Des pays d’Asie de l’Est ont rompu avec un long passé d’inflation. Miracle ? Preuve, en tout cas, de ce que la croissance passe, d’abord et nécessairement, par la stabilité économique, fruit d’une politique solide, hostile à l’inflation. C’est-à-dire, à la hausse générale et continue des prix, engendrant augmentation excessive des moyens de paiement, sans contrepartie de biens, de services ou de réserves de change, jusqu’à dépréciation de la monnaie nationale. Celle-ci ne cesse alors d’amputer les revenus réels de citoyens, augmentant terriblement le coût de la vie. Perte du pouvoir d’achat de la monnaie nationale, perte du pouvoir d’achat de tout un chacun, détérioration de qualité de vie des citoyens : c’est cela, l’inflation.
Elle pénalise l’épargne, donc l’investissement ; fait perdre confiance aux opérateurs économiques, compromet la compétitivité du pays, en déséquilibrant sa balance commerciale. Le renchérissement des importations, par rapport aux exportations, creuse le déficit du commerce extérieur. L’État se finance ainsi par une monnaie dévalorisée. La grogne gronde, au marché, contre « ce poison » ou plutôt cette terrible maladie qui fait grimper inexorablement les prix. Pour beaucoup, c’est le mal du siècle.
Quand l’État n’arrive pas à financer ses dépenses par des ressources classiques ou des prélèvements explicites, elle fait « tourner la planche à billets », imprimant abusivement de la monnaie inflationniste, préjudiciable au développement et au bien-être des populations. Ce n’est rien d’autre qu’un prélèvement illicite d’impôts et de taxes occultes qui seront intégrés aux prix, aggravant encore davantage la spirale inflationniste. On voit ainsi le préalable absolu, dans la lutte contre l’inflation et je tiens, dès l’introduction de mon exposé, à le souligner car appliquer de bonnes politiques, ce n’est pas facile : le stock de monnaie doit être entièrement gagé par les réserves en devises.
Molle politique monétaire, dures conséquences sociales…
Cette rigueur budgétaire est la clé de la solution. À une condition : nommer un gouverneur de la Banque centrale réellement indépendant, partisan d’une politique prudente, résolument hostile à l’inflation. Faut-il préciser que rigueur monétaire et indépendance de la Banque centrale ne suffisent pas seulement d’un décret ? Il faut aussi instaurer des mécanismes qui feront contrepoids aux décisions arbitraires des services de l’État.
Vous me direz que l’inflation existe partout. Oui mais, dans les pays industrialisés, non seulement, ils arrivent à la contenir mais, aussi, leurs politiques des hauts salaires et d’importants revenus compensent largement l’inflation. Même dans la zone CFA, la plupart des pays francophones arrivent à la maîtriser, grâce à la rigueur monétaire que leur imposent leurs deux banques centrales, supranationales et, donc, indépendantes. Les avances à un pays-membre sont limitées à 20% des recettes fiscales qu’il a perçues l’année précédente. Cela empêche le pays de recourir à des prélèvements inflationnistes et tous ceux soumis à cette règle ont ainsi un taux d’inflation inférieur à celui des pays environnants hors de ce système.
Ces critères de rigueur monétaire doivent être considérés comme une condition sine qua none de lutte contre l’inflation, pour autant qu’on souhaite renouer avec la croissance et le développement. De fait l’inflation, suite à l’augmentation des instruments de paiement – autrement dit, les billets de banque – et les dépôts qui peuvent être transformés en liquidités, n’a cessé de s’accentuer, chez nous, depuis la fin des années 80. D’abord modérée, dite rampante, l’inflation s’est accélérée, pour prendre une forme plus poussée dite « galopante », à plus d’un chiffre (+ de 10).
Sous réserve de toutes les précautions qu’il convient de prendre, lorsqu’on essaye de quantifier des grandeurs réelles à partir d’un échantillon, pour comparer globalement les prix de 1988 et de 2018, par exemple, il faut les multiplier par quatre, en moyenne. Durant cette période, le coût du dollar, en monnaie nationale, est passé de 77,5 MRO, en 1988, à 356,3 MRO, en 2018. Soit une augmentation plus de quatre fois, alors que les revenus (sur la base de l’évolution des salaires) n’ont augmenté, en moyenne, que du double. La hausse des prix des biens et services a été deux fois plus importante en moyenne que celle des salaires et des revenus durant les trente dernières années.
Le pays n’arrive pas à rompre avec cette longue tradition inflationniste. En cause, bien sûr, ses excès de monnaie en circulation : la masse monétaire augmente beaucoup plus vite que la production. Le pouvoir d’achat sur les autres monnaies ne cesse donc de diminuer. En une année seulement, (Janvier 2017 à Janvier 2018) l’euro est passé de 381,74 A.UM à 426,30 A.UM, soit une hausse de 44,56 A.UM (+ 11,67%). Une seule importation d’un million d’euros de sucre, par exemple, nous coûterait ; donc, aujourd’hui, 44,56 millions d’anciennes ouguiyas de plus qu’il y a un an. Une véritable ponction sur les revenus réels qui sera répercutée sur les prix, avec ses effets fâcheux pour le pauvre consommateur. Et c’est n’est pas fini. Il faut aussi ajouter par avoir le prix de revient, les impôts et taxes classiques, ainsi que les impôts et taxes illicites. Ce sont ces derniers éléments qui constituent le prélèvement inflationniste.
Couple diabolique, riche vocabulaire…
Ces dernières années, un couple maléfique s’est formé, dans nombre de pays en développement, avec d’importantes retombées négatives sur l’ensemble de la société. D’un côté, madame Inflation accélérée, devenue Hyperinflation, en ses excessives rondeurs ; de l’autre, monsieur Chômage endémique qui porte, en lui-même, le germe de la récession. Les membres de ce couple diabolique se rendent mutuellement service, c’est-à-dire que l’une aggrave l’autre et réciproquement. Pour décrire cette nouvelle et étrange situation de crise, entre la stagnation économique, l’inflation et le chômage, il a fallu inventer un nouveau terme : la stagflation.
C’est un sort curieux que celui de l’inflation. Le nom qu’on lui donne et le traitement qu’on lui réserve changent suivant la situation considérée. Quand l’État n’a pas envie de réduire ses dépenses et que les recettes sont insuffisantes, il la nomme: « planche à billets ». Autrement dit, fabrication monétaire sans contrepartie. Sur simple instruction, la BCM, pourtant supposée indépendante, procède à une nouvelle injection de monnaie, augmentant ainsi l’offre en circulation et générant ainsi l’inflation. Elle porte aussi le nom de « hausse par les coûts ». Lorsque, par exemple, la hausse du prix du pétrole fait augmenter celui du transport ou, encore, lorsque les entrepreneurs répercutent sur les prix, les hausses de salaires consenties à leur personnel. Quand il s’agit du renchérissement des produits importés, consécutif à la baisse de la valeur de la monnaie nationale, on parle de « distorsions de taux de change » ou même de « transmission de l’inflation importée ». S’agissant encore d’une dépréciation externe de la monnaie, par rapport aux devises, les économistesévoquent un« glissement monétaire ». Alors qu’il s’agit, ni plus ni moins, d’une dévaluation.
Si le pays ne peut compter sur ses ressources traditionnelles, il se tourne vers la taxation implicite qui ne peut qu’entraîner la hausse des prix. En ce cas, l’inflation porte le nom d’ « augmentation de la TVA », par exemple. C’est n’est que lorsqu’elle s’est propagée et qu’elle est devenue flagrante que les autorités lui font porter son vrai nom d’inflation. Elle ne change pourtant pas de nature en changeant de nom. (A suivre)
Lehbib ould Berdid
Professeur, chercheur et analyste stratégiste