Cher Ahmed,
Je viens de lire votre éditorial du Calame de ce mercredi 19 septembre 2018. Excellent comme d’habitude.
Permettez-moi cependant d’y relever une généralisation sur les différentes CENI que le pays a connues et dont je pense qu’il se serait bien passé, parce qu’elle n’est pas juste.
D’autres, dont le souci de l’objectivité et de l’équité n’a jamais été le point fort, ni surtout la vocation, mais dont l’impact des mots est plutôt négligeable, l’ont déjà faite, avant vous, sans susciter ou plus exactement sans mériter qu’on y réagisse. Mais, sous votre plume et dans votre éditorial, cette assimilation est plus inacceptable.
En effet, parlant des élections qui se sont déroulées dans notre pays depuis 1991, vous écrivez, sur un ton péremptoire, ‘’qu’aucune n’a dérogé à la règle, qu’elles étaient toutes des simulacres de consultations électorales, des pièges à cons, des pièces de mauvais goût où le recyclage, parfois même l’acharnement thérapeutique sont de règle. Où même les apparences ne sont pas sauves. Où la forme n’est pas respectée. Où la commission chargée de les organiser n’a pas fait l’objet d’un consensus et dont les membres sont choisis sur des critères paternalistes. Où l’administration affiche un parti pris flagrant.’’
Bien entendu, je préfère croire que ce soit le grand nombre de fois où ces élections ont été effectivement entachées d’injustice et de fraudes qui ait pu vous faire oublier celle où elles ont été organisées par une commission qui, sans être parfaite, a bel et bien dérogé à la règle.
Une commission qui a fait l’objet d’un consensus, dont les membres n’étaient pas choisis sur des critères paternalistes ou familiaux et qui n’a subi aucune influence de l’administration. Une commission qui a organisé en 15 mois, en parfaite concertation avec l’ensemble des acteurs politiques nationaux, de la société civile, de l’administration et de la presse, un scrutin référendaire, des élections municipales, législatives, sénatoriales et présidentielles dont la transparence avait été reconnue par tous. Des élections incontestées chez nous, saluées et citées en exemple à l’extérieur. Des scrutins qui avaient fait l’objet d’une observation électorale exigeante et crédible au niveau national mais surtout international.
Vous avez bien sûr compris que je parle de la CENI que j’avais eu, sans le chercher, l’honneur et le redoutable privilège de présider, de novembre 2005 à juin 2007. Tous les membres de cette institution, de sa commission centrale à celles des arrondissements en passant par les régionales et départementales étaient plutôt fiers d’avoir bien rempli la mission dont ils avaient été investis par la communauté nationale lors des journées nationales de concertations d’octobre 2005.
Que nos politiciens, pour les raisons que tout le monde connait, n’aient pas été capables, au final, de transformer ce premier essai en succès complet pour notre démocratie en herbe ou qu’ils se soient rendus complices, en Août 2008, du bradage de ce qui en est resté, en jetant le pays en pâture, au propre comme au figuré, au pouvoir despotique qui nous gouverne aujourd’hui, doit être imputé à ces politiciens.
Mais cela ne saurait en rien entacher le mérite d’une CENI dont la mission, qu’elle a bien remplie, était de superviser techniquement la construction des différents pans de cet édifice institutionnel et de les livrer aux dates requises, conformément à son cahier de charge. Pas plus qu’il ne devrait autoriser la comparaison et encore moins l’assimilation de cette commission à celles que vous décrivez.
En un mot, je crois qu’à défaut de promouvoir le mérite et rendre hommage à la CENI 2005-2007, en mettant en exergue la manière dont elle s’était acquittée de sa mission, il serait au moins plus juste de s’abstenir de la stigmatiser par cette généralisation inéquitable et intempestive.
Avec toute mon amitié et mon estime.
Cheikh Sid Ahmed Ould Babamine
Mise au point
Si effectivement la CENI 2005/2007 que vous avez dirigée, diffère, en bien, de celles qui l’ont suivie, il faut reconnaitre que, malgré tout, elle n’a fait l’objet d’aucun consensus. Ses membres ont tous été cooptés par le Conseil militaire de l’époque qui, dans l’ensemble, avait fait un bon choix. C’est peut-être pourquoi la classe politique n’avait pas protesté. Les militaires, du moins certains d’entre eux, n’avaient pas encore d’idées derrière la tête et voulaient organiser un processus transparent, aidés par une CENI neutre. Les choses se gâteront par la suite. Un engrenage fatal sera alors engagé, contre lequel ni la Commission électorale, ni même la volonté populaire ne peuvent grand chose. Et le résultat est là. Nous le vivons depuis 2008.