Bertrand Fessard de Foucault
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Reniac, le mardi 26 Juin 2018
Monsieur le Président de la République,
en vue de votre voyage à Nouakchott lundi et mardi prochain, je vous prie de trouver un note très courte sur la Mauritanie : ce pays est exemplaire de notre politique en Afrique subsaharienne d’expression française. La question de votre quinquennat, en ce domaine, et tout particulièrement de ces deux jours à Nouakchott est que changiez complètement cette politique, ou qu’elle soit maintenue et légitimée de facto.
Le général Mohamed Ould Abdel Aziz est responsable direct du coup militaire qui, le 6 Août 2008, renversa Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, élu quinze mois plus tôt, au second tour d’une élection transparente, observée sur place par des centaines d’envoyés de tous pays, après trente ans ou presque de dictatures militaires, et moyennant un an de préparation du scrutin avec le concours matériel et professionnel de l’Union européenne, de nous-même et de l’Organisation internationale de la francophonie. Putsch exemplaire pour dénier une élection exemplaire ! Patron d’un bataillon surarmé (le Basep) pour la sécurité présidentielle depuis 1987, Mohamed Ould Abdel Aziz (né à Louga au Sénégal, marié à une marocaine, entré dans l’armée pour la mécanique et les parcs automobiles) n’a jamais abandonné le commandement personnel de cette unité. Nicolas Sarkozy communiqua aussitôt la désapprobation de la France tandis que la population manifestait sa réprobation du putsch, mais les putschistes financés par Mohamed Ould Bouamatou, devenu hostile depuis et réfugié au Maroc, achetèrent la complaisance puis la caution françaises : en billets euros – de la main à la main (rôle aussi de Robert Bourgi) – Claude Guéant, alors secrétaire général de la présidence de la République. Il y eut ensuite une parodie de conférence, tenue à Dakar, pour que se dégage un consensus anticipant l’élection présidentielle et permettant au putschiste de s’y présenter. Les choses furent plus difficiles avec la Commission européenne, mais l’importance d’un accord périodique sur les pêcheries convainquit…
Alors respectivement directeur du cabinet du ministre des Affaires Etrangères, et directeur du cabinet du ministre de la Coopération, les futurs ambassadeurs Philippe Etienne, votre conseiller diplomatique, et Jean-Marc Chataigner, chargé de mission pour le Sahel, avec moi qui les entrepris dès le coup militaire, luttèrent tout le 4ème trimestre de 2008. Vainement : l’Elysée était circonvenu.
Résultat : comme dans la plupart des pays de notre « champ », les élites désespèrent de leur pays, ont honte de leurs dirigeants mais continuent d’espérer en nous. La Mauritanie – sous-sol ferreux, aurifère, pétrolier, gazier et ressources halieutiques – est riche, alors qu’en 1957 elle n’avait même pas chez elle son propre chef-lieu. Elle a vécu une période fondatrice exceptionnellement désintéressée et féconde, animée par Moktar Ould Daddah (1920 + 2003) et une équipe constamment renouvelée avec un parti, sans doute unique et exclusif, mais constamment élargi et accueilli. Fait unique, à l’initiative de Moktar Ould Daddah, président en exercice de ce qui est aujourd’hui l’Union africaine, le Conseil de sécurité des Nations Unies se réunit sur place pour traiter de la question de Palestine et de la pérennisation en Afrique australe de systèmes d’un autre monde. Ce régime bienveillant et moralement rigoureux, incarné par une personnalité que je considère comme un saint, a été renversé par les militaires le 10 Juillet 1978, et nous avons immédiatement reconnu de facto ceux-ci.
Sans accord public de défense depuis 1973, que des échanges de lettres pour la mise en oeuvre de quelques Jaguar, nous avons expérimenté de 1976 à 1978 avec Moktar Ould Daddah et des officiers de grande qualité, tués au combat ou plus tard insurgés contre les comités de leurs pairs putschistes, ce qu’est la guerre du Sahara. L’Algérie en est la clé par la part considérable qu’elle régit au désert, et maintenant par ses effectifs. A l’époque, alors que le Maroc avait cessé de revendiquer la Mauritanie (1956 à 1969), l’Espagne avait été contrainte politiquement (et par la mort aussi du général Franco) d’abandonner sa possession littorale au Sahara. Le Polisario, toujours existant, fut contenu par l’aviation et par le loyalisme des populations ; les hostlités n’eurent cours qu’en territoire mauritanien que l’Algérie convoitait comme ouverture vers l’Atlantique et débouché aussi du fer de Gara Djebilet.
Le pays aujourd’hui est en sous-équipement social, tout y est payant, aucun régime d’assurance ou de retraite sauf pour les fonctionnaires, proportionnellement peu nombreux. Il est en grave crise interethnique avec en sus retour de la plaie de l’esclavage, pourtant incriminé depuis Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Il est en risque d’une radicalisation, recéleuse d’un islam unanimement pratiqué.
La Constitution actuelle n’autorise que deux mandats consécutifs pour le Président. Vous pouvez empêcher un troisième mandat dont les obligés du dictateur ont commencé la supplication, si publiquement vous prenez acte de l’engagement de votre hôte de ne pas le solliciter ni de l’accepter. C’est le test de notre regret pour 2008 et de notre volonté d’une Afrique démocratique et non corrompue.
Souvent, déjà, je vous ai entretenu d’un service national, universel, garçons et filles, dont la seconde année serait consacrer à la coopération notamment en Afrique. Les jeunesses locales, épaulées et rétablies dans leur confiance en elles-mêmes, par la nôtre venue sur place et nouant amitié, peuvent changer complètement la donne. Les vieilles générations n’arriveront pas par elles-mêmes ni par la force évidemment, ni par l’élection puisque les reconductions sont truqées.
Trois mois avant l’élection présidentielle de Décembre 1997, Jacques Chirac, accompagné du prestigieux Pierre Messmer (ancien commandant du cercle de l’Adrar, puis gouverneur du Territoire, puis Haut-Commissaire général à Dakar) et d’Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères pendant la troisième « cohabitation », vint officiellement en Mauritanie. Cette venue valait approbation et le colonel Maaouyia Ould Sid Ahmed Taya (maintenant réfugié au Qatar), putschiste de 1978, renversant un de ses compagnons en 1984, fut réélu : un pouvoir de plus de vingt ans, et la corruption installée pour laquelle nous grandes entreprises sont tristement des modèles. Que va fonder votre propre venue à deux mois du « renouvellement » de l’Assemblée nationale, probable porteuse d’une révision de la Constitution ?
La sécurité au Sahel et donc à la frontière méridionale de l’Europe dépend essentiellement de l’adhésion, non des gouvernements, mais des populations et à l’arrivée aux responsabilités de générations et de personnalités non contaminées par la dictature, la corruption. D’une reprise de l’espérance – avec des motifs concrets et immédiats – dépend toute suite. Le changement en Mauritanie peut déclencher en presque tous les domaines, du militaire à l’économie, au social et au national, la contagion attendue par les Africains.
C’est devenu une question d’honneur
comme naguère le fut notre décolonisation.
Très attentivement et avec déférence.
à Monsieur Emmanuel MACRON, Président de la République
aux bons soins du secrétaire général de la présidence de la République,
Monsieur Alexis KOHLER
Palais de l’Elysée
Jointes,
– la réflexion d’un Mauritanien sur votre venue à Nouakchott : officielle et en un moment politique précis
– les conclusions d’un sondage sur le profil désiré du prochain président (par une association locale indépendante)
Avec vous, Bertrand Fessard de Foucault