Mon parcours professionnel.
Après avoir abordé son itinéraire scolaire et sa trajectoire universitaire, Sy Mamadou Samba aborde dans cette deuxième partie son parcours professionnel.
Comment se pratiquait le métier de la presse à l’époque, et quelle expérience j’en avais tirées.
Contrairement à ce que pensent ou croient beaucoup de gens, je suis de la presse audiovisuelle. A l’IFP de Paris, j’avais opté pour la Télévision, c’est ma spécialité.
Après ma nomination et titularisation écrivain journaliste par la fonction publique, je n’avais pas attendu longtemps pour trouver une fiche budgétaire, le système interventionnisme aidant, contrairement à certains étudiants diplômés qui rentrent au pays, sans « pistonnage » qui galèrent des mois et des mois durant, parfois pendant plusieurs années, alors que d’autres rentrés au pays bien après eux, sont déjà nommés à de hautes fonctions étatiques avant même la fin de leurs études. En effet, au niveau de mon recrutement, je n’avais rentré aucune difficulté, parce qu’à la fonction publique, j’avais un cousin et ami au nom de Mohamed El Habib Niang, plus connu sous le nom de Chérif Niang, très influent, et qui entretenait d’excellentes relations avec ses supérieures hiérarchiques. Celui-ci accéléra mon embauche dans le respect strict de la loi. Je n’avais pas bénéficié de privilèges particuliers, mon recrutement n’était soumis qu’à la procédure normale. C’est cette « normalité » justement des choses qui fait grand défaut dans le pays, dans l’Administration notamment.
La Radio Mauritanie fut ma première affectation, la télé n’existant pas à l’époque, ou n’étant pas opérationnelle, en tout cas. Mais je n’y suis resté que deux semaines à peine, avant à ma demande, d’être remis à la disposition du Ministère de l’Information. Certains journalistes (ou journaliers !), que je ne nomme pas ici (je ne suis pas revanchard ! qui se savent et se reconnaitront dans mes propos), me voyaient d’un mauvais œil, en me prenant comme une menace dans leur fonction. La magouille à laquelle je suis allergique, étant une pratique qui fonctionne efficacement en Mauritanie, était à alors à son zénith.
J’avais signé forfait, ne voulant pas me battre par la même arme qu’eux. Ce n’était pas de vrais journalistes, ceux formés dans des écoles journalistiques qui savent apprécier cette noble profession. Des journalistes qui savent reconnaitre la juste valeur de leurs collègues, sur lesquels, ils ne portent des jugements qu’en fonction du travail accompli, en se basant sur des critères d’objectivité, d’éthique, de compétence et de pragmatisme. J’ai donc demandé de partir de la Radio, et ai eu satisfaction à la grande joie des journalistes- reporters qui aspiraient à la promotion, dont j’étais la source de leurs soucis quotidiens. J’étais ainsi remis au Ministère de l’Information.
Journaliste vulgarisateur
Peu de temps après, toujours en 1980, Avril 1980 plus précisément, le Permanent du Comité militaire avait besoin d’un attaché de presse, ce fut moi la solution à son problème : on m’attacha à la Permanence du Comité Militaire du Salut National (CMSN). Le Permanent (quel était son grade ? J’ai oublié !) M. Dahane était gentil et compréhensif avec moi. On m’avait attribué un grand et confortable bureau, où je baillais plus que je ne travaillais. Ce « garage » ne me convenait pas, je n’étais pas fait pour un journaliste sédentaire, et pourtant c’est ce que j’étais ma carrière durant en Mauritanie, la suite du développement de notre sujet va nous le prouver.
C’est là où j’ai connu Bâ Alassane Yéro, journaliste (arabisant, formé en Egypte) qui était alors un cadre important à la Permanence et qui contribua à mon détachement à la SMPI (Société mauritanienne de presse et d’impression) qui éditait le Journal Chaab (le Peuple) en double édition, arabe et français. Le même jour de mon détachement au quotidien Chaab, en qualité de rédacteur, on était au premier Septembre 1980, la rédaction m’envoya en mission dans les Régions du Trarza, du Tagant, de l’Assaba et dans les deux Hodhs.
On était une équipe de cinq journalistes représentant les différents organes de presse nationale. Notre mission était de vulgariser la loi qui venait d’abolir l’esclave en Mauritanie (une énième fois !). La sphère de notre action était tout le long de la Route de l’Espoir, allant de Nouakchott jusqu’à Néma. Nous nous arrêtâmes dans toutes les capitales régionales où nous fumes gâtés par gouverneurs, préfets et chefs d’arrondissements qui ont facilité notre tâche en nous réservant un accueil chaleureux et nous introduisant auprès des populations concernées par notre mission.
Notre mission dura un mois au cours duquel nous essayâmes en vain de convaincre les esclaves qu’ils étaient désormais libres. Nous leur apprenions qu’une loi venait d’être votée et adoptée par le Gouvernement dans ce sens, mais la nouvelle les laissait indifférents, ne produisant aucun enthousiasme chez eux, au contraire, ils en étaient visiblement tristes et même préoccupés.
Ceux parmi eux qui décidèrent de s’exprimer, nous disaient clairement qu’ils n’en voulaient pas de cette loi, car, selon eux, sans moyens matériels, ils ne peuvent pas vivre indépendamment de leurs maitres, ils préféraient rester esclaves à l’abri des besoins plutôt que d’être libres dans la misère. Mais en tant qu’anthropologue, personnellement je vois à travers ce refus de se séparer de leur maitre une autre raison que celle liée aux moyens existentiels. J’y vois une raison liée à la culture. De toutes les décolonisations, celle liée à la mentalité est la plus difficile à réaliser. L’esclave dans ce cas présent, est assimilé à cent pour cent à la culture de son maitre. Sa langue, sa culture, son mode de vie et de penser, son comportement, ses vêtements (son mode vestimentaire) sont identiques à ceux de son maitre si bien qu’il s’y trouve à l’aise, avec fierté même sans contrainte ni gêne psychologique ou comportementale. Il s’accommode avec cet état d’esprit d’autant que l’islam l’y oblige. C’est ce qu’il se dit avec résignation apaisée.
Ainsi le Maure noir, plutôt l’esclave (puisqu’il existe des Maures noirs nobles), bien que négro-africain d’origine, est plus proche de son maitre à qui il s’identifie d’ailleurs que de son frère peul, soninké, wolof ou bambara. Il a tout perdu jusqu’à sa langue, sa culture, ses mœurs, sa civilisation ancestrale, parfois sa peau, effet de métissage, du seul fait de la captivité de son ancêtre à une date qui remonte à plusieurs années voire siècles.
‘’M.Sy, je ne vous ai jamais vu’’
Rappelons qu’un Maure noir est esclave par sa mère, alors qu’un négro-mauritanien l’est par son père. Ici on est esclave de père en fils, tandis que chez les Maures, on est esclave de la mère au fils. Si mes sources sont exactes ! Le paradoxe dans cette histoire, nous l’avons déjà dit, c’est que l’esclave dans l’une ou l’autre communauté, ne manifeste aucun enthousiasme par rapport à sa libération, son affranchissement. Ce paradoxe est plus marquant chez les esclaves Maures qui, pour la plupart d’entre eux, préfèrent garder leur statut d’esclave et ce, pour des raisons économiques, et culturelles surtout : on rapporte que certains esclaves maures, même libérés par leurs maitres, du fait de la pauvreté de ceux-ci, offrent à ces derniers tous leurs biens dans l’unique but de garder leur statut d’esclave ! Effets d’assimilation ; de la colonisation mentale qui ne se défait pas facilement.
S’agissant des raisons économiques : esclave de mère en fils ou fille, le Maure sous le joug de l’esclavage depuis plusieurs siècles, n’a aucun moyen de vie lui permettant d’être indépendant de son maitre. Lui-même étant une propriété, n’a aucune propriété pouvant lui garantir la survie avec ou sans famille, indépendamment de son maitre. Dans ce cas de figure, libérer un esclave, c’est le rendre esclave davantage. Il ressort de ce qui précède une mentalité qui est aux antipodes de celle du président Sékou Touré qui déclarait qu’il « est préférable de vivre libre dans la pauvreté, plutôt que de vivre esclave dans la richesse ».
C’est pour cela qu’au terme de notre mission, j’avais mentionné dans mon rapport, à l’adresse de l’Etat, que cette loi qui abolit théoriquement l’esclavage, resterait stérile si elle n’était pas accompagnée de moyens matériels, financiers et psychologiques (argent, titres fonciers, champs cultivables, psychologues, sensibilisation des médias…). Une libération juridique, théorique, ne suffit pas. Afin qu’elle soit efficace et effective, il faudrait qu’elle fût accompagnée par des mesures concrètes. Autrement dit, l’Etat devrait mettre à la disposition des ex-esclaves des moyens, telles qu’une indemnisation financière conséquente, des allocations familiales, ou encore la distribution de terrains pour à la fois l’habitat et l’exploitation agricole, sans quoi cet affranchissement ne serait qu’un leurre.
Sur des conseils d’Isselmou Ould Babah, un ami, ex-Ministre de pêche, et directeur du Trésor public, j’ai demandé un rendez-vous au Ministre de l’Intérieur pour lui faire un bref compte rendu de notre mission. J’ai attendu deux semaines avant d’être reçu par le Secrétaire Général dudit Ministère, un Soninké (dont j’ai oublié le nom). Dès que j’ai commencé à parler de l’esclavage, il me stoppa et me dit : « Monsieur SY, sortez de mon bureau ; je ne vous ai jamais vu et vous non plus, vous ne m’avez jamais vu ». J’exécutai, faisant recours à la publication de mes articles, une trentaine, dont deux tiers avaient atterri dans les corbeilles à papiers (poubelles). N’ont été publiés que des articles qui ne touchaient pas à l’esclavage, mot très tabous alors.
Symptomatiquement, l’Etat mauritanien n’avait manifesté aucune volonté réelle dans sa décision d’éradiquer définitivement l’esclave, ce fléau dont l’existence encore au 21e siècle n’est qu’une entorse flagrante à la montée fulgurante des libertés publiques et la démocratie généralisée à l’échelle planétaire, même si, par endroits, elle n’est que de façade. Elle n’est qu’une pure contradiction qui devrait interpeler la conscience collective.
L’esclavagiste dans notre ère n’est pas moins inhumain, égoïste, rétrograde et passéiste qu’un colon du temps du commerce triangulaire. Ce temps est révolu. Pourquoi vouloir maintenir le passé dans le présent, surtout quand celui-ci est moyenâgeux ? Malheureusement, c’est un constat amer, l’esclavage existe dans toutes les sociétés. Et il existera toujours avec d’autres visages ! L’esclavage moderne par exemple, en est l’illustration parfaite. Il n’est pas moindre en termes d’humiliation et d’avilissement, par rapport à celui qui existait dans des sociétés sauvages où la loi de la jungle régnait pleinement.
Je saisis cette occasion afin de lever un certain amalgame : les harratine ne sont pas des esclaves. Docteur Ahmed Moustapha, intellectuel mauritanien, professeur à l’Université de Nouakchott, le confirme au cours d’un entretien qu’il m’a accordé en Février 2015 à Nouakchott, dans son bureau. Ils sont libres depuis qu’ils ont été affranchis. Ils occuperaient même la troisième place dans la hiérarchie sociale, après les Hassan et les marabouts. Ce que j’y ajoute, c’est que dans la communauté maure traditionnelle précoloniale, la couleur de peau ne comptait pas en termes de noblesse. Il y avait des Maures blancs, très blancs, mais qui étaient classés au bas de l’échelle sociale, c’était le cas des Aznagas.
Cette communauté maure précoloniale était très hiérarchisée (elle l’est toujours !). Elle est, par ordre de noblesse, composée d’Hassanes, Marabouts, Harratine, Aznagas, Igawen, Maalmine (forgerons), et Esclave. A souligner que les Aznagas, d’origine Sanhadja, étaient les plus nobles. Selon In Khaldoun et al-Bekri, ce sont des Berbères, et ils seraient les premiers à occuper, dans le premier temps, le Sahara occidental, puis dans le second temps, l’espace appelé aujourd’hui la Mauritanie (nom donné par Coppolani assassiné en 1905 à Tidjikja) où ils prennent l’appellation d’Arabo-Berbères.
S’il se confirme qu’ils sont bel et bien les premiers habitants du Nord de la Mauritanie, alors dans ce cas, que ferait-on avec la théorie qui soutient que les noirs sont les habitants autochtones (de souche) de la Mauritanie ? Historiens et archéologues de tous bords affirmeraient avoir trouvé dans les ruines des habitations d’alors dans le Nord, des objets typiquement négro-africains, tels que des canaris, des outils de pêche, ou agricoles ou ménagers. Où se trouve la vérité dans cette controverse ? J’en ai un mot à dire. Prochainement.
A propos de l’esclavage, et si on en parlait ?
Sur le plan islamique, qui peut-on appeler esclave ?
Ce qui fera l’objet de mon prochain « papier », si Dieu le veut, avant de parler des responsabilités que j’avais prises, suite à mon bouclage du bec : l’Administration m’empêche de diffuser mon rapport sur notre mission relative à la vulgarisation de la loi abolissant (pour la 4ème fois, dit-on) l’esclavage en 1980.