Le but de ces lignes est d’apporter quelques observations sur un certain nombre de déclarations qui reviennent souvent dans les exposés de hauts responsables politiques de ce qu’ils présentent comme étant des réalisations du régime dans le domaine des finances publiques et de la lutte contre la hausse des prix. Ces observations s’adressent plutôt aux nombreux experts dont dispose le régime, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Administration (ministres, conseillers, professeurs d’université), dont le rôle est pourtant d’éclairer les hauts responsables à propos de certains concepts et problématiques que ces derniers n’ont pas pu acquérir de par leur parcours scolaire ou professionnel.
Excédent budgétaire, solde du Trésor public et couverture des besoins fondamentaux
Un excédent budgétaire, dans un pays en voie de développement comme la Mauritanie, peut être considéré paradoxalement comme une contre performance. Un excédent ne peut en effet être justifié quand l’écrasante majorité de la population souffre d’un déficit criant en matière de couverture de besoins fondamentaux : eau, nourriture, logement, électricité, santé éducation… C’est aussi considéré comme une contre performance ne serait-ce que du point de vue de l’incapacité du gouvernement d’exécuter les actions publiques programmées en vertu de la loi des finances. Il y a lieu de s’étonner, dans ce cadre, que les chapitres budgétaires relatifs aux dépenses communes et aux dépenses de certaines administrations, comme la présidence de la République et le premier ministère, sont consommés à des taux avoisinant les 100%, alors que les autres ministères peinent à atteindre les 60% des budgets qui leurs sont alloués. Le taux d’exécution du budget d’investissement reste également très en deçà du niveau acceptable, qu’il soit financé sur ressources propres ou extérieures. L’excédent revendiqué ne résulte donc pas d’une bonne gouvernance, mais d’un faible taux d’exécution délibérément voulu (on ne sait pour quelles raisons) des activités gouvernementales pourtant prévues par la loi. Il y a lieu de rappeler ici qu’un déficit budgétaire de 3% du produit intérieur brut (PIB) est considéré comme étant un seuil minimum raisonnable dans les pays industriels développés qu’il est difficile d’atteindre, les déficits dans la plupart de ces pays se situant entre 5 et 12% du PIB. Certains de ces pays n’acceptent d’ailleurs que contraints par les traités internationaux de ramener leur déficit à ce niveau. La politique suivie par ces pays consiste plutôt à dépenser plus afin d’élargir et d’améliorer les services publics – déjà excellents - au profit de leurs citoyens dans les domaines de la sécurité sociale, des transports publics, de l’éducation, de la lutte contre la précarité... Ces pays mobilisent toutes leurs ressources et tous les moyens dont ils disposent à cet effet. Dans ce contexte, comment un pays comme la Mauritanie pourrait se vanter d’un excédent budgétaire, quel qu’en soit le niveau, alors que ses populations souffrent des formes les plus criantes du sous-développement et de la misère ?
Pour ce qui est de l’important solde du Trésor public, autre source de fierté des hauts responsables, l’on est en droit de s’étonner des fréquentes manifestations réclamant le paiement de salaires, primes et autres indemnités de fonctionnaires, des sit-in et occupations d’ambassades par les étudiants demandant le paiement de leurs maigres bourses, et que les fournisseurs se plaignent de retards de règlement de leurs factures (si elles sont payées), alors que l’Etat dispose de liquidités considérables.
C’est sans grand mérite en effet d’engranger des tels soldes quand l’Etat, d’un côté, encaisse autant de revenus provenant d’impôts, de taxes, de redevances sur les mines et la pêche et de dons extérieurs (comme la généreuse subvention accordée dernièrement par l’Etat frère de Lybie), mais, de l’autre côté, ne dépense qu’à compte gouttes pour la couverture des besoins essentiels des populations, empêche ou retarde l’exécution des budgets des ministères –pourtant adoptés par une loi -, ne règle pas ses fournisseurs et autres créanciers.
Il est tout aussi incompréhensible que les augmentations des salaires et pensions des fonctionnaires, systématiquement accordées chaque année depuis le début de ce siècle, se soient brusquement arrêtées ces dernières années (à l’exception de quelques maigres augmentations), alors que l’Etat dispose d’autant de liquidités.
La hausse des prix
Un célèbre homme politique français disait : ‘’ Si la sécheresse est naturelle, la famine est politique.’’ Ce qui veut dire que le rôle du gouvernant est de protéger les populations, ou au moins d’atténuer leurs souffrances, face aux conséquences négatives sur leurs conditions de vie que pourraient causer des facteurs exogènes. Si la hausse des prix est effectivement la conséquence de facteurs extérieurs (inflation importée), cela n’exonère pas pour autant le gouvernement de prendre les mesures appropriées pour en atténuer les effets sur le faible pouvoir d’achat des populations démunies.
Le programme EMEL a certes contribué, dans une certaine mesure, à cette fin, mais sa portée demeure très limitée par rapport à la gravité et à l’ampleur du problème, tant du point de vue quantitatif et qualitatif, qu’en terme de couverture spatiale ; si limitée que l’on s’autorise à penser que le véritable objectif du programme pour le régime n’est pas tant de combattre le phénomène, mais plutôt de prémunir le gouvernement, tant soit peu, des turbulences sociales généralement engendrées par ce genre de situation, et de lui constituer ainsi une espèce de défense face aux critiques de ses opposants par rapport mesures qu’il a (ou qu’il n’a pas) prises pour protéger les citoyens des effets dévastateurs de la hausse des prix sur leur pouvoir d’achat.
Parmi les mesures que le régime pouvait (et qu’il peut toujours) prendre, la réduction des taxes douanières et/ou la subvention des produits de consommation courante (dans les limites des disponibilités financières –qui sont confortables en ce moment) constituent les mesures les plus appropriées pour avoir un réel impact par rapport à ce problème : l’argent public n’est pas destiné à être accumulé et enfermé dans des coffres, ou à être un instrument de propagande que l’on évoque à chaque occasion ; l’argent public doit être utilisé jusqu’au dernier denier pour le financement du développement du pays et pour l’amélioration constante des conditions de vie des populations.
Autre paradoxe, autre contre performance : le solde en devises étrangères. Alors que nos avoirs extérieurs ont atteint leur niveau le plus élevé dans l’histoire du pays, la valeur de la monnaie nationale est en chute constante, avec les effets dévastateurs sur le pouvoir d’achat. Ce qui ne peut être considéré que comme une contre performance de la Banque centrale, dont le rôle est précisément de défendre la valeur de l’ouguiya et de préserver le pouvoir d’achat des citoyens, surtout au moment où le pays dispose d’un confortable matelas de devises. Pour illustrer cette contre performance flagrante, une simple comparaison devrait suffire : au début d’août 2008, 1 dollar ne dépassait pas 230 ouguiyas et 1 euro se négociait à 360 ouguiyas, au moment où le solde en devises était au plus bas, alors qu’aujourd’hui, où le solde en devises est à un niveau historique, le dollar a atteint le seuil de 300 ouguiyas et l’euro a largement dépassé le seuil de 400 ouguiya, puisqu’il s’échange à près de 415 ouguiya. Quant au pouvoir d’achat, les prix enregistrent une augmentation constante (vertigineuse selon certains), augmentation reconnue par le pouvoir qui la justifie par le contexte international.
Les prix des hydrocarbures et le problème des ‘voyageurs gratuits’
Le pouvoir justifie son refus de soutien aux prix des hydrocarbures (qui ont connu une dizaine d’augmentations en une seule année) par le fait que les propriétaires de grosses cylindrées en profiteraient. Ce problème bien connu des économistes, que les américains dénomment la problématique des ‘voyageurs gratuits’, désigne le fait qu’une minorité privilégiée non ciblée bénéficie d’une mesure générale. Cette situation peut cependant être justifiée quand il s’agit d’une mesure générale de soutien à un secteur considéré comme prioritaire, comme l’agriculture par exemple, ou d’une mesure d’atténuation d’une hausse inconsidérée des prix, en raison de l’impact positif attendu de cette mesure générale sur l’économie (autosuffisance alimentaire) ou en matière de protection du pouvoir d’achat.
Pour ce qui est des prix des hydrocarbures, il est difficile de comprendre que l’on se refuse à prendre des mesures de soutien ou de subvention des prix de ces produits essentiels pour la préservation du pouvoir d’achat d’une majorité écrasante de la population, au motif qu’une infime minorité pourrait en profiter. C’est à se demander si le souci majeur du régime n’est pas (in)justement de priver cette ‘classe de propriétaires de véhicules tout terrain’.
Afin de rendre justice aux propriétaires de 4x4 (ne mentionnons pas de marque pour éviter la publicité gratuite), rappelons que cette frange ‘opprimée’ verse au Trésor des droits de douane, des impôts sur le revenu, et des taxes (dont la vignette), autant de contributions que les autres franges ne paient pas pour la plupart. Ces contributions pourraient être valablement être prises comme contrepartie aux avantages ‘indus’ que cette classe pourrait tirer d’une mesure générale d’atténuation des prix des hydrocarbures (et d’autres produits).
Il n’échappe pourtant à personne que les hydrocarbures constituent un intrant essentiel pour tout produit et service et constitue de fait un important poste de coûts dans la structure des prix des marchandises et services : même le coût de la carotte produite localement est affecté par la variation des prix des hydrocarbures. Quant à l’incidence sur le transport des personnes et des biens et sur la promotion des échanges intérieurs et avec l’extérieur, elle devrait être évidente pour le commun des citoyens.
Les hydrocarbures sont, en somme, le carburant du moteur de l’économie nationale et leurs prix ont une incidence directe et indirecte sur le pouvoir d’achat des populations, dont la majorité écrasante est à bas ou à très bas revenus. Et l’on ne peut pas justifier l’augmentation croissante du prix des hydrocarbures par les prix internationaux : au début d’août 2008, le prix du litre de gas-oil au litre était vendu à la pompe à 250 ouguiya à Nouakchott, alors que le prix du baril atteignait sur le marché mondial 148 dollars, tandis qu’aujourd’hui, où le prix du baril se situe à 110 dollars, le litre de gas-oil se vend à la pompe à 380 ouguiya.
Par ailleurs, le régime semble avoir abandonné son souci d’éviter de faire profiter une frange privilégiée d’une mesure générale, au détriment des franges nécessiteuses quand il a pris les dernières mesures dans le secteur agricole en matière d’annulation de la dette et de vente d’équipements et de matériels à des prix réduits. En effet, ces mesures bénéficient principalement aux exploitants de grands périmètres (les propriétaires de grosses cylindrées), qui sont les plus gros débiteurs et qui disposent de ressources financières pour acquérir les équipements proposés à prix réduits. Quant aux petits paysans, leur endettement est à la mesure de la petite taille des parcelles qu’ils exploitent, et n’ont pas la capacité financière pour acheter les équipements quel que soit le niveau de la réduction accordée.
Autre illustration de mesure bénéficiant plutôt les plus favorisés, et en raison de l’intérêt particulier que l’auteur porte à ce secteur, il est difficile de ne pas évoquer l’investissement du régime dans une compagnie aérienne dont les prestations sont hors de portée des plus démunis qui constituent la très large majorité de la population, et ne profite donc qu’aux classes moyennes et à haut revenu. Les ressources considérables englouties dans ce projet (dont le montant n’a pas encore été dévoilé est estimé entre 60 et 90 millions de dollars) auraient été mieux investies dans des secteurs économiques pouvant mieux contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations, comme les routes qui jouissent d’une priorité spéciale de la part du gouvernement. Par ailleurs, cette compagnie n’est pas indispensable pour la promotion du secteur touristique, Nouakchott étant régulièrement desservi par 7 compagnies internationales, ce qui est plus que suffisant pour le transport de modestes flux de touristes, qui privilégient, et en nombre croissant, le transport terrestre.
Quoiqu’il en soit, il est bien temps que la compagnie nationale, créée à l’aide de l’argent public, publie ses bilans pour que le citoyen soit informé des ‘bénéfices’ qu’elle a réalisés.
Nous aborderons inchaAllah d’autres thèmes qui intéressent le citoyen.
Mohamed Lemine Ould Deidah
(Traduction libre d’un article récemment publié en arabe par M. Mohamed Lemine Ould Deidah)