n’avait mis un frein au processus engagé par un bataillon de députés félons, à quoi fallait-il s’attendre ? Rétrospectivement, il y a de quoi avoir froid dans le dos. Imaginez un instant que les députés soient allés au bout de leur initiative et que l’Assemblée ait approuvé, en deux temps, la modification de la Constitution permettant à Ould Abdel Aziz de se présenter à un troisième et, pourquoi pas, quatrième mandat. La bêtise humaine aidant d’autant plus qu’elle est sans limites, qu’aurait-il bien pu se produire, alors ? L’opposition appelle à défendre la Constitution, la jeunesse se mobilise, la rue s’embrase, après quelques jours d’émeutes, l’armée prend ses responsabilités et…. re-re-rebelote, nouvel engrenage enclenché. Exactement comme au Niger et au Burkina. Mais, heureusement, on n’en est pas arrivé là. La raison a fini par prévaloir et le pays semble bien s’acheminer, à ce jour, vers une alternance qu’on espère pacifique. A moins qu’un nouveau soubresaut ne vienne rabattre les cartes. Ould Abdel Aziz n’a-t-il pas dit et répété qu’il respectera la Constitution et qu’il ne se présentera pas aux futures élections, avant de se rétracter et initier, il est vrai indirectement, des démarches à caractère régional, demandant un troisième mandat, et un mouvement de députés pour amender les articles limitant les mandats présidentiels ? Publié dans l’urgence, le communiqué mettant fin audit mouvement, au moment où, coïncidence bizarre, le Président était à l’étranger (ce qui corrobore le fait que la situation était grave), va-t-il enfin sonner le glas du troisième mandat ? Cette fois sera-t-elle la bonne ? On peut en douter, tant l’homme nous a habitués aux voltefaces. Mais le contrôle de la situation n’est-il pas en train de lui échapper ? Ce qui n’est, en tout cas, plus exclu. La donne a apparemment changé. A présent, outre l’hymne national et le drapeau qu’il a changés, ainsi que l’avenue Jemal Abdel Nasser qu’il vient de débaptiser, la seule chose qu’il peut laisser, à la postérité, est de veiller à mettre en place une CENI consensuelle, assurant, aux prochaines élections, la plus grande transparence possible, et remettre le pouvoir à quelqu’un dont l’élection ne sera entachée d’aucune irrégularité. Il est temps que le pays tourne la page de la crise politique ; de l’infernale situation où le pouvoir et l’opposition se regardent en chiens de faïence, où les efforts ne sont pas tournés vers le développement mais vers l’accumulation des richesses, au profit d’une minorité insatiable ; de cette manie à s’occuper de choses futiles, au lieu d’aller à l’essentiel ; de cette personnalisation excessive du pouvoir ; de cette fâcheuse tendance au népotisme qui ne fut jamais aussi prégnant qu’en cette dernière décennie et, pour couper court à la plus navrante des litanies, de tous ces travers qui empêchent le pays d’avancer vers la normalité.
Ahmed Ould Cheikh