Depuis quelques temps, Nouakchott a renoué avec les coupures de courant électrique qu’elle avait commencé à oublier depuis presque quatre années. Les coupures ont atteint leur paroxysme vendredi dernier : cinq heures d’affilée ! Et, comme toujours en pareille circonstance, les consommateurs ont pointé un doigt accusateur vers la seule société de production et de distribution de l’électricité, cette précieuse denrée, devenue incontournable, même pour les petites bourses. Et chacun d’oublier son éventuelle responsabilité dans ce qui nous arrive ou peut nous arriver : la fraude, massive, à laquelle presque tous se livrent.
Pour certains, les délestages seraient le résultat d’une mauvaise programmation ; entendez, la vente d’une partie de notre production au Sénégal ; pour d’autres, le fruit amer d’une consommation anarchique et d’une fraude exponentielle, tant en usage domestique qu’industriel. Mais, à la SOMELEC, on se garde de jeter l’anathème sur quiconque, même si l’on ne manque pas de relever divers problèmes techniques liés à des installations sauvages et à une consommation « abusive ». On invoque plutôt un incident très circonstancié : « Il n’y a pas de problème de production. C’est une fausse manœuvre qui a occasionné, le vendredi 19 Septembre, l’arrêt de la centrale de Nouakchott pendant près de cinq heures », indique le désormais ex-directeur technique de la SOMELEC, Athié Abdel Wahab, promu DG de l’ONSER, jeudi dernier.
Brûlé à 70%
Selon le directeur technique contacté par « Le Calame », c’est au cours d’un coutumier entretien annuel qu’un agent de la Société SEMAF qui a pris le relais d’ESKOM-Energie – une société sud-africaine, chargée, entre autres, de l’entretien et de la maintenance des centrales – a commis une fausse manœuvre, sur une cellule, occasionnant alors un court-circuit. Comme il y a un « jeu de barres », il fallait, immédiatement, arrêter la centrale, se déconnecter de Manantali, isoler la cellule en question, la nettoyer, procéder à des vérifications aussi indispensables que soignées, avant de redémarrer l’alimentation de la capitale en électricité. Ce sont des accidents qui peuvent survenir, exceptionnels, fort heureusement, mais qu’il faut gérer avec la plus grande prudence, déclare, en substance, Athié Abdel Wahab. Des travaux qui ont pris du temps donc, parce qu’il fallait s’assurer que toutes garanties de sécurité étaient réunies. Et de signaler le cocktail explosif que constitue l’accumulation, dans la centrale, de gas-oil, gaz, huiles et câbles. L’agent malien de la SEMAF impliqué dans l’incident lutte contre la mort, depuis vendredi. « Il travaillait sur du 33 000 volts et se retrouve brûlé à 70% », renseigne encore le DT.
Quant autres délestages constatés depuis quelques jours, le DT explique qu’ils sont, eux, les conséquences d’une fraude à grande échelle. La demande de la capitale oscille entre soixante mégawatts, le jour, et quatre-vingt, le soir, alors que l’offre cumule trente mégawatts en provenance de Manantali, vingt-cinq de la centrale thermique Arafat, dix de la centrale solaire et huit de la centrale d’Arafat II. C’est, généralement, un problème de câbles basse tension (BT) qui « pètent », à cause d’une forte pression, provoquant des courts circuits en différentes zones de la ville. Alertés, les agents de la société sont dépêchés sur les lieux mais, comme la circulation à Nouakchott est un véritable calvaire, ils peuvent mettre du temps pour y arriver, d’abord et les réparer, ensuite.
En effet, l’alimentation en électricité de la ville n’obéit, dans la majorité des cas, à aucune norme technique. Non seulement, l’Etat n’a pas viabilisé les quartiers, avant leur occupation, mais, aussi et surtout, chaque citoyen, si pauvre soit-il, tient à disposer de l’électricité chez lui, à moindres frais et quel que soit son mode d’habitat… Du coup et avec, hélas, la complicité des agents de la société, c’est du tout et n’importe quoi et la SOMELEC peine à bannir la fraude. Dans certains quartiers, on est frappé par la multiplicité des câbles de toutes sortes, jetés à même le sol, tirés sur des centaines de mètres, voire même plus, pour alimenter maisons, tentes, baraques, avec tous les risques que cela comporte pour leurs habitants, notamment les enfants.
L’électricité est, aujourd’hui, comme le téléphone portable : plus on en a, plus on en réclame. D’abord, c’était l’éclairage de la maison, puis la télévision, le ventilateur, le réfrigérateur, les climatiseurs, même, ce qui accrédite, voire confirme, la thèse selon laquelle presqu’aucun usager de la SOMELEC ne paie sa véritable consommation. Les chefs de centre qui s’appliquent à lutter sévèrement contre la fraude sont taxés d’excès de zèle et banalement relevés de leur fonction, quand ils touchent aux « intouchables ». C’est à se demander, parfois, comment cette société d’Etat, même subventionnée, arrive à survivre. Mais, chers concitoyens et concitoyennes, la lutte contre la gabegie dont on nous rabat les oreilles et qui est censée nous délivrer de tant de maux, ne doit-elle pas nous concerner tous, citoyens enfin responsables ? Commençons donc par balayer devant nos portes : un million de petites gabegies, quotidiennes, c’est, au bout du compte, nos ampoules qui s’éteignent, nos téléphones qui ne sont plus en charge, la vie de la cité qui s’éteint…
DL