Le développement durable n’est pas une science exacte. S’il peut être méthodique – le doit, pour être lisible et rectifiable – il est d’autant plus soumis au tâtonnement expérimental qu’il travaille sur le vivant. La part impondérable de risques et d’incertitudes oblige à placer l’approche systémique et la communication transversale en phares de l’action. Depuis le début des années 2000, divers financements, variablement coordonnés, au niveau international, par les Objectifs du Millénaire du Développement (OMD), recyclés, depuis 2015, en Objectifs du Développement Durable (ODD), soutiennent la floraison, en Mauritanie, d’un nombre croissant d’initiatives plus ou moins bien adaptées, plus ou moins opportunistes ; plus ou moins durables, donc. Des questions de cohérence et de cohésion se posent. Centrales dans la conception interne de tout projet, elles tendent à le modifier, dans ses rapports externes, au fur et à mesure de son développement. La communication devient vitale.
Officiellement fondé en 2007, le projet « PRoduits d’Excellence d’une FIlière de plantes MEDIcinales en Mauritanie » (PREFIMEDIM) entend réunir, du plus court au plus long terme, tous les acteurs potentiels d’une exploitation réfléchie et durable du biotope médicinal en Mauritanie. Des intérêts très divers, notamment entre les producteurs-cueilleurs, en zones rurales, et les vendeurs de médicaments, en zones urbaines, ont à négocier un modus vivendi mutuellement profitable, en tous les cas respectueux de la précieuse matière première : les végétaux, en l’occurrence ; et de ses bénéficiaires finaux : hommes et animaux en besoin de santé. A ces soucis fondamentaux, s’adjoint celui de la durabilité : des infrastructures et équipements susceptibles de produire plus-values, d’une part, impliquant gestion du foncier et des amortissements ; et des ressources humaines, d’autre part, impliquant formations et investissement conséquent de la jeunesse.
Un Programme Stratégique Initial (PSI) a été établi, entre 2008 et 2011, dans une concertation assez réduite, beaucoup trop d’adhérents restant limités à leur propre intérêt – le plus souvent à court terme – et très peu d’entre eux percevant la globalité de la filière, encore moins la nécessaire logique de sa construction. Le consensus retenu fut, cependant, de s’en tenir à ce processus fondamental et de prévoir, au cours de son éventuelle réalisation, une phase suffisamment longue de discussions des résultats, entre tous ses acteurs, afin d’élaborer le programme stratégique suivant dans un cadre participatif de plus en plus élargi. Présenté, en 2012, lors d’une table-ronde des bailleurs potentiels, le PSI trouve son financement de base en 2016, auprès de l’UE (499 525 €, soit 52% du total). Il démarre, l’année suivante, avec bientôt l’appui d’un second bailleur, le GEF-SGP du PNUD (150 000 $, soit 12,4%). Diverses pistes sont actuellement explorées pour compléter le quasi-tiers manquant (330 000 €) avant Mars 2019.
Le terrain, support de l’action
Parlant de construire une filière, le PSI doit, à l’évidence, poser d’abord des fondations. C’est-à-dire, travailler en amont, au plus local : ses premiers acteurs sont le biotope phyto-médicinal et les populations rurales appelées à l’exploiter. C’est dans la mesure où cette relation existe ou est en mesure d’exister que des facilitateurs-régulateurs sont à même de la soutenir : facilitateurs, du côté de la Société civile et des PTF ; régulateurs, du côté de l’État. Trois types d’actions sont ainsi amenées à s’harmoniser : le social, le technique, le réglementaire. Si les deux premiers sont facilement interchangeables, dans leur ordre d’intervention, le troisième doit toujours avoir la sagesse d’intervenir plutôt en aval de ceux-là : la loi naît de l’expérimentation et non pas le contraire. Encore faut-il que les responsables de celle-là puissent avoir un œil constant sur les tâtonnements de celle-ci, afin d’en mesurer convenablement les risques.
AGR : Activité Génératrice de Revenus. Le concept est connu et couvre, d’une manière générale, le secteur privé ; notamment au plus local, sous sa forme la plus basique. Son développement, au cours des deux dernières décennies, a mis en évidence la nécessité de mettre en place, en aval, des structures plus communautaires, regroupant des activités fédératrices de plusieurs AGR (boutiques communautaires, par exemple). Leur objet est d’apporter un plus aux AGR, jamais de rentrer en compétition avec elles. Le PSI a choisi de donner, à ce type de structures, un nom spécifique : Activité Génératrice de Revenus Communautaires (AGRC) ; avec obligation statutaire de dévouer ses bénéfices nets à une association locale à but non lucratif, consacré au développement durable de l’agriculture bio, l’agroforesterie et les plantes médicinales, regroupant, notamment, les AGR impliquées (producteurs et/ou cueilleurs de plantes). Notons que cette association peut être membre ou fraction autonome d’une Association de Développement Communautaire local ou d’une Association de Gestion Locale Communautaire : elle est partie d’un tout qui doit s’efforcer d’organiser une synergie interne et externe ; autonome, à terme du PSI ;
notamment avec les PTF et les autorités administratives.
Les AGRC gèrent les infrastructures et les équipements nécessaires à la fabrication de produits valorisant ceux des AGR – une sorte de secteur secondaire de l’économie locale, en somme – avec des obligations, statutaires encore, d’assurer prioritairement, dans leurs charges d’exploitation, l’amortissement de ce capital fixé. Infrastructures et équipements impliquent situation foncière et les bailleurs ne consentent, avec raison, à financer ceux-là qu’une fois assuré le caractère durablement communautaire de celle-ci. Acquis, dans le cadre public (jusqu’à éventuelle privation), ce caractère a la fréquente lourdeur d’entraîner toute une machinerie administrative grevant lourdement le budget. On peut, certes, concevoir des AGRC de type économie mixte où l’État, propriétaire du foncier, n’est qu’un membre, parmi d’autres, du Conseil d’Administration (CA), laissant la gestion effective à un tiers local, comme l’association à but non-lucratif susdite, par exemple. Mais ce caractère communautaire du foncier peut être également assuré par n’importe quel propriétaire, via Immobilisation Pérenne de la Propriété (IPP) de la parcelle impliquée. C’est ce procédé, facilement mis en œuvre et particulièrement sécurisant, que le PSI met en avant.
Universellement connu, dans les sociétés musulmanes, sous l’appellation « waqf » (immobilisation, en français), l’IPP consacre le droit de tout propriétaire, public ou privé, personne physique ou morale – en tout cas, légal – d’un bien précisément défini, à en déclarer la valeur perpétuellement incessible et inaliénable, qui devra être gérée, selon les modalités expressément notifiées dans l’acte fondateur de l’IPP, au profit d’une œuvre communautaire de son choix. Tout rajout au fonds en suit systématiquement le statut et c’est la valeur ainsi augmentée qui devient le capital à perpétuer : l’IPP est donc un système d’accumulation de valeurs au service d’une communauté. Un CA supervise la gestion. Dans le cadre du PSI mis en œuvre par la PREFIMEDIM, chacun de ces CA est invariablement composé de cinq membres. Deux sont inamovibles : le propriétaire du foncier (ou son représentant) et le bailleur des équipements (ou son représentant) ; et forment la « minorité de contrôle » qui choisit l’association locale à but non-lucratif destinataire des bénéfices nets. Désignés par cette association, les trois autres membres du CA forment la « majorité agissante », libre donc de ses mouvements, à condition de bonne gestion, vérifiable, à tout instant, sur audit indépendant commandé par la minorité de contrôle.
L’État facilitateur
Sept sites, répartis sur cinq régions, ont été ainsi retenus, suite à l’engagement volontaire de leurs populations à participer au PSI. Dans trois cas sur sept, ce sont des structures communautaires (village, jama’a, coopérative) qui ont délimités et mis en IPP le terrain dévolu aux activités de leur AGRC. Dans les quatre autres, ce sont des particuliers qui ont tous ce point commun d’être unanimement reconnus, par la population locale, comme les exploitants de si longue date du terrain en question que nul ne s’aviserait de leur en contester la propriété. Mais les documents officiels manquent, parfois. L’État doit donc maintenant entrer en scène pour valider rapidement la propriété du sol et consolider ainsi le processus de communautarisation de son usufruit, via l’IPP. Ce faisant, l’association prend langue avec l’administration décentralisée : c’est le début du processus de partenariat État-SOC par la base, au plus près des gens, à leur demande. En plusieurs cas, ce dialogue est déjà largement en cours, parfois depuis des années, grâce au travail d’ONG nationales. Quatre d’entre elles sont d’ailleurs partenaires du PSI, avec mission d’assurer, pendant deux ans, l’incubation de l’autonomie (renforcement des capacités) de l’une ou l’autre des sept associations locales appelées à gérer leur AGRC respective. Un appui particulièrement efficace, on le voit notamment à Samba Kandji (commune de Gouraye, Guidimakha) où les investissements de l’ONG ADIG, appuyés, depuis 2002, par la coopération allemande, dans l’établissement et le suivi de l’Association de Gestion Locale Communautaire (AGLC) de Moudji-Sud, un des fleurons du Pro-GRN de la GIZ, ont tissé de puissants comportements coopératifs, entre les divers services déconcentrés de l’État (commune, moughataa, wilaya) et la Société civile locale. Ailleurs, ce peut être moins évident. Raison de plus de mettre les bouchées doubles, en instaurant, sans tarder, une dynamique de convivialité maximale. Dans quelle mesure des actions en aval, à Nouakchott, au niveau national, sont-elles à même de la booster ?
L’interrogation se pose surtout lorsque l’action visée est à l’initiative de la Société civile. Elle acquiert une acuité singulière dans l’établissement d’AGRC dont le but économique se partage en deux fonctions essentielles : en un, offrir des débouchés et/ou plus-values aux AGR locales ; en deux, doter la Société civile locale en revenus réguliers, lui permettant d’assurer ses plus basiques fonctions écologiques et sociales. Il y a plusieurs niveaux d’actions, toutes utiles, certaines nécessaires. Si leur ordre de priorité et d’urgence varie en fonction des enjeux écologiques et sociaux de l’AGRC, la définition de son cadre règlementaire est une exigence d’autant plus impérative.
Le PSI de la PREFIMEDIM est, à cet égard, particulièrement significatif. Comme on l’a dit tantôt, la gestion des plantes médicinales réunit deux préoccupations essentielles : la protection – exploitation durable – de l’environnement et celle de la santé des gens. Si la première paraît localement assez abordable – la réussite du ProGRN en témoigne – la seconde fait appel à des compétences plus difficilement accessibles, en brousse : combien de charlatans, dans tout le pays, pour combien de tradipraticiens réellement savants ? Il y a donc nécessité de cadrer un marché où le paramètre de la toxicité, certes variable, est incontournable.
On a abordé cette question en limitant, tout d’abord et expressément, la vente des Plantes Médicinales (PM), au niveau des AGRC du PSI, aux seuls professionnels et institutionnels membres d’une structure agréée par L’État mauritanien : centre de santé, association professionnelle de tradithérapeutes, ordre de médecins et de docteurs vétérinaires, institutions onusiennes et autres organismes internationaux spécialisés, comme le Croissant ou la Croix rouge… On a même renforcé cette limitation, en n’accordant le label PREFIMEDIM qu’à des plantes et produits vérifiés, à Nouakchott, par une AGRC centralisant toutes les expéditions en provenance des AGRC locales. Cette AGRC, dénommée « Centre de Commercialisation Communautaire de Plantes et produits Médicinaux (3CPM), est le nœud vital du système PREFIMEDIM. C’est précisément à partir de là que l’État mauritanien est appelé à construire son action régulatrice.
La pharmacovigilance au cœur de la filière
En lui demandant de mettre en IPP un peu moins d’un hectare de foncier viabilisé, en banlieue de Nouakchott, où vont être bâtis les locaux de la PREFIMEDIM et du 3CPM, l’association place en effet l’État, propriétaire du fonds, en membre inamovible du CA de l’AGRC, formant, avec le représentant du bailleur, la minorité de contrôle sur la gestion de l’IPP. Nous avons proposé, en divers documents en cours d’examen au Ministère des Finances et à la Direction de l’Urbanisme, que cette représentation de l’État soit confiée à la Direction de la Pharmacie et des Laboratoires (DPL), organisme public le plus approprié, semble-t-il, pour suivre les activités de commercialisation d’une filière de plantes médicinales.
AGRC au bénéfice de l’association PREFIMEDIM qui en assure la conduite – elle est majoritaire au CA de celle-là – sous surveillance de la minorité de contrôle susdite, le 3CPM est donc également un administrateur de biens communautaires. Nous plaidons, auprès du Ministère des Finances, pour que cette conjonction place systématiquement une AGRC en statut d’utilité publique, exonéré d’impôts. Je dis bien l’AGRC et non pas l’association qui la gère. Celle-ci peut se révéler, en cette tâche, objectivement défaillante et la minorité de contrôle aura alors à la remplacer par une autre structure à but non-lucratif également dédiée à l’exploitation durable des plantes médicinales. Il faut donc bien distinguer les deux structures. Le CA où siège l’État n’a pas à intervenir dans les activités de l’association, notamment dans son utilisation des ressources allouées par l’AGRC, mais seulement à veiller à la bonne gestion de celle-ci par celle-là.
En l’occurrence du 3CPM, on voit immédiatement en quoi l’aide de la DPL peut être précieuse, dans la détermination progressive des meilleures règles de commercialisation des plantes et produits médicinaux, qui seront rapidement répercutées, via la PREFIMEDIM, au niveau le plus local, tandis que le processus administratif, le long des circuits du Ministère de la Santé, suivra son cours spécifique, à son rythme. La notion de flux d’informations ici sous-tendue est capitale. Ce n’est qu’une fois intégrée la réalité de la diversité de ces flux qu’une régulation efficace de la filière devient possible.
L’IPP, service tous azimuts
Les Canadiens ont beaucoup exploré cet aspect en développant leurs « tables-filières » où tous les partenaires potentiels d’une filière quelconque – du producteur au consommateur, en passant, non seulement, par tous les intermédiaires mais, aussi, tous ceux qui en subissent les impacts collatéraux – sont amenés à en discuter périodiquement, du plus local au plus global. S’il n’est pas question, en un si bref dossier, de détailler cette organisation, notons simplement ce que le concept IPP peut lui apporter de cohésion. Nous avons dit, tantôt, que le 3CPM, AGRC fournisseur, à Nouakchott, de plantes et produits médicinaux aux seuls professionnels et institutionnels, est l’organe gestionnaire d’un terrain d’un hectare mis en IPP par l’État mauritanien. Le caractère désormais incessible et inaliénable du bien ainsi constitué – et de tous ces rajouts, notamment immobiliers et, éventuellement, mobiliers – ouvre de très grandes perspectives, non seulement nous l’avons vu, pour le secteur associatif mais, aussi, pour le secteur privé susceptible de tirer profit de la filière.
L’exemple suivant suffira à s’en convaincre. Soit une société anonyme dévolue à la fabrication et à la vente grand public de médicaments à base de plantes. Tout naturellement intéressée aux produits mis en vente par le 3CPM, elle a tout intérêt à installer son usine au plus près de celui-ci. Le plus coûtant, en telle proposition, est la construction et l’équipement de l’usine. Mais il n’est pas nécessaire que cette fixation du capital soit à la charge de ladite société qui peut fort bien se contenter d’en supporter la location, si le bien ainsi constitué est assuré d’incessibilité et d’inaliénabilité, qualités fondamentales, au demeurant, de l’IPP. Ladite société présente alors, au CA du 3CPM, un plan chiffré de ses nécessités immobilières et mobilières, intégrant le coût de leurs amortissements. Agréé, ce plan est présenté aux bailleurs de l’IPP. Un montant objectif de location est négocié, à partir d’un plancher fondamental – le coût annuel des frais d’entretien (amortissements) du capital ainsi ajouté à l’IPP, intangible priorité, rappelons-le, du concept – en pourcentage sur les bénéfices nets attendus de l’usine.
On voit ainsi comment peuvent se retrouver réunies, sur à peine un hectare et en relation étroite avec la DPL, un certain nombre d’activités particulièrement sensibles du secteur de la santé. Des associations professionnelles, comme l’Association des PHARmaciens de Mauritanie (APHARM), l’Association des Tradipraticiens de Mauritanie (ATM), l’Ordre des Médecins, l’Ordre National des Docteurs Vétérinaires (ONDV), voire des sociétés publiques ou parapubliques impliquées dans le domaine, peuvent être amenées, elles aussi, à présenter un dossier d’installation sur l’IPP 3CPM : un hectare, ce n’est pas peu ; et peuvent facilement se retrouver à la PREFIMEDIM qui y tient siège. La table-filière, au niveau national, se met peu à peu en place… Notons également que tous ces partenaires potentiels, personnes physiques ou morales, sont évidemment invités à entrer dans l’association PREFIMEDIM qui prévoit d’organiser, dans le cadre de son PSI, des débats approfondis entre tous ses membres, pendant dix-huit mois, à partir d’Octobre 2019.
Une boucle pérenne entre le local et le global
L’entrée à la PREFIMEDIM nécessite l’implication dans un de ses six secteurs d’activité : production-récoltes, commercialisation, recherche, biodiversité, formations, information. Au cours des débats susdits, chaque secteur aura à concevoir un plan quinquennal d’actions (PST5-G1, 2021-2025) qui fera suite à l’actuel PSI (2017-2021). Après synthèse des six secteurs, le PST5-G1 sera présenté aux bailleurs, lors de la grande Quinzaine de coms, à Nouakchott, appelée à clôturer le PSI, au cours du premier trimestre 2021. Sans entrer dans les détails de l’organisation interne de la PREFIMEDIM, disons simplement qu’elle est basée sur l’autonomie coopérative où chaque secteur est amené à gérer, trimestriellement, son propre budget. La remarque est particulièrement pertinente pour le secteur « production-récoltes » où chacun des sept sites du PSI sont obligatoirement représentés, via leur association respective, et leur collectif (dont le nombre de membres est évidemment appelé à augmenter, au fil des programmes stratégiques successifs), détient, obligatoirement, une majorité décisive, dans les débats de leur secteur : le point de vue des producteurs-cueilleurs est une donnée incontournable de l’association PREFIMEDIM. D’autant plus incontournable, d’ailleurs, que chacun des sites va entamer, en même temps que celle-ci, les études de son propre programme stratégique quinquennal (PST5-L1), avec l’appui de l’Association Mauritanienne de Suivi-Évaluation (AMSE) – partenaire du PSI – et le présentera aux bailleurs, lors d’une journée spécifiquement dédiée au local, au cours de ladite Quinzaine de coms à Nouakchott. Et ainsi de suite, de PST en PST…
Centré sur la réalisation concrète de la filière, le PSI réunit de nombreux autres éléments de discussion objective. L’État, membre inamovible de l’AGRC centrale – le 3CPM à Nouakchott – qui assure le fonctionnement basique de l’association, y installe notamment le regard du ministère chargé de la santé publique. Mais il peut être également présent à l’intérieur même de l’association, en y déléguant, en tel ou tel secteur, tel ou tel représentant de ses divers autres départements variablement intéressés par la filière : environnement, éducation, agriculture, élevage, commerce, finances, etc. La réunion, chaque trimestre, du CA de la PREFIMEDIM, autour de son Bureau Directeur (BD), et la publication, en suivant, sur www.prefimedim.com, des rapports de chaque secteur et de celui du BD, génèrent un d’autant plus puissant brassage d’informations, entre le local et le global, que les trois composantes essentielles du développement durable : l’État, les PTF et la Société civile, tant locale que nationale ; en sont parties prenantes, actives, à partir de réalités concrètes, objectivement discutables.
Deux processus inverses d’intervention vont ainsi à la rencontre : celui, classique, émanant du dialogue État-PTF, variablement bien compris et accepté par la Société civile ; celui, relativement inédit, joignant la Société civile et les PTF, variablement compris et accepté par l’État ; et cette rencontre anime la seule dynamique absolument indispensable au développement durable : la ferme connexion entre l’État et la Société civile, distinguant, nettement, les activités à but non-lucratif, prioritairement soucieuse de durabilité, des activités à but lucratif, prioritairement préoccupées de rentabilité. L’originalité du projet PREFIMEDIM tient à ce que ces deux types d’activités, trop souvent vécues en antinomie, sont maintenant pensées en symbiose, à partir d’un principe simple : un système n’est durable qu’en ce qu’il est rentable et rentable qu’en ce qu’il est durable. C’est ce qu’entend révéler le schéma suivant.
Un modèle modulable et aisément inclusif
Matrice de la filière, le PSI n’a pu démarrer que par la mise en branle du tandem PTF-OSC nationale (UE-PREFIMEDIM, en l’occurrence), avec pour mission première de former les couples « OSC locales- AGRC locales », avant de mobiliser l’État dans l’établissement de l’AGRC globale (le 3CPM). Études botaniques au plus local, en amont ; formations techniques et administratives, au niveau des AGRC ; Observatoire Permanent du Marché de Plantes et produits Médicinaux (OPMPM), en aval, à Nouakchott ; complètent le processus fondateur. Suivent, dans un second temps, les programmes sociaux, en chacun des sept sites : programme pédagogique, engageant les élèves de l’enseignement profane (primaire, collège, lycée) et sacré (mahadra) à la découverte et à l’exploitation durable de leur biotope, un programme suivi et évalué par les ministères de l’Éducation et de l’Enseignement originel ; programme agrobio, formant les femmes maraîchères aux techniques fondamentales de l’agriculture biologique et à la culture de diverses PM, suivi et évalué par le ministère de l’Agriculture ; Santé-PM et PM-Vétérinaire, initiant un processus de soins, aux hommes et au bétail, suivi et évalué par les ministères de la Santé et de l’Élevage ; Répertoire et
Redéploiement de la Biodiversité Médicinale en Mauritanie (2RB2M), enfin, mobilisant toute la population à la comptabilisation et à l’enrichissement de leur capital phytomédicinal local, avec l’appui de scientifiques de l’ENES et de la Faculté des sciences, suivi et évalué par le ministère de l’Environnement qui devrait probablement le prendre sous sa gouverne – à terme du PSI, nous l’espérons – afin de lui donner sa pleine dimension nationale.
La filière de plantes médicinales n’en reste pas moins un petit marché en Mauritanie, actuellement limité, au niveau national, à quelques dizaines de tonnes par an, alors que la capacité productive raisonnable – c’est-à-dire, respectueuse de la ressource – est dix à vingt fois supérieure à la demande. Si l’on veut maintenir des prix garantissant la traçabilité et la qualité des produits, tout au long de la chaîne – production, cueillette, séchage, conditionnement, contrôle qualitatif - il faut donc faire preuve de prudence, dans l’ouverture de nouveaux sites associées à la filière, toujours adaptée à l’évolution du marché en aval. Les possibilités en ce sens sont grandes : fabrication de médicaments et cosmétiques, huiles rares, semences dynamisées, au niveau des produits, et, au niveau commercial, compétitivité croissante à l’international. Une compétitivité, notons-le en passant, qui exige un souci constant de qualité, conditionnée, comme nous venons de le rappeler, par la fermeté des prix le long de la chaîne… Remplaçons maintenant PM par miel bio ou quelconque autre produit de l’exploitation du biotope. Le schéma reste opérationnel. En ce qui concerne le miel, par exemple, la qualité du produit dépend beaucoup de celle des équipements de la miellerie qui doit pouvoir extraire, à froid, dans les meilleures conditions d’hygiène possible (pureté de l’eau, locaux hors poussière, nettoyage méticuleux des surfaces de travail et des outils, etc.), la substance précieuse, en en préservant au mieux toutes les vertus. On voit immédiatement l’intérêt à bâtir cette miellerie sur terrain IPP, protégeant ainsi son capital fixe, éventuellement financé par un PTF institutionnel de la Mauritanie, dans un cadre AGRC ou privé (et, en ce dernier cas, seulement locataire des lieux, comme expliqué tantôt). Le procédé est souple et admet de nombreuses variantes.
Un rapport gagnant-gagnant pour toutes les parties
En tout cela, l’État n’est, a priori, jamais sollicité financièrement. Il est même amené à recevoir des revenus du système, sitôt que les AGR atteignent un niveau suffisant de bénéfices. Gorgé d’informations en provenance de tous les acteurs, à quelque niveau de la filière, le voilà maintenant d’autant mieux à même d’affiner, à moindre coût, des plans globaux d’intervention précisément adaptée, avec les PTF. Notamment dans le choix des lieux à placer en IPP, son seul apport concret au système, a priori, avant de moduler de pertinentes directives réglementaires (décrets, lois, circulaires, etc.), en aval des diverses expérimentations de la Société civile. Assurée de revenus réguliers, grâce à l’activité des AGRC exonérées d’impôts, la Société civile à buts non-lucratif se stabilise et remplit efficacement son rôle de relais permanent, entre le global et le local, dans l’établissement du développement durable. Mieux connu, le biotope est non seulement mieux exploité mais mieux protégé ; enrichi, même ; par ceux-là mêmes qui y vivent en permanence et en tirent un réel profit. Protégées par l’IPP, les AGRC fabriquent un solide réservoir de capitalisation équipementière et technique, développant le secteur secondaire local et national, avec de réelles et rapides retombées sur les gens ; et sur le secteur tertiaire, bien sûr, notablement pourvu en nouveaux produits de qualité suffisamment garantie pour participer au commerce mondial.
Un rapport gagnant-gagnant pour toutes les parties ? Il faudra bien entendre le filigrane : une telle approche, systémique en son ensemble, est de nature à porter préjudice à l’organisation fragmentée et sectorielle de l’économie. De gros intérêts, attachés – pour ne pas dire garrottés – à une gestion quantitative du développement, devraient souffrir de l’essor des nouveaux modèles holistiques dont celui de la PREFIMEDIM n’est qu’un exemple, parmi d’autres. Guerre, donc, encore et toujours, du pot de fer contre le pot de terre ? Des paramètres émergents – détérioration écologique de la planète, conséquences sociales des crises financières, en particulier – plaident cependant pour des négociations. Les grands de ce monde sauront-elles les préférer au traditionnel « On casse tout et l’on recommence » ? Mais le risque, grandissime aujourd’hui, de la conclusion de l’« On casse tout » par un funèbre « Game over » laissent-ils même le choix ?
Ian Mansour de Grange