Le malheur de notre peuple ne vient-il pas de ceux qui l’ont gouverné ? La naissance de la Mauritanie – sans forceps, il est vrai – fut, cependant, très prématurée, livrant, au Monde, une fille débile, immature, presque inanimée. C’est dans une telle morbide faiblesse que notre pays accéda à son l’indépendance. Pour la France qui l’avait, naguère, colonisée, la Mauritanie n’avait que peu d’intérêt stratégique, politique, social ou même économique, hors la MIFERMA (actuelle SNIM). De 1958 à 1960, pratiquement aucun cadre supérieur mauritanien, pas de capitale, pas d’infrastructure de base, pas de formation politique ou administrative solide, fonctionnaires ordinairement subalternes, pas d’économie organisée, pas même la moindre idéologie politique. Nos pionniers étaient seulement armés de leur courage, de leur détermination et de leur passion, démesurée au regard de l’immensité du chantier à réaliser. Cette élite avait des qualités : dignité, honnêteté et conviction. C’était la preuve que la Mauritanie était un pays de grands hommes et qu’elle devait exister, malgré l’adversité : environnement pauvre et austère, climat chaud et aride, population d’à peine 1 500 000 habitants, pasteurs-cultivateurs-nomades à plus de 75%, dépourvue de toute expérience administrative, encore moins technique, mal répartie sur les 1 030 000 km² de son territoire couvert, au deux tiers, de déserts et de montagnes… Malgré tout cela, la Mauritanie s’est installée dans le concert des nations libres et indépendantes.
Mais elle n’avait pas d’idéal politique, ni de vision à long terme, ni de plan de développement, ni de projet de société. On gérait tout juste l’existant, comme on pouvait, selon les besoins du moment, en essayant de garder la tête hors de l’eau. La situation politique devint ainsi préoccupante, tournant en rond, ne sachant où aller ni à quel saint se vouer : une république vouée au surplace. Dès 1963, la Mauritanie, fut confrontée à son premier conflit avec son voisinage, avec les empiètements du Royaume du Maroc, au nord du pays. Puis apparurent, en 1966, les premières tensions internes, avec le début de l’arabisation de l’enseignement. Une mesure prise dans la précipitation, sans étude ni expérimentation-pilote préalables, juste conduite par une politique approximative de favoritisme, plus ou moins conscient. On en subit, encore aujourd’hui, l’inconséquence qui n’aura cessé de diviser nos populations. Depuis cette date, en effet, l’enseignement est le terreau de toutes les contestations socio-politiques.
Les contradictions intercommunautaires atteignirent leur paroxysme avec l’arrivée des militaires au pouvoir. Médiocres mais ambitieux, ils ne surent jamais comment gouverner un Etat, diriger un peuple et œuvrer dans la paix, la tranquillité et la fraternité. Toutes les tentatives de rapprochement, entre les différentes composantes de notre peuple, échouèrent lamentablement. Et pour cause. Des mouvements extrémistes d’obédience arabe s’étaient développés, dès le début de l’accession de l’Armée à la tête de l’Etat. Soutenus et financés de l’extérieur, ces mouvements apportèrent division, exclusion et racisme. Appuyés par les classes féodalo-militaires, à l’intérieur ; l’Irak, la Lybie et l’Egypte, à l’extérieur ; Baathistes et Nasséristes s’ancrèrent dans le tissu social et mirent toutes leurs énergies à diviser le peuple, jusqu’en ses fondements. L’unité nationale, la fraternité et la cohabitation pacifique furent saccagées. Conscients de ce qu’ils ne formaient, eux-mêmes, qu’une minorité ethno-raciale, les extrémistes au pouvoir s’employèrent à diviser la composante négroïde majoritaire, en accentuant, d’une part, les frontières linguistiques entre Hartanis hassanophones et « Négro-mauritaniens » – distinguant, ainsi, toutes les populations noires – et cherchant à éliminer la présence, sur tout le territoire, de la plus forte communauté de ceux-ci, les Kwars, dont la plupart des cadres ne s’adonnaient guère à la chose politique, sinon à militer en divers mouvements dits « progressistes », comme le MND ou l’AMD, les Kaddihines ou les syndicats, tandis que le restant se regroupait autour d’une organisation plus franchement opposante : les Forces de Libération des Africains de Mauritanie (FLAM).
Pour répondre aux multiples revendications des Négro-mauritaniens et imaginant qu’une opportunité démocratique s’ouvrait, avec l’arrivée de Mouawiya ould Sid’Ahmed Taya, les FLAM, crurent pouvoir présenter, à l’instar des autres formations, les doléances de la composante qu’ils estimaient représenter. Mais, hélas, on oublie trop souvent qu’un militaire n’est, a priori, jamais un démocrate. Ould Taya n’avait laissé naître ces mouvements que pour les mettre en lumière, avant de les matraquer, tous, violemment, les uns après les autres, avec la collaboration farouche de Gabriel Cimper (M.I) et de Daddahi (DGS). Il faut noter qu’au fil de ces années de violences et de terreur, chaque individu, peu qu’il fût conscient, ou non, des problèmes nationaux, reçut sa dose de chagrins, de douleurs et de pleurs, mares de larmes et de sang qui couvrirent le sol mauritanien. Mais il faut reconnaître que les traumatismes (tant physiques que psychiques, individuels que collectifs) subis par les Noirs mauritaniens, notamment les Haal-Pularens, dépassèrent tout entendement. Même Hitler n’atteignit jamais une telle cruauté car, pour tyran et génocidaire qu’il fut, il ne déporta pas son propre peuple, les Allemands. A contrario d’Ould Taya, avec la bénédiction des mouvements baathiste et nassériste et la collaboration, horriblement active, de Cimper et Daddahi. Pourtant, nos érudits de l’islam, l’intelligentsia et les leaders politico-sociaux – qui crient, aujourd’hui, à tue-tête, pour un oui et un non – ne pipèrent mot. Peur ou complicité ? Toujours est-il que ce silence coupable restera gravé, à jamais, dans notre histoire nationale et dans l’esprit de ceux qui s’en souviennent. Aucune tribu, aucun groupe socio-économique ne condamna cette ignominie et l’assassinat, à grande échelle, de milliers de musulmans innocents, initié en plein de Ramadan. Une sombre période qui dura plus de six longues années.
Mais c’est notre passé. Pour douloureux qu’il soit, il nous appartient, à nous tous, Mauritaniens. Voilà pourquoi est-il indispensable de nous ressaisir, réfléchir, nous écouter les uns les autres ; nous comprendre, en somme ; communiquer clairement. Hélas, nos morts ne reviendront plus, en ce bas-monde. Cependant, nous devons accepter l’inacceptable et savoir que c’est tout notre peuple (blanc et noir) qui a perdu ses fils et ses filles. Dès lors, il convient, de s’asseoir, dialoguer, identifier les coupables qui seront traduits devant une justice populaire où ils demanderont pardon au peuple, aux victimes et à leurs parents. Des indemnisations conséquentes seront versées aux ayant-droits. La réconciliation, entre les différentes couches de la Nation, sera réalisée et l’Etat, comme le peuple, restera en harmonie. Unis et solidaires, les citoyens pourront, enfin, projeter une seule vision et un seul idéal : le développement et la prospérité de la Mauritanie. On tracera des lignes rouges, cadrant la conduite des affaires de l’Etat, les méthodes de gouvernance des administrateurs, les directives concernant les comportements des citoyens et la cohabitation entre les communautés. Chacun se sentira chez lui, en terre mauritanienne, et nos enfants se tiendront main dans la main, comme autrefois, en 1960, en proclamant, tous ensemble : « Plus jamais de génocide et d’assassinat sur notre sol ! » Ainsi, personne ne se sentira plus coupable ni victime. Tous célèbreront, dans la fraternité, la paix, la solidarité, la fraternité, la justice, l’équité, l’unité et l’honneur, enfin, retrouvés. C’est dans cette optique que doivent s’inscrire les mouvements progressistes, autour d’un discours modéré et pertinent, socialement acceptable et politiquement accessible.
Ces derniers jours, l’inquiétude vient de l’article relatif à « l’extinction de la communauté wolof en Mauritanie » (mawu val hum), qu’Allah les préserve (voir Calame N° 943, les leaders du CRSD et ses respectueux doyens comme G.Diawara, L. Traoré, K. Dramane (Calame N° 945).Des questions communautaires, claniques et ethniques, d’inégalité, d’inéquité, d’injustice et de mauvaise cohabitation, etc., ont été posées, avec acuité. Ces inquiétudes doivent interpeller nos gouvernants et trouver, rapidement, des solutions globales et définitives. Le nouveau gouvernement de Mohamed ould Abdel Aziz doit s’y atteler immédiatement. Car toutes les couches de la population demandent le règlement des questions sociales dont le passif humanitaire n’est pas le moindre. Ce sont elles qui continuent de miner le fondement de notre Nation, gangrènent la compréhension, bloquent toute entente, favorisent la discorde et l’intolérance, entre les différentes composantes du pays. Sans unité du peuple, la force et l’énergie de sa jeunesse, la complémentarité de ses couches, le dynamisme et la créativité de ses femmes, nous n’aboutirons à rien. Sur la pourriture nauséabonde de l’injustice au-dessus d’une terre arrosée de sang et de larmes, rien de bon ne poussera.
Notre force réside dans notre unité, notre solidarité et notre capacité d’affronter, avec intelligence, les problèmes cruciaux, et, non de gérer, à la petite semaine, les difficultés quotidiennes. Gouverner, c’est prévoir : la réussite tient d’abord dans la bonne direction de l’action. Savoir demander pardon et pouvoir pardonner, c’est être homme, courageux et intrépide. Attelons-nous donc à cela, en demandant pardon aux victimes et à leurs familles, pour obtenir leur magnanimité et prévenir, ainsi, les conflits sociaux, en trouvant des solutions pertinentes, pérennes et efficaces, pour le bonheur de toute notre chère Nation.
Président Mohamed ould Abdel.Aziz, vous êtes tout aussi capable que votre frère Pierre Buyoya, du Burundi, de réconcilier l’Etat et le peuple, toutes les couches de nos communautés ; amorcer, avec intelligence et objectivité, le tournant vers la paix et la tranquillité ; initier, enfin, l’irréversibilité du développement de la Mauritanie. C’est dans cette perspective que l’ensemble des forces vives de la Nation doit être orientée. Alors, le peuple chantera, à l’unisson à vos côtés, la paix et la concorde. Alors, c’est en lettres d’or couronnant vos nombreuses réalisations que son manquement rendrait vaines, qu’on inscrira la réconciliation nationale à votre crédit.
Bâ Saidou
Consultant en Santé publique