La civilisation, c’est, en son sens littéral et premier, un système social construit par et pour la cité. Une situation bien plus culturelle que naturelle donc, a contrario des systèmes tribaux où l’impact des contraintes agrestes est d’autant plus prépondérant que leur champ est sauvage, désertique, presqu’illimité, réalité au demeurant fondamentale de 80% de l’espace-temps mauritanien. Et de son histoire : Nouakchott, sa capitale, comptait à peine trois mille habitants, en 1960…
Non pas que le temps tribal soit, bien évidemment, dénué de culture : il a des règles, strictes, qui étagent l’art de bien se conduire en société, avec certaines nuances et délicatesses que bien des êtres réputés civilisés gagneraient à faire leurs, si tant est qu’ils aient de réelles aspirations humanistes. Hé oui : civilisé n’est pas forcément synonyme d’humain et les délires mécanistes de la cybernétique nous le rappellent sans fard… Mais il n’en reste pas moins que l’espace-temps fondamental de l’esprit mauritanien est largement réglé par des lois de nature où le plus fort, l’immédiat, l’opportun commandent, à l’ordinaire, la conduite.
Ce qui se passe dans nos rues et routes est l’illustration la plus directement visible de cette mentalité. Chacun croit savoir conduire à seulement tenir un volant. Il en est pourtant loin, ignorant qu’il est de beaucoup ce qu’implique l’usage de cette invention hautement civilisée. A-t-il déjà toujours bien et en permanence conscience de son extrême dangerosité ? La voiture tue et cette évidence exige une vigilance de tous les instants. C’est vrai partout en brousse, à mille milles de tout goudron, dans les situations les plus sauvages et naturelles mais cela se complique singulièrement, sitôt qu’apparaît le bitume, signe indubitable d’un nouveau contrat social, limité par des règles aussi logiques qu’artificielles. Le plus difficile, pour le bédouin des espaces sans limites, est probablement d’en accepter le principe. L’ayant admis, il lui reste encore à les bien connaître et les faire siennes. Tout un processus qu’espère ce nouveau dossier aider à vulgariser, avec force schémas.
Préalables
Détaillons tout d’abord, un peu, les plus élémentaires implications du contrôle fondamental sur l’engin capable de tuer. En un, la maîtrise de ses déplacements : vitesse toujours adaptée aux situations, freins, organes de transmission et pneumatiques en parfait état, on ne rappellera jamais assez l’importance d’une révision périodique de ces éléments basiques de la sécurité. En deux, voir et être vu. Le danger, en voiture, peut venir de partout. Notamment de l’arrière et il faut y avoir l’œil, en réglant ; et ayant le réflexe de consulter, fréquemment ; ses trois rétroviseurs : à droite, à gauche et, s’il est opérationnel, au milieu. Être vu demande, quant à lui, un usage approprié des feux de position : clignotants, codes et phares ; qui doivent donc être, également, toujours en état de marche.
Utiles, en situation de non-goudron, ces implications deviennent impératives, lorsque la chaussée se retrouve asphaltée et, donc, soudainement délimitée et restreinte. Mieux assuré, dans ses constituants mécaniques, l’engin peut prendre de la vitesse, les risques s’accroissent exponentiellement, des règles de circulation s’imposent d’autant plus que la distinction, entre le goudron et le non-goudron, est nettement établie. C’est d’ailleurs très exactement dans la mesure où son ordonnateur – l’État, à l’ordinaire – assure cette distinction que les règles prennent un caractère obligatoire. Laisse-t-il le sable recouvrir le goudron, les intempéries crever le bitume ? Voici le règne du non-goudron de retour et, avec lui, celui des lois de nature, totalement inappropriées, en cette surpuissance du mécanique artificiel… Le respect du code de la route, par ses usagers, est d’abord tributaire de l’entretien de celle-ci, par son propriétaire ; l’État, ordinairement.
Priorités de circulation
Admettons ces préalables assurés. Sur quels principes se construit ledit code ? En un, priorité au véhicule circulant sur le goudron. Tout ce qui provient du non-goudron doit lui céder le passage. Du moins si celui-là a la capacité de saisir l’importance vitale de cette règle : le chameau, le chien, la chèvre, le petit enfant ou l’aveugle, autant de réalités vivantes qui nous ramènent à la vigilance de tous les instants et la maîtrise impérative de notre engin de mort. Mais, conducteur responsable et conscient, je sais que provenant du bas-côté, d’un chemin de terre ; plus généralement, du non-goudron ; je dois impérativement céder le passage à qui circule sur le goudron, soit-il cycliste et moi, chauffeur poids lourd. De même, si je quitte le goudron, même provisoirement, je perds toute priorité sur qui y circule.
Le second principe partage la chaussée, par son milieu exact, en deux sens contraires de circulation, sauf indication formelle d’un autre agencement. On circule à gauche ou à droite, selon les pays, mais jamais au gré de sa fantaisie. Si l’on est obligé, pour une raison quelconque, de circuler sur l’autre côté de la route, on perd la priorité de circulation sur tout celui qui arrive en face. D’une manière plus générale, sur qui est resté de son côté. Aussi est-il prescrit de ne circuler à contre-sens qu’exceptionnellement, le plus brièvement possible,une fois certain que personne ne peut arriver en face et qu’on a toujours la possibilité de se rabattre, à temps, en son sens conventionnel de circulation. On ne coupe jamais la route d’une autre voiture ni ne l’oblige à quitter le goudron. Si la question se pose, il faut y répondre en sortant soi-même du goudron. C’est notamment vrai quand on tombe en panne : tout doit être fait, sans tarder, pour dégager la voie.
Cette règle capitale exige également une perception constante du milieu de la chaussée. Elle est particulièrement importante, quand on quitte son sens de circulation, en coupant l’autre côté et au croisement entre deux routes. Le schéma ci-contre explicite une telle situation. Les deux véhicules A et B veulent tourner sur leur gauche. Après avoir mis leur clignotant pour avertir de leur intention, ils se rapprochent au plus près de l’axe médian de leur chaussée, et se croisent, par l’arrière, une fois dépassé l’axe médian de la chaussée transversale. |
Ce premier exemple comporte un autre enseignement. Pour pouvoir tourner, A et B ont certainement levé le pied de l’accélérateur et freiné ; se sont peut-être même arrêtés, un instant ; et ont donc été une occasion de ralentir la circulation des autres véhicules dans leur sens de circulation. Or, l’objectif premier d’un goudron est d’accélérer la circulation sécurisée des véhicules. A et B doivent donc tout faire pour apprécier au mieux la situation et minimiser au maximum la gêne de celle-là. C’est pourquoi se sont-ils rapprochés au plus près l’un de l’autre, avant de se croiser, laissant le maximum de place, sur leur droite respective. Et ils ne tourneront, l’un et l’autre, qu’une fois certains qu’ils ne couperont la route à aucun autre véhicule. Cette seconde contrainte met en jeu le troisième principe : la célèbre priorité à droite (à gauche, dans le code anglais). Si dans le premier schéma ci-dessus présenté, C a ainsi priorité sur A, et D sur B, cette priorité est sujette à diverses exceptions, mettant en jeu les intensités variables de circulation entre deux ou plusieurs axes et/ou une intelligence des situations. Les deux schémas suivants explicitent de tels cas.
La complexité du premier cas qui demande, notamment, à B de renoncer intelligemment à sa priorité sur E, et à chacun, un minimum de logique, se traduit, en Mauritanie, par un désordre généralisé ou plus personne ne respecte aucune règle, par paresse, ignorance ou, pire, bêtise. L’installation de feux alternant la circulation ne réduit cette chienlit que relativement, dans la seule mesure où un nombre suffisant de conducteurs respecte la couleur des feux ; la mise en place de stops, le plus souvent bâclée et incohérente – on y reviendra plus loin – est encore moins efficace ; et seule la présence d’au moins deux agents bien coordonnés paraît pouvoir actuellement résoudre le problème, en attendant de plus pédagogiques mesures… Quant au second cas, celui du rond-point, si le principe du sens unique giratoire (de la droite vers la gauche) semble désormais acquis, une vigoureuse campagne d’informations, par media interposés et signalisation systématique, devrait permettre d’en faire entendre la toute simple logique complémentaire : on ne s’arrête jamais dans un rond-point. Qui y est engagé a priorité sur qui veut y entrer, sauf signalisation explicite contraire ou consigne directement donnée par des agents de la circulation.
Ce n’est donc pas si compliqué, de bien conduire une mécanique. Mais ce n’est ni mécanique, ni instinctif, ni impulsif. Un contrat social est en jeu. Si l’État doit en assurer les règles, à partir d’un minimum de préalables solidement tenus, comme l’entretien constant des routes, il demande, à chaque citoyen, une responsabilité active, un effort à voir plus loin que le bout de son nez, une compréhension immédiate des situations et de ce qui concourt à leur fluidité. À bien des égards, la circulation routière est la plus sûre et vraie mesure du débat public et de l’évolution de la citoyenneté. Plus nous sommes nombreux à en comprendre et appliquer les règles et plus notre civilisation prend corps et valeur… (À suivre, incha Allah).
Tawfiq Mansour