Ba Amadou Racine, ancien ministre, membre fondateur de l’Union Pour la République : "La redynamisation de l’UPR a été faite à l’improviste, avec, en seule ligne de mire, les prochaines échéances électorales"
Le Calame : L’UPR a publié, il y a quelques jours, ses listes candidates pour les prochaines élections. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas fait que des heureux. La grogne monte de partout, certains ont choisi de quitter le parti, afin de se faire parrainer sous d’autres couleurs. À votre avis, qu’est-ce qui explique cette situation, récurrente à chaque investiture ? Bababé, chez vous où vous étiez cités parmi les sérieux prétendants n’aurait-elle pas fait exception?
Bâ Amadou Racine : Je vous remercie pour cette opportunité. C’est aussi l’occasion de louer votre ligne éditoriale qui est, de mon point de vue, assez objective, très courageuse et, surtout, indépendante et progressiste. Vous savez, l’UPR est un grand parti politique, ne serait-ce que par la taille. Un parti qui regroupe plus d’un million d’adhérents soit plus du tiers de la population du pays, mérite respect et considération. Néanmoins, le mammouth a besoin d’être dégrossi, ne serait-ce que dans ses méthodes, son organisation, et sa gestion. Sinon il devient ingérable.
Il est vrai que la grogne monte de partout car le côté subjectif, irrationnel, les magouilles et les copinages sont monnaie courante, dans le choix de candidatures. C’est peut-être aussi le lot de toutes les grandes formations politiques hétéroclites et peu homogènes. Je pense aussi qu’il y a beaucoup d’erreurs, dues à l’ignorance des réalités locales. J’ai lu le questionnaire concocté par le parti et adressé aux candidats. Franchement, j’étais choqué car il m’a rappelé les formulaires de visa qu’on devait remplir dans le pays de la ligne de front, en Afrique australe, dans les années 70 et 80.
En ce qui me concerne, j’étais effectivement candidat à la candidature pour être député, sans grande conviction d’ailleurs, car je connais les méthodes à l’UPR. La direction a choisi quelqu’un d’autre. Il est ressortissant de Bababé, certes, et a des qualités mais aussi des défauts. Le choix n’est ni objectif ni judicieux. J’avais d’ailleurs mis en garde, par correspondance, le président de l’UPR. Lettre qui est restée sans suite. Les éléments subjectifs et les copinages ont pris le dessus. La riposte n’a pas tardé car le parti a éclaté à Bababé, avec onze listes pour les municipales. C’est dommage car nous avions dépensé beaucoup d’énergie pour panser les plaies, réconcilier tout le monde et effectuer une implantation du parti dans un consensus général. Les responsables du parti qui ont supervisé cette implantation peuvent en témoigner. Tout a volé en éclats, à cause de la fourberie et de la malhonnêteté de certains. D’ailleurs, les mêmes méthodes avaient été utilisées, aux dernières élections. En conséquence, j’avais, à l’époque, décliné la proposition de l’UPR d’être candidat aux législatives, sous les couleurs du parti. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
- Vous faites partie des membres fondateurs de l’UPR mais vous n’avez jamais bénéficié, jusqu’ici, d’un poste électif. On ne peut quand même pas vous reprocher, à votre âge, une quelconque indiscipline. Si vous devrez reprocher quelque chose à ce parti, que diriez-vous ?
- Effectivement, je fais partie des fondateurs de l’UPR. Les changements de 2008 m’ont trouvé à New York. J’étais dans la salle du Conseil de sécurité pendant que son président condamnait le changement, par la force, du régime en Mauritanie. L’ambiance et la mode, à l’époque, étaient de prendre des sanctions immédiates, contre le nouveau régime même si les peuples concernés devaient en souffrir. Sur ma propre initiative et à mon modeste niveau, je pris contact avec tous ceux que je connaissais aux Nations Unies et à Washington (ambassadeurs, hauts fonctionnaires, diplomates, etc.), pour donner ma version des faits et expliquer les dangers des sanctions pour les populations. À mon retour au pays, j’ai rejoint une quarantaine de hauts fonctionnaires : anciens PM, anciens ministres, anciens ambassadeurs, anciens SG etc. ; pour rédiger, ensemble, une lettre au président Sarkozy l’informant de notre position et lui demandant de tout faire pour éviter des sanctions à la Mauritanie, alors en situation économique et sociale très difficile. Les ambassades occidentales, le système des Nations Unies, les ambassades arabes et africaines furent toutes contactées. Des réunions furent organisées avec les délégations de l’UE, de l’UA et des ACP en visite à Nouakchott. Nous pensâmes, ensuite, à la fondation d’un parti politique pour soutenir le HCE. Il faut dire que la première manifestation de soutien au HCE se tint à Bababé, le 12 Août 2008. Notre groupe mit en place une commission de contact dont j’étais le coordinateur, pour rencontrer les parlementaires, l’association des maires et élus, ainsi que diverses personnalités de la Société civile, en vue de la fondation du parti. Au moment du dépôt de la demande de reconnaissance, mon nom fut supprimé par certains, sous prétexte que j’étais plutôt de la Société civile. Il est vrai que je n’ai jamais accepté d’être membre de la direction d’un parti politique, quel qu’il soit. Il est vrai aussi que je n’ai jamais fait de « vagues » ni de « scandales », dans un pays où les « grandes gueules » et les « braillards » courent les rues, pour ne pas se faire oublier. L’autre remarque à retenir est que le parti est truffé de tous les nationalismes et que chaque lobby travaille pour sa chapelle. Einstein disait que « le nationalisme est une maladie infantile de la démocratie : c’est la rougeole de l’Humanité » ; tandis que De Gaulle mit l’accent, dans ses Mémoires, sur le patriotisme au détriment du nationalisme, aussi large ou étroit soit-il. Les conséquences négatives de cette idéologie politique sont observables dans beaucoup de pays que nous admirions tant et qui sont, à présent, presque détruits.
- Pour redresser ou redynamiser l’UPR, le président Ould Abdel Aziz a ordonné la mise en place d’une commission qui a conduit à la dernière réimplantation d’il y a quelques mois et le renouvellement des instances de base de ce parti. Cela n’a pas manqué de susciter, en hors d’œuvre des investitures, des querelles de tendances et gel de participation de certains groupes. Pourquoi cette indiscipline, à pareille occasion ? N’y eut-il aucun critère objectif, pour la désignation des responsables des instances du parti ? Quels enseignements avez-vous retenus de cette campagne d’adhésion et des secousses qu’elle a occasionnées ?
- La redynamisation de L’UPR ne peut se faire en quelque mois car les fractions et frictions sont partout. Tout a été fait à l’improviste, avec, en seule ligne de mire, les prochaines échéances électorales. L’essentiel n’est pas de changer de dénomination des structures du parti, ou d’organigramme. Il faut une plus grande clarté dans la vision. Quel parti, pour quel pays ? Il faut tout un programme d’éducation politique citoyenne car nous avons de sérieux problèmes de cohabitation, d’unité nationale, de développement, de lutte contre la pauvreté, de cohésion nationale, de respect de la chose publique, de découpage administratif, etc. Le parti doit servir de cadre d’encadrement, d’éducation et de mobilisation et non d’instrument pour les carriéristes. Des débats sont nécessaires sur toutes ces thématiques. Nous devons avoir le courage de tacler tous ces maux qui plombent notre société, et notre diversité.
- En dépit de ses déclarations sur la question, certains continuent à réclamer un nouveau quinquennat, pour l’actuel président de la République dont le second et dernier mandat s’achève en 2019. Que pensez-vous d’un éventuel troisième ?
- À mon avis, le problème ne se pose pas car l’intéressé lui-même a déclaré, à plusieurs reprises, qu’il ne touchera pas à la Constitution sur cette question. Je n’ai aucune raison d’en douter. Il a la réputation d’être un homme d’honneur. C’est un officier supérieur de formation et un bon musulman pratiquant. Je suis surpris de voir des musulmans encourager un parjure. Le Président a juré, la main sur le Coran et la Constitution, devant le peuple mauritanien et le monde entier, de respecter cet engagement. Quels que soient, par ailleurs, l’appréciation et le respect qu’on peut avoir pour le travail accompli et les infrastructures réalisées, on ne peut l’encourager à ne pas respecter les engagements pris devant le peuple mauritanien.
- Avec la participation des partis de l’opposition aux prochaines élections, la bataille risque d’être particulièrement rude, voire épique. L’UPR pourrait-elle payer le mauvais choix de certains de ses candidats ?
- L’UPR paiera, certainement, certains mauvais choix et certaines erreurs d’appréciation. Un peu de professionnalisme aurait pu éviter tout cela mais c’est le fétichisme des statistiques qui n’a pas pris en compte une gestion rationnelle des humains, avec des critères objectifs, scientifiques, fiables et applicables à tous. Pour ce qui est de l’opposition, elle est encore faible, inorganisée et sans gros moyens. Il faut être particulièrement courageux et motivé, dans nos pays, pour être dans l’opposition. Elle a aussi commis beaucoup d’erreurs stratégiques et tactiques. Elle pourrait néanmoins bénéficier de certains déboires de l’UPR car il y a beaucoup de frustrations d’injustices et d’erreurs dans les choix de celui-ci.
- Lors de la campagne électorale, les candidats UPR ne manqueraient certainement pas d’invoquer les réalisations du président Ould Abel Aziz pour se faire élire. Que répondriez-vous à ceux qui répliquent que ces réalisations ne nourrissent pas les citoyens, et que le Président doit mettre l’accent beaucoup plus sur le social, pour le reste de son mandat ?
- Les premiers ont, sans aucun doute, une longueur d’avance sur les autres candidats car certaines réalisations sont visibles et palpables. Certes, ces réalisations ne nourrissent pas les citoyens mais on ne peut se nourrir sans elles. Elles sont vitales pour notre développement économique et social. De toutes les façons, un accent particulier doit être mis sur le volet social et politique car l’être humain doit être au début et à la fin de toute action politique.
- La Mauritanie connaît cette année, une sécheresse particulièrement difficile, avec mort d’hommes et de troupeaux, en divers coins du pays. Que pensez-vous des plaintes qui en remontent ?
- C’est inquiétant. Je vais souvent à l’intérieur du pays. Beaucoup de nos concitoyens se plaignent. Il faudra aider les plus démunis. Quelques actes sont posés mais c’est insuffisant. Il est vrai que nos moyens sont limités mais il faut plus d’attention et une lutte, sans merci, contre la corruption, la discrimination, et le favoritisme.
- Parmi les problèmes qui plombent ce qu’on appelle, communément, l’unité nationale ou la cohabitation, figurent l’esclavage et/ou ses séquelles, selon les points de vue, mais, aussi, la question du passif humanitaire. En ce qui concerne le premier, un arsenal juridique a été adopté pour l’éradiquer, le second reste couvert par l’amnistie votée par l’Assemblée nationale, en 1993. Que pensez-vous des modes de règlement adopté par l’actuel président de la République ? Qu’est-ce qui empêche, à votre avis, d’aller de l’avant, pour en finir définitivement avec ces tares ?
- L’esclavage et ses séquelles, comme l’unité nationale et le passif humanitaire, sont des questions récurrentes. Elles le resteront, tant qu’on ne les abordera pas avec courage et volonté de leur trouver des solutions définitives et justes. Nous avons un arsenal juridique avant-gardiste sur l’esclavage mais, sur le terrain, son application est laxiste. Il faut plus de volonté pour éradiquer cette pratique honteuse et avilissante qui perdure dans toutes nos communautés.
Pour ce qui est du passif humanitaire, je n’ai pas changé d’avis. Il faut oser prendre le taureau par les cornes. Au mois d’Avril 1992 déjà, j’avais demandé, à l’ancien Président Ould Taya de fonder une Commission pour résoudre le problème sinon celui-ci nous poursuivrait, des décennies durant, car la plaie est béante et très profonde. Je lui avais écrit à ce sujet et défendu l’idée, devant une réunion des hauts fonctionnaires des Affaires étrangères dont le ministre, le secrétaire général et plusieurs ambassadeurs et diplomates. À défaut d’une Conférence nationale, pour discuter de tous les maux de notre société, notre pays ne peut faire l’économie d’une Commission Vérité et Réconciliation.
Il y eut des débuts prometteurs, pour résoudre la question, mais les méthodes utilisées, pour le régler définitivement, ne furent pas les plus idoines. Il fallait plus de transparence et l’association de tous les concernés. Tout a été fait en catimini, si ce n’est dans la clandestinité. Or Nelson Mandela ne disait-il pas : « Tout ce qui est fait pour moi sans moi est contre moi » ?
- Certains partis politiques et ONG de droits humains et des natifs du Fleuve dénoncent, souvent, ce qu’ils appellent la confiscation des terres de la Vallée par l’agrobusiness, avec la complicité de l’administration locale. On se rappelle du cas de Donaye, par exemple. Que peut et/ou doit faire le président Ould Abdel Aziz pour éviter ce genre de situation ?
- Se concerter avec les ayants droit. Comme beaucoup d’autres fonctionnaires, la majorité de nos administrateurs territoriaux se comportent comme dans une administration coloniale ou d’occupation. Ils ignorent tout de leurs administrés, de leurs langues pour communiquer, de leurs cultures et de leurs traditions, comme du foncier, et ils ont pleins pouvoirs pour sévir. Il faut revoir la formation, adapter les manuels didactiques, enseigner les langues nationales et faire de la formation continue. C’est une œuvre de longue haleine, difficile mais très nécessaire et incontournable, pour la paix sociale et la quiétude de tous les Mauritaniens. Je vous remercie.
Propos recueillis par Dalay Lam