(Ce papier a été écrit en 2006... En ce temps-là, les locaux du lycée de Rosso n'ont pas encore été affectés à l'lSET et ils étaient plus que pitoyables... De quoi inspirer l'ancien élève que je suis...)
Je profitai d’une brève mission à Rosso pour visiter quelques quartiers de cette grande ville où j’ai passé une bonne partie de mon enfance scolaire.
Ce retour au terroir me fit revivre un passé lointain et quelques souvenirs plus ou moins agréables.
A chaque pas, je me souvenais d’un détail sympathique ou d’une situation bizarre que j’avais vécue dans cette grande ville commerciale où rien ne pouvait passer inaperçu pour le petit bédouin que j’étais.
Médina, Ndiourbel, Demel Djeuk, Sattara, Rosso Escale et bien d’autres quartiers me remirent momentanément au tout début des années soixante-dix quand, pour la première fois, je vis une maison à étage et appris l’existence d’un moyen d’éclairage autre que les lampes tempêtes que j’ai connues au campement. C’était le temps des grandes découvertes…
A l’époque, Rosso était le plus grand carrefour culturel du pays car son Lycée accueillait les élèves de toute la Mauritanie.
Cette cohabitation forcée tissait des rapports durables entre les élèves des horizons divers et, du coup, disparaissaient dans leur milieu les notions de tribu et de région et l’unité nationale devenait une réalité incontournable.
Le Lycée de Rosso a ainsi joué un rôle actif dans l’éradication de ces concepts incompatibles avec la logique et les exigences d’un Etat embryonnaire.
Plus tard, avec le renforcement des moyens de l’Etat et la généralisation de l’enseignement, les établissements secondaires ont été régionalisés puis tribalisées, et enfin «familialisés».
Cette équitable répartition du savoir allait sans tarder venir à bout de la fragile notion d’appartenance à une même entité tout en décrédibilisant le processus scolaire.
Passage obligé
Le lycée de Rosso était donc un passage obligé pour tous les jeunes mauritaniens scolarisés. Ils s’y côtoyaient, se comprenaient, s’échangeaient les informations sur leurs milieux respectifs et apprenaient à s’accepter dans la différence des comportements et des langages.
C’était donc le meilleur et le plus efficace outil au service de la construction du jeune Etat mauritanien…
Pour pouvoir jouer son rôle, il disposait de grandes salles de classes aérées, de réfectoires modernes, de dortoirs bien équipés et de terrains de jeux… Bref, de tout ce dont un élève pouvait avoir besoin.
Il y avait également des professeurs compétents et un personnel d’encadrement à la hauteur de sa mission.
Les internes étaient bien logés, bien nourris et soumis au devoir d’étude surveillée de 20 h à 22 h. Ils se dirigeaient immédiatement après, vers les dortoirs pour se lever le lendemain à 6 h à l’aube, la conscience tranquille et l’esprit serein.
Il y avait aussi des ‘’cars’’ qui assuraient leurs rotations avec une régularité d’horloge, au service des élèves externes.
Le Lycée de Rosso ne se limitait pas seulement à sa mission culturelle. Autour de lui, gravitaient des familles entières qui étaient servies et entretenues au même titre que les élèves boursiers. Tout ce beau monde vivait dans un climat agréable…
Combien furent grandes mon émotion et ma déception quand ce jour-là, 10 Octobre 2006, j’arrivai au lieu de ce qui fut un jour le Lycée de Rosso !
Je savais à l’époque qu’on n’y dispensait plus d’enseignement depuis une bonne vingtaine d’années mais je ne pouvais jamais imaginer le degré de délabrement dans lequel j’allais le retrouver : Un véritable gâchis que nul ne peut imaginer…
Je découvris, à la place de ce haut lieu de savoir et d’éducation, des tas d’immondices, des forêts de prosopis, des cadavres de bus et de minibus, de gros immeubles inanimés gisant derrière des toiles d’araignées opaques…
Tout est bien là, mais sur tout, le délaissement et la mort programmée avaient gravé leurs empreintes indélébiles : Le foyer, les blocs-dortoirs, les salles de classe et le « keur » de Mohamed Sala étaient méconnaissables et il s’en dégageait une indescriptible odeur de vide et d’abandon…
Je visitai les salles D où Monsieur Bastide nous enseignait tout sur l’hydre et le scarabée sacré, le réfectoire ou l’empire de Cheddad, le laboratoire qui m’a semblé dégager encore l’odeur du parfum de Monsieur Dujot ‘’Moctar ‘’, l’infirmerie où Abdellahi Dektour ne cessait de promettre à ses patients des comprimés de … paramécie ! Et d’autres lieux évocateurs d’un espoir brisé…
Le gardien qui me servait de guide dans ce cimetière me conduit vers le dortoir des élèves de sixième, ce dortoir qui faisait face aux locaux administratifs et que nos aînés surnommaient « le Poulailler ». Là, je parviens à peine à retenir mes larmes…
A chaque pas, je me sentais diminué, profané et je mesurais, preuves à l’appui, jusqu’où pouvaient nous mener l’amateurisme politique et les théories partisanes.
Je n’aurai jamais que du mépris pour les assassins de mon lycée, ceux-là mêmes qui, dans le but malsain de démocratiser l’enseignement, se sont permis de mener les pires réformes jamais engagées depuis l’aube des temps…
Haut lieu de souvenirs
En visitant ce haut lieu de souvenirs, je revis, l’espace d’un instant, le film d’une vie scolaire riche en faits divers. Il y avait d’abord mes compagnons de classe : Le fameux Abidine, portant des babouches made in Marrakech, qui sèmait le désordre sur son passage ; Lemir Ould Akkah, le marabout du groupe, portant avec fierté l’unique barbe du lycée ; Abdellahi dit Ablaye, le turbulent ; Baba Ould Cheikh, l’ancien, qui disparaîtra quelques années plus tard dans les geôles sahraouies ; Mohamedhen Ould Abdellahi, aux chaussures hétérogènes, qui deviendra un brillant diplomate ; Diddih Ould Bousseiry, l’éternel malade imaginaire ; Ahmedou Ould Mah, le myope, chasseur des petits doigts, qu’il trouve un plaisir à tortiller ; Louly, le sage, évoquant, à longueur de journée, la vie au campement ; Hammoud, le scolairement correct, toujours en quête d’un fumeur généreux ; Bouky-l’hyène, toujours fâché ; Bouh Ould Elkory, l’indomptable, qui a su comment apprivoiser les phacochères rôdant aux alentours du lycée ; Ahmed Ould Mustapha, bien assis à la première rangée et dont les communications avec les collègues se limitaient au strict minimum …
Je crus entendre les rires de jeunes Mahsarois, fiers et tapageurs qui fréquentaient assidûment la maison des Mohamed Sala : Hassen Ould Bokky, Ely Ould Abdella, Hmeid Ould Chrif... El leurs aînés Mohamed Ould Boyah, Ahmed salem Ould Hbib, Eyoub, Mohamed Ould Mbareck...
Il y avait aussi les ‘’boutimittois’’, trop sérieux pour que nous puissions les aborder, les "Khna" (les élèves de la vallée) qui terrorisaient les petits bédouins que nous étions et les élèves venant de l’est du pays qui nous semblaient tomber de la planète Mars surtout quand ils parlaient de Letfotar, Karakoro, Néma, Djiguenny, etc…
Ces élèves-là vivaient presque en cercle fermé et ils étaient reconnaissables à leur parler qui se terminait toujours par une intonation interrogative...Et la liste est longue…
Je me rappelai les grèves, les gardes armés jusqu’aux dents; Ngdhey, le sympathique et mystérieux surveillant, Sidibé, le roi du transport et beaucoup, beaucoup d’autres souvenirs agréables et confus.
Mon excursion ne pouvait se terminer sans que je fasse un détour à Tounguène… Là, au moins, je retrouvai un semblant de vie…
Je n’avais malheureusement aucune chance d’y revoir Yaye, la vieille grand’mère du village, qui m’accueillait chaleureusement chaque fois que j'optais pour l'école buissonnière pour prendre un verre de thé et respirer un peu l’air libre.
Cela se passait bien sûr à l’insu des ‘’pions’’, ces élèves surveillants qui prenaient trop au sérieux leurs fonctions précoces…
Je quittai ce bled devenu infréquentable en me disant : Tu as bien fait de mourir, mon cher professeur Goudalier… Ils ont tout détruit…
Mohamed Ould Ahmed Meidah