Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, parle à cœur ouvert et dit tout à travers un long entretien avec l’hebdomadaire panafricain « Jeune Afrique » paru lundi.bAprès avoir réitéré sa volonté de ne pas modifier la constitution, le chef de l’Etat évoque les conditions de sa succession. Mohamed Ould Abdel Aziz jette aussi un regard sur le rétroviseur et aborde ses rapports avec le banquier Mohamed Ould Boumatou, fondateur de la Générale de Banque de Mauritanie (GBM), soutien de la première heure, devenu « ennemi juré » qui vit en exil entre le Maroc et l’Europe depuis plusieurs années.
Le chef de l’Etat mauritanien s’attarde sur ses relations avec le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed, dit Ghazwani, chef d’état-major des armées, le cas de l’ancien sénateur Mohamed Ould Ghadda, détenu à titre préventif depuis plusieurs mois, et dit sa part de vérité sur l’affaire Mohamed Ould MKheitir, un jeune blogueur condamné à mort par une cour criminelle, dont les avocats disent ne plus avoir de nouvelles après l’annulation de cette sentence par la cour suprême en novembre dernier 2017.
Au sujet de son éventuelle succession, le président Mohamed Ould Abdel Aziz estime que « chaque citoyen, parmi les 3,5 millions de mauritaniens a le droit de se présenter à l’élection présidentielle de 2019. J’apporterais mon soutien le moment venu à l’un d’entre eux ».
Il rappelle au passage ses solides relations avec le général Ghazwani, fruit de plus de 30 ans de compagnonnage, à l’instar d’autres mauritaniens « qui œuvrent à mes côtés, au développement du pays », tout en se gardant de franchir le Rubicon consistant à annoncer un possible soutien à l’éventuelle candidature cet officier général.
Il faut par ailleurs souligner que le statut actuel de Ghazwani est incompatible avec une candidature à l’élection présidentielle de 2019.
Parlant de Mohamed Ould Bouamatou, le chef de l’Etat mauritanien reconnait et assume le précieux soutien apporté par le banquier à l’élection présidentielle du 18 juillet 2009. Cependant, il s’empresse d’ajouter: « nous avons un devoir vis-à-vis de nos électeurs, car nous nous sommes engagés à améliorer leurs conditions de vie. Ce qui serait impossible si l’anarchie continue. Dès que nous nous sommes rendus compte de ses agissements, notamment dans le domaine fiscal, il s’est empressé de quitter le pays».
Toutefois, pour certains observateurs à Nouakchott, le conflit Aziz/Bouamatou ne se réduit pas à la seule dimension évoquée par le chef de l’Etat dans cet entretien.
D’où l’interpellation du journal sur l’opportunité d’accepter des aides financières de la part d’un homme d’affaires. Il répond alors avec des propos passablement gênés « qu’il s’agissait d’une pratique généralisée à l’époque. Son soutien était sans contrepartie, et je ne l’ai pas accepté pour l’autoriser à piller l’Etat. Nous n’avons pas signé un pacte dans ce sens».
Evoquant l’affaire de l’ancien sénateur Mohamed Ould Ghadda, opposant farouche aux amendements constitutionnels adoptés par voie référendaire le 05 août 2017, Mohamed Abdel Aziz affirme que la justice « dispose de preuves concrètes qui ne sont pas fabriquées par l’Etat, pour le maintenir en détention ».
Mais au sujet de cette dernière affaire, Mohamed Ould Abdel Aziz aurait dû remuer 1000 fois la langue avant de parler. En effet, la simple évocation dans la presse d’un dossier pendant devant la justice de la part d’un président de la République relève d’une grossière erreur de communication.
Si on ajoute à ce principe basique le caractère particulier de l’affaire Mohamed Ould Ghadda, il devient facile d’imaginer que ces propos auront une suite.
Ce passage, pense-t-on, devrait susciter une énorme lame de réprobation et un torrent de commentaires de la part des avocats de la défense du célèbre détenu et de toute l’opposition, qui trouve des arguments supplémentaires pour étayer la thèse de poursuites pilotées par le sommet du pouvoir. D’où un chef d’état qui fait à la fois office de procureur, justice d’instruction et juridiction d’instance de tous les degrés confondus pour rendre un verdict sans un appel contre un individu détenu tout juste à titre provisoire et théoriquement couvert par la présomption d’innocence.
Parlant de l’affaire Mohamed M’Kheitir, ce jeune blogueur dont les conseils affirment ignorer le sort, malgré l’annulation par la cour suprême, de la peine de mort prononcée à son encontre, Mohamed Ould Abdel Aziz rejette le cliché d’une société mauritanienne gangrénée par l’extrémisme: « nous ne sommes pas tenus de copier tout ce que se fait ailleurs, dès l’instant qu’il y a des menaces contre la stabilité et les intérêts de notre pays. Nous sommes musulmans à 100%, avec la pratique d’un islam modéré ».
Les manifestations de rue pour réclamer la mise à mort d’un individu jugé, condamné à 2 années de prison et ayant purgé sa peine, confortent-elles la thèse de la pratique d’Islam modéré ?